Des héros en BD pour sensibiliser les enfants ougandais à la vaccination contre le VPH

Le cancer du col de l’utérus tue des milliers de femmes ougandaises chaque année. C’est ce que « Les aventures d’Adriko et Nampijja » tentent de changer.

  • 10 mars 2025
  • 5 min de lecture
  • par Esther Nakkazi
Dre Sabrina Bakeera Kitaka, pédiatre à la clinique pour adolescents, service 15 de l’hôpital de Mulago. Crédit : Esther Nakkazi
Dre Sabrina Bakeera Kitaka, pédiatre à la clinique pour adolescents, service 15 de l’hôpital de Mulago. Crédit : Esther Nakkazi
 

 

Un vendredi après-midi à Kampala, Patricia Nakyalu entre dans la clinique pour adolescents du service 15 de l’hôpital Makerere Mulago pour se renseigner sur la vaccination contre le virus du papillome humain (VPH), responsable du cancer.

La clinique hebdomadaire, animée par des agents de santé de Mulago et des étudiants en master de pédiatrie, bénéficie du soutien d’un groupe de jeunes bénévoles. Nakyalu est accueillie par deux adolescents postés à l’accueil, chargés d’aider et d’informer leurs pairs sur les bienfaits des vaccins contre le VPH et le tétanos.

John Mckenzie Bwesigye
Crédit : Esther Nakkazi 

L’un des bénévoles, John Mckenzie Bwesigye, un adolescent de 14 ans qui rêve de devenir médecin, lui tend une bande dessinée. « Les aventures d’Adriko et Nampijja : la valeur des vaccins contre le VPH », peut-on lire sur la couverture.

Des BD à la rescousse

En dix pages richement illustrées, une leçon se déroule. Adriko, un garçon d’une dizaine d’années, et Nampijja, une fille du même âge, sont enfin de retour à l’école après le confinement. Les élèves échangent leurs nouvelles. Birungi annonce avec enthousiasme qu’elle a reçu une dose du vaccin contre le VPH. Kintu, lui, raconte que sa tante est récemment décédée d’un cancer du col de l’utérus.

La classe s’anime. Les questions fusent. Les enseignants, Martha et Moses, se retrouvent submergés : « À quoi sert ce vaccin ? Est-ce que ça fait mal ? Et les rumeurs selon lesquelles il rendrait stérile, sont-elles vraies ? »

Dans la salle des professeurs, autour d’une tasse de thé fumante, ils échafaudent un plan : pourquoi ne pas inviter le père de Birungi, l’infirmier John, à venir parler aux élèves ?

John arrive vêtu d’un uniforme blanc et d’un sourire rassurant. Dans un échange vivant avec les élèves, il explique que le vaccin est sûr, efficace et totalement gratuit.

Dans la clinique de Mulago, Nakyalu découvre la bande dessinée – produite par le ministère ougandais de la Santé avec le soutien de partenaires comme l’UNICEF et l’OMS – et la trouve à la fois distrayante et instructive, un bon moyen d’apaiser son anxiété avant la piqûre. Un mélange, dit-elle, de réconfort et de savoir.

« J’aime la BD sur le VPH, » confie Bwesigye, le jeune bénévole. « Elle aide à dissiper les rumeurs sur ce vaccin. Et puis, les illustrations sont vraiment mignonnes et attachantes. »

Extrait de la bande dessinée

Il a aussi appris quelques choses qu’il ignorait sur le virus grâce à la bande dessinée. « Ils disent que le cancer du col de l’utérus concerne les femmes, mais ce sont les hommes qui portent le virus », remarque-t-il.

Il n’a pas mené d’enquête auprès des visiteurs de la clinique pour connaître leur avis sur la BD, mais il ajoute avec un sourire : « Quand ils les prennent, ils ne les rendent jamais. »

Aiguille et plume

Les données du ministère ougandais de la Santé montrent qu’en 2022, 6 900 cas de cancer du col de l’utérus ont été recensés dans le pays. Tragiquement, 4 300 de ces femmes ont perdu la vie.

