Kenya : Les combattantes du numérique défendent la vaccination
Le Savannah Innovation Hub (Pôle d’innovation Savannah) apprend aux jeunes femmes du comté de Garissa à contrer la désinformation sur le vaccin contre la COVID-19 émanant de groupes tels qu’Al-Shabab.
- 27 mai 2022
- 4 min de lecture
- par Abjata Khalif
Khadija Maalim, une influenceuse très populaire sur les médias sociaux, avance sous une chaleur accablante, à la recherche d’un endroit où tourner une vidéo pour TikTok. Des habitants du village d'Atheley, dans le comté de Garissa, au Kenya, la rejoignent. Tout en marchant, elle leur donne des informations sur la COVID-19 et leur prodigue des conseils pour le confinement.
Malgré les problèmes de sécurité et les difficultés liées aux conditions météorologiques, elle décide de tourner sa vidéo près d'une hutte traditionnelle somalienne. Les villageois, en majorité des femmes, se pressent autour du site de tournage pour l’écouter et découvrir ce nouveau mode de diffusion de l'information, via les médias sociaux, qui permet d’atteindre beaucoup plus de monde.
L'influenceuse fait partie d'une armée grandissante de jeunes femmes qui ont été formées à l'utilisation des médias sociaux pour pouvoir éduquer les populations, plus particulièrement les jeunes filles et les femmes qui souffrent d’un manque d'information.
Khadija, qui enregistre en langue somalienne, montre aux femmes les vidéos à l’adresse des communautés somaliennes qu’elle a déjà réalisées et postées sur TikTok. « Ces vidéos que l’on peut voir sur TikTok ont suscité l’intérêt des populations locales et de la diaspora somalienne, qui m’ont fait part de leurs commentaires », explique-t-elle aux villageoises. « Elles ont pu obtenir ainsi beaucoup d'informations sur les vaccins contre la COVID-19, et poser des questions à un médecin basé à Garissa. C'est une situation gagnant-gagnant. »
Pour sa nouvelle vidéo, elle s'attaque aux allégations trompeuses selon lesquelles le vaccin contre la COVID-19 pourrait affecter le cycle menstruel des filles et provoquer d'autres troubles graves. Elle décrit l’expérience de plusieurs jeunes femmes travaillant dans des secteurs essentiels. Ces femmes ont toutes reçu le vaccin AstraZeneca, distribué au Kenya par le biais de la Facilité COVAX.
« Ma nouvelle vidéo montre trois jeunes travailleuses somaliennes de première ligne, dont l'une est enceinte. Elles ont toutes trois été vaccinées et aucune n’a rencontré par la suite de problèmes menstruels », explique Khadija Maalim. « Ce message vidéo est destiné aux jeunes femmes somaliennes qui vivent autour d’ici, dans les villes, dans le pays ou ailleurs dans le monde. »
L'influenceuse fait partie d'une armée grandissante de jeunes femmes qui ont été formées à l'utilisation des médias sociaux pour pouvoir éduquer les populations, plus particulièrement les jeunes filles et les femmes qui souffrent d’un manque d’information.
Établi dans la ville de Garissa, le Savannah Innovation Hub est un sanctuaire du numérique qui offre des possibilités de formation à plus d'une centaine de jeunes femmes, notamment en matière de détection de la désinformation. Dekha Hassan, coordinatrice de programme à Savannah, explique : « Nous avons lancé le Pôle Innovation environ un an avant l'émergence de la COVID-19. Nous avions initialement prévu de former les jeunes femmes sur les disciplines STEM et le codage. Mais la multiplication des campagnes de désinformation sur la COVID-19 ciblant plus particulièrement les jeunes femmes a attiré notre attention. Désormais, notre travail se concentre sur leur éducation, la promotion de la vaccination et l'autonomisation des combattantes du numérique pour qu’elles puissent s’attaquer aux fausses informations et signaler les comptes qui les diffusent sur les médias sociaux aux entreprises technologiques. »
Pour aller plus loin
« Notre porte est ouverte à toutes les jeunes femmes qui veulent utiliser les outils numériques pour changer la société, quel que soit leur niveau d'alphabétisation ou leur parcours scolaire », poursuit-elle. « Nous avons formé 150 jeunes femmes et prévoyons d'en inscrire 300 autres pour pouvoir nous attaquer à la désinformation concernant la COVID-19. »
Selon Amina Abdi, influenceuse sur les médias sociaux et diplômée de Savannah, plusieurs "acteurs mal intentionnés" utilisent les médias sociaux pour transmettre des informations trompeuses sur le vaccin contre la COVID-19 aux jeunes semi-analphabètes vivant dans le nord du Kenya, qui constituent une cible très vulnérable.
Très populaire sur Facebook et Snapchat, Amina fait partie d'une équipe d’une dizaine de personnes chargées de vérifier les informations numériques. « Notre travail consiste à parcourir les différentes plateformes, comme Facebook, WhatsApp et Twitter, pour traquer la désinformation et les "infox" (fausses informations) concernant la santé, etc. », explique-t-elle. « En moyenne, notre groupe démolit 10 à 15 messages fallacieux chaque jour. Les grandes entreprises technologiques sont très coopératives. Les sociétés locales chargées de la sécurité utilisent également leurs compétences de pointe pour trouver les propriétaires de ces comptes. La majorité d'entre eux sont liés à la Somalie voisine, où les groupes militants d’Al-Shabab sont très actifs. »
« Nous exploitons un réseau d'utilisateurs des médias sociaux actifs dans le nord du Kenya et nous leur fournissons des informations en temps réel pour contrer les informations trompeuses », ajoute Kiiney Jehow, membre de l'équipe de vérificateurs. « Nous leur signalons les comptes utilisés pour diffuser ces infox et sur les actions menées. Nous utilisons les mêmes plateformes pour apporter des conseils d'experts. Nous touchons au moins 450 000 personnes dans la communauté et la diaspora. »
Une partie de leur formation consiste à coder, ce qui a conduit à la conception de diverses solutions numériques (encore en phase de développement) pour répondre aux crises et aux urgences sanitaires générales, comme une application mobile en somali pour établir un lien entre les communautés des zones urbaines et des régions éloignées du nord du Kenya et les services médicaux.
Pour le Centre de Wagalla pour la paix et les droits de l'homme (organisation régionale de défense des droits de l'homme), le travail accompli a déjà changé la donne. « Selon nos enquêtes, les comptes utilisés pour diffuser des infox sur le vaccin contre la COVID-19 proviennent de groupes basés en Somalie. Ils cherchent à utiliser les jeunes femmes pour faire naître le doute et susciter un rejet massif du vaccin, et continuer ainsi à déstabiliser la région », affirme M. Adan Garad, Directeur exécutif de Wagalla. « Nous sommes heureux de l'initiative du Savannah Innovation Hub. La façon dont ils utilisent la vidéo, en langue somali, pour éduquer les jeunes filles et les femmes défavorisées et analphabètes est fascinante. »