Trois ans après une épidémie meurtrière, le Zimbabwe renforce sa lutte contre la rougeole

Depuis la flambée de rougeole en 2022, qui a coûté la vie à des centaines d’enfants, le Zimbabwe a multiplié les efforts pour renforcer la vaccination. Mobilisation communautaire, dialogue avec les leaders religieux et campagnes de sensibilisation ont permis de surmonter les réticences et de replacer la prévention au cœur des priorités de santé publique.

  • 16 mai 2025
  • 5 min de lecture
  • par Enos Denhere
Sœur Mayoyo et Sœur Ratowa. Crédit : Enos Denhere
Sœur Mayoyo et Sœur Ratowa. Crédit : Enos Denhere
 

 

Le premier enfant d’Amai Nyasha avait neuf ans en avril 2022, lorsque la rougeole a commencé à se propager rapidement dans les dix provinces du Zimbabwe. En quelques mois, des milliers de personnes étaient infectées, et plus de 750 enfants avaient perdu la vie.

« Je n’ai pas hésité : je l’ai emmenée se faire vacciner tout de suite », se souvient Amai Nyasha, rencontrée lors d’une séance de vaccination de routine dans une clinique de Budiriro, à Harare. Trois ans ont passé, et cette fois, c’est avec son jeune fils qu’elle revient. Mais contrairement à 2022, ce n’est pas la peur immédiate d’une épidémie meurtrière qui a motivé sa décision. « Les campagnes de sensibilisation m’ont aidée à faire le bon choix », explique-t-elle.

Une onde de choc : un électrochoc pour le Zimbabwe

Pour les soignants comme pour les familles, le souvenir de l’épidémie de rougeole de 2022 reste douloureux. La vaccination de routine avait été fortement perturbée par la pandémie de COVID-19. Dans certaines communautés, notamment au sein de groupes religieux apostoliques, la méfiance à l’égard des vaccins s’était accentuée.

« Cette épidémie a été un électrochoc tragique », confie le Dr Aspect J.V. Maunganidze, secrétaire permanent au ministère de la Santé et de la Protection de l’enfance. « Elle a mis en lumière les failles de notre système, mais elle nous a aussi forcés à agir de manière décisive. »

Face à l’ampleur de la crise, le gouvernement a lancé une campagne nationale de vaccination contre la rougeole en deux phases. La première, ciblant les enfants de moins de cinq ans, a permis de vacciner 1 970 123 enfants — soit 85,9 % de l’objectif de 2 292 898. La seconde phase, déployée début 2023, a concerné les enfants de 5 à 14 ans dans les districts à haut risque comme Chipinge, Gutu, Mazowe et Chiredzi.

Ces chiffres, communiqués par le ministère de la Santé, témoignent d’une montée en puissance rapide et résolue des efforts. Mais derrière les statistiques se cache une réalité humaine plus profonde — faite de peurs affrontées, de fausses croyances balayées et de communautés mobilisées.

Combattre la désinformation, porte à porte

À Budiriro, un quartier densément peuplé de Harare, l’épidémie a été vécue comme une menace immédiate. Wilbert Mavhunga, menuisier dont l’atelier se trouve à deux pas de la polyclinique de Budiriro, se souvient que l’incertitude se propageait plus vite encore que le virus. « Les rumeurs étaient partout », raconte-t-il. « Certains disaient que les vaccins contre la rougeole étaient en réalité des vaccins contre le COVID-19 déguisés. »

L’atmosphère générale d’anxiété provoquée par la pandémie avait semé la confusion dans de nombreuses familles, et la confiance entre les communautés et le système de santé s’était détériorée. Mais les soignants, formés à l’engagement communautaire, ont lancé une campagne de porte-à-porte pour lutter contre l’hésitation vaccinale.

« Ils prenaient le temps d’expliquer les risques liés à la rougeole et la manière dont les vaccins pouvaient protéger nos enfants », raconte Mavhunga. « À la fin, ma femme et moi, on s’est dit qu’il valait mieux agir que rester dans la peur. Aujourd’hui, je suis heureux de l’avoir fait. »

Sœur Mayoyo, responsable des services de santé familiale à la polyclinique de Budiriro, a supervisé une grande partie de cet effort de terrain. « Nous avons ciblé les enfants de quatre mois à quinze ans, en allant directement dans les foyers et en organisant des cliniques locales », explique-t-elle. « L’éducation a été notre premier outil. L’objectif, ce n’était pas seulement que les gens se fassent vacciner, mais qu’ils comprennent pourquoi. »

 

Wilbert Mavhunga, a carpenter whose workshop is just steps from the Budiriro Polyclinic
Wilbert Mavhunga, menuisier dont l’atelier se trouve à quelques pas de la polyclinique de Budiriro.
Crédit : Enos Denhere

Gagner les cœurs par le dialogue et la foi

L’engagement religieux a joué un rôle déterminant. Les communautés apostoliques, historiquement réticentes à la vaccination, ont été approchées non pas avec jugement, mais avec empathie et volonté de dialogue.