L'Ouganda cible les filles âgées de 10 à 14 ans avec le vaccin contre le VPH, qui prévient le cancer. « Idéalement, il n’y aurait pas de problème à vacciner d’autres groupes d’âge, surtout s’ils ne sont pas encore sexuellement actifs », explique le Dr Michael Baganizi, responsable du Programme élargi de vaccination (UNEPI) en Ouganda. Mais administrer ces doses à des personnes plus âgées risquerait de priver l’accès aux jeunes filles considérées comme les principales bénéficiaires du vaccin. Chaque pays planifie et budgétise la vaccination en fonction d’une population cible. « Vous ciblez le groupe qui tirera le plus grand bénéfice tout en tenant compte des ressources disponibles. »

Cela signifie que la priorité est donnée aux enfants. Mais dans certaines régions, constate la Dre Sabrina Bakeera Kitaka, pédiatre engagée dans la santé des adolescents, des parents hésitent à envoyer leurs enfants à l’école les jours de vaccination.

Une idée prend vie

« La sensibilisation doit parler directement à la population qui reçoit le vaccin », souligne la Dre Kitaka. « C’est pourquoi nous avons eu l’idée de créer une bande dessinée. »

Le projet a vu le jour après une rencontre entre l’ingénieur Rossini Silveira, ancien collaborateur de TotalEnergies, et la Dre Marta Ferraresso, alors doctorante.

Silveira travaillait avec une équipe d’artistes ougandais pour sensibiliser à la sécurité du carburant à travers une bande dessinée éducative. De son côté, la Dre Ferraresso menait un projet visant à améliorer l’adoption du vaccin contre le VPH en Ouganda.

Après plusieurs discussions, elle a invité la Dre Sabrina Kitaka et sa collègue, la Dre Monica Namuli, également pédiatre, à réfléchir au projet.

Comme beaucoup de bandes dessinées, le livre peut être lu par des enfants dès l’âge de six ans, souligne la Dre Kitaka. Il devient ainsi une source d’information qui n’a pas besoin d’être filtrée par les adultes.

Une fillette de huit ans a raconté aux médecins que sa mère avait barré le mot « sexe » dans la BD. Mais elle a ajouté qu’elle connaissait déjà ce mot et que la lecture du livre lui avait permis de comprendre pourquoi elle devrait recevoir le vaccin à partir de dix ans.

« Pour moi, c’est là toute la puissance de la littérature, la force de la lecture et l’impact d’une image qui en dit bien plus qu’un parent ne pourrait expliquer à son enfant sur l’importance de ce vaccin », affirme la Dre Kitaka. « La sensibilisation devrait même commencer dès l’âge de huit ans, afin que les enfants sachent que lorsqu’ils atteignent dix ans, ils doivent se faire vacciner. »

Elle ajoute : « Je pense que l’autre enjeu sera : comment faire du vaccin contre le VPH un vaccin neutre en termes de genre, pour que garçons et filles puissent en bénéficier ? »

Le message se propage

Jusqu’à présent, plus de 4 000 exemplaires de la bande dessinée ont été distribués en deux langues : l’anglais et le luganda. La plupart ont été remis à la clinique pour adolescents de l’hôpital de Mulago et lors d’actions de sensibilisation.

Le ministère de la Santé, en partenariat avec plusieurs organisations, s’est engagé à élargir encore cette diffusion. Pas moins de 200 000 exemplaires supplémentaires sont en cours d’impression.

La BD a déjà conquis des soutiens influents. « Cette bande dessinée est, à ce jour, la meilleure opportunité pour toucher les adolescents avec un message porteur d’espoir contre le cancer du col de l’utérus dans ce pays », affirme Geria Richard, artiste et ancien producteur exécutif de la célèbre série télévisée ougandaise The Hostel.