M-Vaccin : La technologie mobile au service de la vaccination en Côte d'Ivoire

Grâce à un partenariat entre Gavi, Orange Côte d'Ivoire et le ministère ivoirien de la Santé, de l'Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, M-Vaccin ouvre la voie à une amélioration significative de la couverture vaccinale de routine en Côte d'Ivoire.

  • 30 juin 2023
  • 8 min de lecture
  • par Lassina Sermé
Dr Kouadio Nestor, Chef de service Projet planification stratégique au PEV. Crédit : Lassina Sermé
Dr Kouadio Nestor, Chef de service Projet planification stratégique au PEV. Crédit : Lassina Sermé
 

 

La vaccination est l'un des piliers essentiels de la santé publique, permettant de prévenir et de contrôler de nombreuses maladies infectieuses. En Côte d'Ivoire, la couverture vaccinale de routine constitue un enjeu majeur pour assurer la protection de la population, en particulier des femmes enceintes et des jeunes enfants.

Avec 76% des enfants en Côte d'Ivoire ayant reçu les trois doses du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTP3), selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, et des personnels de santé confrontés à une charge de travail importante, il était essentiel de trouver une nouvelle solution. M-Vaccin est intervenu en offrant une plateforme technologique novatrice qui simplifie la gestion des vaccinations et permet un suivi précis des données. Ces avancées permises par l'application, disponible pour le moment dans quelques districts seulement mais ayant vocation à être déployée dans l'ensemble de la Côte d'Ivoire, contribuent à améliorer considérablement la santé publique en augmentant la couverture vaccinale et en facilitant le travail des soignants.

Un partenariat novateur pour améliorer la couverture vaccinale de routine

Pour Orange, ce n’était pas un coup d’essai. En effet, dès 2016, l'entreprise a développé l'application M-Tew en collaboration avec ONUSIDA. Cette initiative avait pour objectif d'améliorer les services de prise en charge du VIH afin d'assurer le suivi régulier des patients et le respect des traitements. Dans ce cadre, des données ont été collectées et analysées, permettant d'identifier les lacunes dans les services existants et de prendre des mesures pour améliorer la qualité des soins pour les personnes vivant avec le VIH et affectées par le virus.

« C'est de là qu’est né l’intérêt de Gavi », explique Ibrahim Diallo, senior manager sur le développement de marché à Orange Côte d'Ivoire. « Il s’agissait de dire : voyons ce qui est possible de faire avec Orange, parce qu’il y a des cibles qui ne viennent pas se faire vacciner, soit parce qu’elles ne sont pas mobilisées, soit parce qu’elles ne sont pas sensibilisées et qu’elles n'ont pas l'information. Vu qu'aujourd'hui nous arrivons à toucher tout le monde grâce à l’avancée des technologies mobiles, il était important de voir comment s'en servir pour aider le programme élargi de vaccination. »

« Les agents de santé nous disent qu’ils sont plus efficaces dans leur travail, simplement parce qu’ils n’ont plus besoin de chercher dans des registres papier quelles sont les personnes qu'ils doivent aller chercher pour la vaccination ».

C’est là que le partenariat entre Orange, Gavi et le Ministère ivoirien de la Santé et de l'Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle a été créé. Concrètement, M-Vaccin est une application mobile qui permet d’enregistrer les femmes ayant une grossesse ou un enfant de moins de deux ans, de leur créer un carnet de vaccination digital et leur envoyer des rappels automatiques par le biais de messages vocaux disponibles en français ainsi qu'en une douzaine de langues locales, pour les personnes qui ne savent ni lire ni écrire, afin qu’elles fassent vacciner leurs enfants.

VillageReach, une ONG internationale focalisée sur la santé publique et ayant l’immense majorité de ses effectifs sur le continent africain, est entré en jeu pour soutenir la mise en œuvre du projet M-Vaccin auprès du Programme élargi de vaccination. « Notre conviction, c’est qu’il faut que les gouvernements collaborent avec le secteur privé de leur pays pour atteindre leurs objectifs de la couverture sanitaire universelle », affirme Joseph Roussel, directeur de l’engagement du secteur privé à VillageReach.

« Notre rôle, c'est de travailler avec le Programme élargi de vaccination (PEV) pour qu’il puisse exprimer ses souhaits, comprendre comment travailler avec le secteur privé et donner les clés au secteur privé pour travailler avec une entité étatique. Il y a tout un travail technique et toute la méthodologie de déploiement.  Déployer une application est un exercice qui nécessite la gestion du changement et la gestion technique parce qu’il faut motiver l’adoption d’un nouvel outil et aussi, par exemple, savoir transformer les données de l'application en tableau de bord utilisable par le management du PEV », poursuit Joseph Roussel.

Un suivi personnalisé et proactif pour renforcer l'adhésion à la vaccination

En ce qui concerne le processus de vaccination lui-même, il se passe en deux temps. « Quand une maman arrive pour faire vacciner son enfant, elle est enregistrée si cela n’avait pas encore été fait. L’enregistrement consiste à collecter dans l’application les informations d’identité et de localisation. Par la suite, l’enfant est vacciné et l’infirmier fait la mise à jour de son carnet électronique dans l’application. Les informations d’enregistrement et de la vaccination sont aussi portées dans les registres physiques qu’utilisent traditionnellement les agents de santé. C’est ce registre qu’on essaye de mettre sur l'application », explique Ibrahim Diallo.