« Nous avons contacté les chefs religieux avec respect », raconte Sœur Ratowa, responsable des services de maternité à Budiriro. « Nous leur avons assuré qu’aucune couverture médiatique ne serait faite de leur participation à la vaccination, ce qui a permis d’instaurer un climat de confiance. »

Lors des consultations mensuelles pour bébés, les mères recevaient des informations régulières sur l’importance des vaccins. Ces séances donnaient aux soignants l’occasion de répondre directement aux inquiétudes, contribuant ainsi, peu à peu, à faire évoluer les mentalités.

Le Dr Maunganidze souligne lui aussi l’importance de ces partenariats. « Nous avons travaillé en étroite collaboration avec des groupes interconfessionnels — catholiques, musulmans, traditionalistes, apostoliques. Ils ont relayé les messages de santé auprès de leurs fidèles, et cela a tout changé. »

La coalition interconfessionnelle comprenait notamment le Conseil des Églises du Zimbabwe, la Conférence des évêques catholiques, l’UDACIZA et le Conseil islamique. Leur engagement a permis de surmonter les clivages culturels et d’inclure des communautés jusque-là réticentes.

Le rôle des héros locaux : le parcours de Francis Musiyiwa

Dans toute campagne réussie, la mobilisation locale est essentielle. Francis Musiyiwa, ancien respecté et leader religieux à Budiriro, a joué un rôle clé pour convaincre les familles apostoliques de son quartier.

« Je savais que notre communauté avait besoin d’être rassurée », explique-t-il. « Les gens font plus confiance à leurs responsables religieux qu’à quiconque. J’ai donc parlé aux chefs d’églises, organisé des réunions, et même partagé des informations dans nos groupes WhatsApp. »

Grâce à son engagement, la conversation est peu à peu passée de la méfiance à la protection. « Chaque message partagé pouvait sauver la vie d’un enfant », dit-il. Son implication a laissé une empreinte durable dans sa communauté.

Des chiffres porteurs d’espoir

L’impact de la campagne à Budiriro a été particulièrement remarquable. Le quartier compte 1 754 enfants de moins d’un an, 6 023 enfants âgés d’un à quatre ans, et 19 061 enfants de moins de quinze ans.

Grâce à une forte mobilisation communautaire, Budiriro a atteint près de 100 % de couverture vaccinale au plus fort de l’épidémie, selon le personnel de santé local. Les vaccins étaient acheminés par des équipes mobiles équipées de glacières et de packs de glace. En cas d’affluence, les cliniques recrutaient du personnel supplémentaire pour maintenir le rythme de la réponse.

Aujourd’hui, les équipes de santé sont mieux préparées à faire face à de futures flambées. « Nous ne sommes plus simplement en réaction », explique Sœur Ratowa. « Nous construisons des systèmes qui préviennent, qui éduquent et qui réagissent plus vite. »

Une voie à suivre

Le Zimbabwe prévoit de mener en juin 2025 une analyse approfondie des causes des flambées de maladies évitables par la vaccination. Les conclusions alimenteront un plan national pluriannuel visant à améliorer les infrastructures, l’accès et l’éducation en matière de vaccination.

Parmi les priorités figurent la construction de postes de santé dans les zones mal desservies, l’extension des campagnes mobiles et le renforcement continu des compétences du personnel de santé.

« Les vaccins sont gratuits et accessibles », souligne le Dr Maunganidze. « Mais l’accès doit aller de pair avec la confiance. C’est là que notre travail d’engagement continu prend tout son sens. »

De la crise à une confiance retrouvée

L’épidémie de rougeole de 2022 a mis en lumière les fragilités du système de santé publique au Zimbabwe. Mais le pays a répondu non par le découragement, mais par la détermination.

Pour des parents comme Amai Nyasha, des figures locales comme Francis Musiyiwa, ou des soignantes comme Sœurs Mayoyo et Ratowa, ce chapitre n’est pas une fin, mais un commencement.

« Nous ne faisons pas que lutter contre la rougeole », affirme Sœur Mayoyo. « Nous construisons un avenir en meilleure santé — enfant par enfant, famille par famille, porte après porte. »