Au Kenya, des chefs religieux s’engagent pour encourager la vaccination contre le VPH

La foi peut aider la science à combler les fractures sociales, affirment prêtres et imams mobilisés en faveur du vaccin.

  • 18 août 2025
  • 6 min de lecture
  • par Pauline Achieng Tom
Une jeune fille accompagnée de son père pour recevoir le vaccin contre le VPH lors d’un camp médical organisé par l’AHETI. Crédit : Pauline Tom
Une jeune fille accompagnée de son père pour recevoir le vaccin contre le VPH lors d’un camp médical organisé par l’AHETI. Crédit : Pauline Tom
 

 

Tout avait commencé comme une journée ordinaire pour le Père Charles Chilufya, prêtre jésuite et directeur du Bureau Justice et Écologie (JEO) de la Conférence jésuite d’Afrique et de Madagascar (JCAM). Dans le cadre habituel de son ministère pastoral, il rendait visite aux malades à l’hôpital, apportant prières et réconfort. Mais, ce jour-là, quelque chose a changé dans une unité d’oncologie.

Chilufya y rencontre une femme atteinte d’un cancer du col de l’utérus. Sa souffrance le bouleverse profondément. « Elle était seule, souffrante, en train de mourir. Ça m’a profondément touché », se souvient-il avec gravité. « Plus tard, elle est décédée. Et à chaque nouvelle visite dans l’unité d’oncologie, elle était pleine à craquer. On m’a expliqué que les cas de cancer du col étaient en nette augmentation. »

C’est à cette période qu’il apprend que la grande majorité des cancers du col de l’utérus sont causés par le papillomavirus humain (VPH) – un virus contre lequel la vaccination offre une protection allant jusqu’à 99 %.

« Cette information a cristallisé ma décision : je m’engagerais dans la sensibilisation contre le cancer du col de l’utérus », confie le Père Chilufya.

Un appel

Selon un rapport du Pew Research Center publié en 2025, 95 % de la population d’Afrique subsaharienne s’identifie à une religion. Ce chiffre donne aux chefs religieux un poids social considérable, et un pouvoir d’influence particulièrement fort lorsqu’il s’agit de promouvoir des interventions de santé publique.

Ces derniers temps, un nombre croissant d’entre eux s’engagent en faveur du vaccin contre le VPH , transmettant le message depuis leurs chaires, dans les mosquées ou lors des rassemblements communautaires. Leur mobilisation contribue à écarter les idées reçues et à renforcer la confiance dans les vaccins.

Pour le Père Chilufya, c’est la publication des données présentées lors du Cervical Cancer Elimination Forum de 2024, en Colombie, qui a été le déclic. Ce forum mettait en lumière la charge du cancer du col de l’utérus en Afrique.

« On y apprenait que ce cancer est en voie d’élimination dans plusieurs régions du monde – sauf en Afrique. Cette maladie peut être évitée ; elle ne devrait pas continuer à tuer. Et pourtant, c’est le cas », déplore-t-il.

« Le fait qu’un vaccin existe, et que des femmes meurent encore, m’a poussé à agir », ajoute-t-il.

Archbishop Philip Anyolo of the Archdiocese of Nairobi (left) and Father Charles Chilufya (right) at a religious leaders' medical conference in Nairobi. Credit: Kenyaline Omolo
L’archevêque Philip Anyolo de l’archidiocèse de Nairobi (à gauche) et le Père Charles Chilufya (à droite) lors d’une conférence médicale des chefs religieux à Nairobi.
Crédit : Kenyaline Omolo

« La science a trouvé la solution, la foi peut combler le fossé »

Le Père Chilufya travaille désormais avec l’Africa Health and Economic Transformation Initiative (AHETI), une coalition de chefs religieux et de professionnels de santé mobilisés à travers le continent pour éliminer les maladies évitables, comme le cancer du col de l’utérus.

Cette organisation est née de la prise de conscience du rôle décisif que jouent les leaders religieux au sein de leurs communautés.

« La science a trouvé un moyen de mettre fin au cancer du col et à des souffrances inutiles grâce au vaccin contre le VPH. En tant que guide religieux, j’ai la responsabilité morale de contribuer à combler le manque d’information sur ce vaccin », affirme le Père Chilufya.

L’organisation vise à faire vacciner plus de deux millions de jeunes filles contre le VPH, tout en luttant activement contre la stigmatisation et la désinformation qui freinent son adoption.

« Nous travaillons avec des leaders de différentes confessions – chrétienne, musulmane, hindoue, et religions traditionnelles africaines – pour instaurer un climat de confiance. Lorsqu’un prêtre, un pasteur ou un imam parle positivement des vaccins, ce n’est pas seulement un acte médical, c’est aussi un acte d’amour et une responsabilité spirituelle. »

« Le vaccin est sûr, il est efficace »

Dans le comté de Kwale, le Sheikh Amani Khamis est imam. Il est également président du Kenya Muslims National Advisory Council (KEMNAC) et dirige le conseil interreligieux du comté.

Dans cette communauté majoritairement musulmane, les idées reçues autour du vaccin contre le VPH sont fréquentes. Sa voix de guide religieux joue donc un rôle clé pour établir un pont entre la science et la foi.

« De nombreux parents s’inquiètent de la sécurité du vaccin. Cette peur découle d’un manque d’information sur ses véritables bienfaits », explique-t-il.

