Dans les zones de conflit au Cameroun, une poignée de main pour sauver des vies
Dans un contexte de violence et d’effondrement des systèmes de santé, acheminer les vaccins jusqu’aux communautés représente une occasion à ne pas manquer pour fournir d’autres soins essentiels, allant de la nutrition aux moustiquaires, en passant par le soutien psychosocial.
- 29 juillet 2025
- 4 min de lecture
- par Delphine Fri Chifor

Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun sont en proie à un conflit depuis plusieurs années. Alors que le système de santé s’est progressivement effondré, 350 000 enfants dans ces deux régions n’ont pas été vaccinés ou l’ont été de manière insuffisante, entraînant une recrudescence des maladies infantiles évitables et de la malnutrition. En 2024, près de 20 000 enfants de moins de cinq ans souffraient d’émaciation, dont 4 700 dans un état sévère.
Les enfants d’ici ont besoin de vaccins, mais les vaccins seuls ne suffiront pas à résoudre leurs problèmes de santé. C’est en partant de ce constat que le Cameroon Baptist Convention Health Services (CBCHS), un réseau de santé confessionnel à but non lucratif et partenaire de longue date du gouvernement, a mis en place une approche innovante baptisée le modèle de la poignée de main. Son objectif : faire de la vaccination un point d’entrée vers un ensemble plus large d’interventions humanitaires et sanitaires.
Comment le CBCHS élargit l’accès aux soins grâce au modèle de la poignée de main
Au cœur de ce modèle se trouve une coordination stratégique. Première étape : le CBCHS cartographie de manière proactive les acteurs humanitaires et sanitaires actifs dans chaque district, en évaluant leur couverture et leur domaine d’expertise. Cela permet de nouer des partenariats avec des ONG et des institutions capables de compléter les efforts de vaccination par des services plus étendus.
« Là où nous intervenons, rares sont les partenaires qui ont un accès comparable au nôtre. Une entrée coordonnée renforce notre impact collectif », explique Glory Angu, responsable de district à Bamenda.
Grâce à ces partenariats, le CBCHS transforme les postes de vaccination en centres de soins multiservices. Dans des districts comme Nwa et Ako, situés dans la région du Nord-Ouest, les familles peuvent désormais bénéficier, en une seule visite, d’un dépistage de la malnutrition, de soins prénataux, de traitements vermifuges, d’interventions WASH (eau, assainissement, hygiène), de soutien psychosocial et de moustiquaires imprégnées d’insecticide. Cette approche intégrée favorise l’adhésion des communautés et renforce la confiance, notamment chez les mères.
« Une fois que nous entrons dans une communauté, notre mandat est de fournir des soins holistiques à l’enfant comme à son accompagnant », ajoute Angu.
Pour aller plus loin
Le modèle a profondément changé la manière dont les parents interagissent avec les services de santé.
« Ici, la faim est le dénominateur commun. Aucune mère ne laissera passer une occasion de recevoir de la nourriture ou d’apprendre à en préparer pour son enfant », explique Kongwi Emmanuel, responsable de district à Nwa.
Dans certains districts reculés, le CBCHS s’est associé à des organisations comme Strategic Humanitarian Services (SHUMAS), dont la mission – réduire la pauvreté et améliorer le bien-être – s’aligne avec l’approche de la poignée de main. Ensemble, ils ont pu apporter des services vitaux à des communautés jusque-là considérées comme inaccessibles.
Écouter, répondre, orienter : construire la confiance pour garantir l’accès
« Nos communautés demandaient une approche intégrée des soins », témoigne Epey Margaret, responsable de terrain pour les districts de Fontem et Kumba, dans la région du Sud-Ouest. « Nous avons dû faire évoluer notre modèle pour rester pertinents et encourager la demande de vaccination. »
Cette évolution inclut désormais des soins prénatals, des consultations de base et des filières d’orientation vers des services spécialisés. À Bamenda, une mère raconte : « J’étais venue seulement pour faire vacciner mon enfant. Mais l’agent de santé a remarqué que ses jambes étaient arquées et nous a orientés vers le programme SEEPD (Socio-Economic Empowerment of Persons with Disabilities). Ils l’ont pris en charge et ont couvert les frais de l’opération. » Des récits comme celui-ci deviennent la norme, et non l’exception.
Le CBCHS a également intégré l’éducation nutritionnelle communautaire à ses activités de terrain. À partir d’ingrédients locaux, les accompagnant·es apprennent à préparer des repas riches en nutriments pour lutter contre la malnutrition chronique. « J’avais peur des vaccins, mais je suis venue apprendre à cuisiner pour mon enfant malnutri. Je suis repartie avec des connaissances, et j’ai aussi trouvé la force de le faire vacciner », raconte Alima, une mère du district sanitaire de Nwa.
Repenser la vaccination dans les contextes fragiles
Le modèle de la poignée de main considère la vaccination non comme une fin en soi, mais comme un point d’entrée. Il attire les familles vers les soins en répondant à leurs besoins immédiats — qu’il s’agisse de malnutrition, de soins prénataux ou de soutien psychosocial. Dans les zones touchées par le conflit, cette approche permet d’élargir la couverture, de renforcer la confiance et d’aller à la rencontre des familles là où elles se trouvent.
Malgré les contraintes opérationnelles propres aux contextes fragiles, le CBCHS parvient à réduire le nombre d’enfants n’ayant reçu aucune dose de vaccin, tout en transformant les lieux de vaccination en points d’ancrage pour la résilience communautaire. Chaque session devient une occasion d’offrir bien plus qu’une injection : un point de contact pour la survie et la stabilité.
Ce modèle remet en question les formes traditionnelles de prestation de services. Il montre que même dans des crises prolongées, l’intégration est non seulement possible, mais indispensable. Alors que les systèmes de santé fragilisés sont contraints de faire des choix, le modèle de la poignée de main propose une stratégie concrète, évolutive et centrée sur l’équité : fondée sur la communauté, plurisectorielle, et ancrée dans les réalités locales.
Delphine Fri Chifor est autrice et a travaillé comme consultante auprès du CBCHS.
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