Lorsqu'approche la date de la prochaine vaccination, la mère reçoit des messages lui indiquant qu'elle a un rendez-vous pour la vaccination de son enfant dans trois ou six jours. « Ce suivi est également effectué auprès des femmes enceintes, en leur rappelant qu'après la première dose, il est nécessaire de venir faire administrer la deuxième dose à la période indiquée », explique le Dr Kouadio Nestor, Chef de service Projet planification stratégique au PEV.

Des personnes proches choisies, comme un conjoint ou une autre personne de la famille, reçoivent également le rappel, pour minimaliser les chances d’oubli.

Cette démarche s'appuie sur l'implication essentielle des agents de santé communautaire, parfaitement intégrés au sein de leurs communautés et ayant une connaissance approfondie des individus. En effet, les ASC sont informés des rappels de vaccination et savent exactement qui est concerné. « Avant M-Vaccin, l’ASC devait fouiller les registres », se souvient Ibrahim Diallo. « Aujourd'hui, grâce à l'application, il a un aperçu rapide des enfants qui ont manqué leur rendez-vous ».

Si une personne qui a reçu un rappel manque son rendez-vous, l'ASC se rend directement à sa rencontre afin de comprendre les raisons de cette absence. Parfois, il s'agit d'une absence temporaire, d’un déménagement, d'autres difficultés rencontrées dans la vie quotidienne... Dans de nombreux cas, c'est l'ASC qui accompagne personnellement le parent jusqu'au centre de santé pour s'assurer que l'enfant reçoit effectivement son vaccin. Cette approche personnalisée et proactive garantit une meilleure prise en charge des vaccinations et renforce le lien de confiance entre les agents de santé et les membres de la communauté.

Les bénéfices de M-Vaccin

Dans l'ensemble, l'initiative M-Vaccin a été bien accueillie par les utilisateurs et les bénéficiaires. Les résultats de l'évaluation préliminaire réalisée en mai 2021 ont montré que 73% des agents de santé et 100% des agents de santé communautaire perçoivent un impact positif de M-Vaccin sur la génération de la demande de vaccination.

« Les agents de santé nous disent qu’ils sont plus efficaces dans leur travail, simplement parce qu’ils n’ont plus besoin de chercher dans des registres papier quelles sont les personnes qu'ils doivent aller chercher pour la vaccination », se félicite Joseph Roussel. C’est d’ailleurs ce qui ressort d’un rapport de VillageReach sur les premiers résultats de la solution : 96 % de charge de travail administratif en moins pour les agents de santé avec M-Vaccin.

Selon cette étude, 90,8% des mères ont trouvé le contenu des SMS utile ou très utile, et 72% des mères interrogées affirment avoir reçu un suivi personnalisé de la part des ASC, favorisant ainsi une amélioration de l'activité de recherche des personnes non vaccinées.

M-Vaccin est plus qu’une application d’enregistrement pour les parents et les soignants, selon Joseph Roussel de VillageReach. « C'est aussi un formidable outil de gestion pour le PEV, parce que cela permet de dire combien d'enfants sont vaccinés dans un district par rapport à un autre, si les efforts de rappel de vaccination marchent, s’il faut intensifier les efforts de promotion de la vaccination… » M-Vaccin permet donc de faciliter la prise de décision.

Vers une digitalisation complète du processus de vaccination avec M-Vaccin

M-Vaccin est aujourd’hui une application qui permet aussi le suivi des enfants zéro dose. Mais, selon Ibrahim Diallo, pour qu’elle soit encore plus efficace, il faudrait que l’activité de vaccination soit digitalisée de bout en bout. « Aujourd’hui, le grand défi est que les agents de santé sont toujours contraints d'utiliser des registres papier, car c'est la norme officielle. L'application est en train de prouver sa pertinence pour remplacer efficacement le papier. Tout le monde reconnaît l'impact de M-Vaccin et reconnaît la véritable valeur qu'elle apporte », explique-t-il.

« On a fait un pilote qui doit bientôt être lancé dans le district Cocody-Bingerville à Abidjan, où on a mis à disposition des tablettes pour les agents de santé. Ils pourront saisir des informations sur le stock de vaccins dont ils disposent, mettre les autres interventions, par exemple, pour ceux qui donnent la vitamine A, le vaccin contre la COVID-19, et d'autres types d'informations qu’on ne traçait pas », poursuit-il.

« Puis automatiquement, les informations de la mère et de l'enfant seront remplies dans le tableau de bord. Il n'aura plus à faire un tableau de bord séparément. »

En combinant la technologie mobile, l'engagement communautaire et la gestion efficace des données, M-Vaccin a démontré son potentiel pour améliorer la couverture vaccinale de routine en Côte d'Ivoire.

L'ambition du PEV : une mise à l'échelle nationale

La solution M-Vaccin est désormais déployée dans 17 districts sanitaires et 1041 agents de santé ont été formés.

« Nous avons commencé avec cinq districts. Nous cherchons à augmenter progressivement. Il peut y avoir de petites défaillances que nous corrigeons au fur et à mesure du processus, en collaboration avec l'opérateur télécom, Orange », souligne le Dr Kouadio.

43 394 femmes enceintes et 29 696 enfants sont inscrits, pour un total de 54 101 actes notifiés dont 14 266 doses de vaccin administrées. Pendant la durée du projet, 104 300 messages vocaux et 248 823 messages texte ont été envoyés aux patients.

M-Vaccin nous rappelle également que les partenariats public-privé et la collaboration entre les gouvernements, les entreprises, les organisations internationales et les communautés peuvent certes représenter un défi, chacun devant s’habituer à travailler avec les autres selon ses méthodes, mais les résultats peuvent changer la donne en donnant vie à des solutions innovantes pour relever les défis sanitaires mondiaux.