Pour convaincre les fidèles, Sheikh Khamis s’appuie sur le Coran et les Hadiths afin de montrer l’importance de la science dans la vie quotidienne.

Il rappelle que le livre sacré contient des références à des maladies qui touchaient déjà les générations passées. Les premiers savants musulmans reconnaissaient la valeur de la médecine et l’acceptaient comme un moyen de préserver la vie.

« En tant que guide spirituel, je sais que Dieu a fait exister la maladie dans le monde, mais qu’il nous a aussi donné les moyens de la soigner », souligne-t-il.

Confronté dans son ministère à la réalité du cancer – et notamment à la charge financière écrasante qu’il fait peser sur les familles – il est animé par la volonté de promouvoir la prévention. Son engagement vise à offrir à la fois du réconfort, de l’empathie et des conseils concrets.

« En tant que guide religieux, j’apporte du réconfort et je prie. J’ai vu passer tant de cas de cancer du col de l’utérus : parfois, nous organisons des collectes de fonds à la mosquée pour venir en aide aux patientes », confie Sheikh Khamis.
« Une femme en particulier, je me souviens lui avoir redonné espoir, en lui expliquant que cette maladie existe bel et bien – et en lui donnant des conseils sur la manière de protéger ses filles grâce à la vaccination. »

Au-delà de ses prêches du vendredi à la mosquée, Sheikh Khamis organise régulièrement des ateliers dans le comté pour sensibiliser d’autres leaders religieux au cancer du col de l’utérus et au vaccin contre le VPH.

« Je mène des dialogues interreligieux avec des chrétiens, des hindous, et des Kaya elders (chefs spirituels traditionnels du peuple Mijikenda). Je transmets ce message partout où je vais – que ce soit lors de mariages, d’obsèques ou de rencontres avec les jeunes – et le message reste toujours le même : le vaccin contre le VPH est sûr, et il fonctionne. »

Sheikh Amani Khamisi addressing religious leaders at an interfaith meeting in Kwale. Credit: Amani Khamisi
Le Sheikh Amani Khamis s’adressant à des chefs religieux lors d’une rencontre interreligieuse à Kwale.
Crédit : Amani Khamisi

Le combat d’une survivante

Pour Emily Wekesa, le cancer du col de l’utérus n’est pas une légende ou un récit lointain – c’est une réalité vécue. Cette année marque sa cinquième année de rémission.

ujourd’hui, en tant que mère, elle se consacre à la sensibilisation autour du vaccin contre le VPH, une cause qu’elle porte avec fierté.

Son engagement part d’un constat simple : le manque d’information sur l’existence même du vaccin.

« J’ai entendu parler du vaccin contre le VPH après avoir terminé mon traitement. C’est là que j’ai compris à quel point il est crucial que les gens soient informés. Je n’aurais jamais dû vivre ce que j’ai vécu », confie-t-elle.

C’est d’abord dans sa propre famille qu’Emily a commencé son action, en accompagnant ses deux nièces à la clinique pour recevoir le vaccin. Elles ont fait partie de la toute première cohorte vaccinée au Kenya.

« Après avoir rencontré des chefs religieux par l’intermédiaire de l’AHETI, j’ai su que je voulais faire vacciner mes nièces, qui avaient alors 10 et 12 ans. Je voulais les protéger de ce que j’avais traversé. J’ai donc pris le temps d’expliquer à leurs parents l’importance du vaccin. »

« Les faire vacciner m’a procuré une vraie tranquillité d’esprit. J’avais le sentiment de leur offrir la meilleure protection possible pour l’avenir », ajoute-t-elle.

Si son propre parcours avec la maladie l’a poussée à agir, Emily reconnaît que l’engagement des chefs religieux a renforcé sa confiance.

« Personnellement, je suis catholique, et quand j’ai entendu mon propre évêque parler du vaccin et encourager les fidèles à le recevoir, cela m’a vraiment rassurée. Ça m’a donné confiance, et j’ai compris que ce vaccin est très sûr. »

Le fardeau du cancer du col de l’utérus

Au Kenya, le cancer du col de l’utérus reste le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes – alors même qu’il s’agit du cancer le plus évitable.

Selon le Global Cancer Observatory (GLOBOCAN), en 2022, environ dix femmes meurent chaque jour de cette maladie dans le pays. Le Kenya enregistre 53 cas pour 100 000 femmes, bien au-dessus de l’objectif fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui est de 4 cas pour 100 000.

Le ministère kényan de la Santé a introduit le vaccin contre le VPH en 2019. Depuis, environ 3,3 millions de jeunes filles ont été vaccinées : un progrès, mais encore en deçà des objectifs. La campagne a été freinée par un manque d’information et par des idées reçues qui ont alimenté les réticences de nombreux parents.

« C’est là que les chefs religieux ont un rôle à jouer », souligne le Père Chilufya. « Nous sommes déterminés à aider le gouvernement à atteindre les objectifs 90-70-90 de l’OMS. »

Dans sa stratégie d’élimination, l’OMS recommande en effet que 90 % des filles soient vaccinées, 70 % des femmes soient dépistées, et 90 % de celles qui en ont besoin soient prises en charge.

Alors que cette initiative interconfessionnelle unique prend de l’ampleur à travers le pays, elle incarne une révolution silencieuse : l’union de la foi et de la science au service du bien commun.