Dans la région escarpée d’Eyumojock, au Cameroun, vacciner les enfants non immunisés relève du parcours du combattant

Que signifie vraiment « difficile d’accès » ? Dans l’une des zones les moins vaccinées du pays, Akem Olives Nkwain est allé voir de plus près.

  • 17 avril 2025
  • 4 min de lecture
  • par Akem Olives Nkwain
Les agents de santé camerounais redoublent d’efforts pour administrer les vaccins à Eyumojock.
Les agents de santé camerounais redoublent d’efforts pour administrer les vaccins à Eyumojock.
 

 

« Ce district de santé compte l’un des plus grands nombres d’enfants zéro dose du pays », explique Ghangha Jamin Ghangha, à propos d’Eyumojock, dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. Il est loin d’être seul à vouloir changer cela.

Le paysage varié et accidenté du district complique naturellement l’accès aux soins. Collines au nord et au sud, la rivière Munaya qui traverse l’est… Les habitations sont dispersées, et le réseau routier se dégrade fortement en saison des pluies, rendant difficile l’acheminement des vaccins, des médicaments et autres fournitures essentielles. « Améliorer les infrastructures est indispensable pour faire progresser la couverture vaccinale et améliorer les résultats de santé dans le district d’Eyumojock », souligne Ghangha.

Expert en santé publique au sein de Rural Doctors, une ONG qui lutte contre les inégalités de santé dans les zones reculées et vulnérables du Cameroun, Ghangha collabore depuis plusieurs années avec le district de santé d’Eyumojock.

Ensemble, ils mènent un projet ambitieux pour rattraper le retard vaccinal chez les enfants. Mais les défis sont nombreux. En 2024, le district s’était fixé l’objectif de vacciner au moins 1 358 enfants âgés de 0 à 11 mois. À la fin de l’année, seuls 415 avaient pu recevoir ces vaccins essentiels.

Mieux comprendre la notion de « zones difficiles d’accès »

Le faible taux de vaccination dans le district s’explique en grande partie par une forte hésitation vaccinale, nourrie par une vague de désinformation qui a pris de l’ampleur pendant la pandémie de COVID-19. Mais la méfiance envers les services de santé ne date pas d’hier : le conflit armé entre le gouvernement camerounais et les mouvements séparatistes – connu sous le nom de crise anglophone – a profondément fragilisé le lien entre les institutions publiques et les communautés dans les zones concernées.

Le conflit a débuté en 2016, lorsque des enseignants et des avocats se sont mis en grève pour protester contre les conditions imposées à la minorité anglophone dans un pays largement francophone. La contestation s’est rapidement transformée en affrontement ouvert. Et à mesure que la crise s’est prolongée, l’accès aux soins de santé s’est dégradé.

« La violence persistante liée à la crise a gravement perturbé la vaccination systématique et les activités de surveillance épidémiologique. Les fusillades fréquentes, les confinements prolongés et l’instauration de villes mortes ont conduit de nombreuses mères à manquer les rendez-vous de vaccination de leurs enfants. Malheureusement, beaucoup ne reviennent pas au centre de santé une fois la situation apaisée, ce qui constitue un sérieux frein aux efforts de vaccination », explique Ghangha.

 

Ghangha Jamin Ghangha speaks with community leaders on strategies to improve vaccination access. Credit: Courtesy of Ghangha
Ghangha Jamin Ghangha échange avec des leaders communautaires sur les stratégies à mettre en place pour améliorer l’accès à la vaccination.
Crédit : Avec l’aimable autorisation de Ghangha

« Le district de santé d’Eyumojock est classé zone rouge depuis huit ans par les autorités sécuritaires, ce qui indique une situation très instable et sujette à des changements imprévisibles », explique Ghangha.

Odette Manyi Tabot, cheffe du centre de santé de la zone d’Ekok, souligne un autre obstacle majeur : la mobilité constante des populations. « Ekok et les communautés voisines sont situées près de la frontière, ce qui complique le suivi des enfants non vaccinés. Les routes en mauvais état et les problèmes de sécurité entravent souvent nos déplacements et découragent les parents de se rendre aux rendez-vous de vaccination, jugés trop risqués », explique-t-elle.

Des épidémies à craindre

Le Dr Mokube Nabereya Itoe, médecin-chef du district de santé d’Eyumojock, insiste sur les risques considérables liés à une couverture vaccinale insuffisante. Selon lui, le district est exposé à des épidémies de maladies telles que la polio, la rougeole ou la fièvre jaune, avec des conséquences graves pour les populations les plus vulnérables, notamment les enfants de 0 à 5 ans.

« Il y a deux ans, une épidémie de rougeole a touché le district de santé d’Eyumojock. Grâce au soutien de la délégation régionale de la santé publique et de nos partenaires, nous avons pu la contenir », rapporte-t-il.

Alors que le district de santé d’Eyumojock continue de faire face à ces nombreux défis, Ghangha et Manyi soulignent qu’il devient de plus en plus urgent de trouver des stratégies efficaces pour lutter contre l’hésitation vaccinale et rétablir l’accès aux soins.

« Notre stratégie repose sur l’implication directe des communautés, à travers des campagnes de vaccination porte-à-porte et des actions de sensibilisation de masse pour souligner l’importance de la vaccination », explique Manyi.

« Pour améliorer les taux de vaccination, notre intervention s’est appuyée sur les leaders communautaires, les associations de femmes et les figures religieuses. Ensemble, nous avons mis en place un système de référencement qui incite les mères à respecter le calendrier vaccinal. Cette initiative permet de mieux faire connaître les risques liés au non-recours à la vaccination. Résultat : de plus en plus de mères se rendent dans les rares unités mère-enfant encore actives à Eyumojock, un signe encourageant par rapport aux années précédentes », observe Ghangha.

Rattraper le retard

Parallèlement aux autres mesures en place, le Dr Mokube indique que le district mise sur des campagnes de vaccination supplémentaires, organisées périodiquement, pour réduire le nombre d’enfants zéro dose ou sous-vaccinés.

« L’une de ces initiatives est la campagne de rattrapage vaccinal Big Catch-Up, lancée le 7 mars 2025. Trois zones de santé prioritaires y participent actuellement : Afap, Eyumojock et Ekok, qui comptent le plus grand nombre d’enfants non vaccinés ou sous-vaccinés. Grâce aux ressources mobilisées pour ces campagnes, nous avons pu administrer les vaccins de routine à ces enfants », précise-t-il.