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Comment un scientifique congolais pourrait révolutionner la production d'anti-venins abordables en Afrique centrale

La République du Congo abrite sept des 18 familles de serpents recensées dans le monde. De nombreux Congolais succombent à leurs moruses dans les zones rurales où l’accès aux traitements est limité, ainsi que dans les villes, en raison du manque d’anti-venins efficaces et abordables pour les citoyens. Cette situation a poussé Ange Gislain Zassi-Boulou, docteur en sciences biologiques et spécialiste en herpétologie, à s'attaquer à ce problème.

  • 24 octobre 2024
  • 6 min de lecture
  • par Brice Kinhou
Atheris squamigera, une vipère des arbres venimeuse, originaire des forêts d’Afrique centrale, étudiée dans le cadre des recherches sur la production locale d’anti-venins au Congo-Brazzaville. Crédit : Professeur Ange Gislain Zassi-Boulou
Atheris squamigera, une vipère des arbres venimeuse, originaire des forêts d’Afrique centrale, étudiée dans le cadre des recherches sur la production locale d’anti-venins au Congo-Brazzaville. Crédit : Professeur Ange Gislain Zassi-Boulou
 

 

Un fléau sous-estimé en Afrique centrale

Mouyondzi, un village du département de la Bouenza, est considéré comme le grenier du Congo-Brazzaville. C’est là que Kartum Gomo-Gomo, agriculteur vit et travaille. Il a été victime de morsures de serpent et témoin de nombreux cas mortels ou ayant laissé des séquelles. Ce jeune homme d’une trentaine d’années déclare : « Avec notre travail, nous sommes constamment en contact avec les animaux, surtout les serpents. J’ai été mordu deux fois, en 2015 et en 2021, alors que je travaillais dans les champs. J’ai eu la chance de recevoir des traitements traditionnels qui ont fonctionné. Mon cousin, lui, n’a pas eu cette chance ; il est mort après une morsure de serpent, malgré les soins. Il y a beaucoup de cas comme ça. Certains serpents sont connus, mais d’autres sont méconnus. Un autre homme du village a survécu à une morsure, mais il ne marche plus correctement. »

Les paysans, ainsi que ceux qui travaillent dans les forêts, les savanes, ou encore les pêcheurs, sont très exposés aux morsures de serpents. La présence du cobra aquatique, par exemple, dans un cours d’eau est souvent synonyme de poissons, mais ce serpent très venimeux est responsable de nombreuses morsures et décès. Des cas de morsures sont rapportés non seulement dans la Bouenza, mais aussi dans les 11 autres départements du pays. L’absence de sérums anti-venins efficaces et le prix exorbitant des traitements importés, 85 150 francs CFA (environ 140 dollars américains) pour une ampoule de 250 mg, les rendent inaccessibles aux populations rurales les plus vulnérables, qui se tournent souvent vers les tradipraticiens, avec des risques considérables.

Compte tenu du fait que certaines morsures nécessitent trois à quatre ampoules, voire plus, le professeur Ange Gislain Zassi-Boulou estime que la production locale d’anti-venins est une solution incontournable pour sauver des vies. Chercheur à l'Institut national de recherche en sciences exactes et naturelles, il a lancé une initiative ambitieuse visant à produire localement des anti-venins à un prix défiant toute concurrence, avec une équipe de jeunes chercheurs.

Les paysans, ainsi que ceux qui travaillent dans les forêts, les savanes, ou encore les pêcheurs, sont très exposés aux morsures de serpents. La présence du cobra aquatique, par exemple, dans un cours d’eau est souvent synonyme de poissons, mais ce serpent très venimeux est responsable de nombreuses morsures et décès.

Avec ce projet, le chercheur espère attirer l’attention des autorités sur cette maladie tropicale négligée, encore largement ignorée. « Par l'intermédiaire de la Société d'herpétologie du Congo, nous voulons lancer un cri d'alarme aux pouvoirs publics afin qu'ils prennent à bras-le-corps ce problème de l’envenimation, et qu’ils cherchent des solutions pour endiguer ce phénomène », explique le professeur Zassi-Boulou.

Pour concrétiser cette initiative, plusieurs étapes sont nécessaires, selon Mouyele Geny Dieucimer, collaborateur du professeur Zassi-Boulou. Il s'agit notamment de connaître l’écologie et la biologie des serpents, leur habitat, leur alimentation, ainsi que leur reproduction, en se concentrant sur les espèces venimeuses. Des études épidémiologiques doivent aussi être menées pour identifier les zones à forte densité de serpents dangereux et les espèces impliquées dans les morsures. Il s'agit ensuite de capturer les serpents venimeux identifiés et catégorisés, à l’aide de méthodes actives (recherches ou patrouilles avec des cannes et des gants) ou passives (pose de pièges spécifiques), afin de les domestiquer dans un serpentarium où ils sont entretenus pour permettre l’extraction du venin, nécessaire à la fabrication de l’anti-venin en laboratoire.

Les défis de la production d'anti-venins au Congo

Une étude réalisée en 2010 a montré que le venin de serpent est extrêmement variable et que pour obtenir un bon anti-venin, il est nécessaire de combiner plusieurs types de venins de la même espèce. De plus, divers facteurs influencent la toxicité du venin, tels que l’habitat du serpent, son alimentation, son sexe et son âge. Par exemple, le venin des serpents juvéniles est souvent plus toxique que celui des adultes.

La dangerosité d'un serpent est liée à sa dentition. On distingue quatre types de serpents en fonction de la structure de leurs dents.

  1. Aglyphes : Ils possèdent des dents simples, sans crochets à venin ni appareil venimeux. Ce sont des serpents non venimeux, inoffensifs pour l'homme.
  2. Opisthoglyphes : En plus de leurs dents ordinaires, ces serpents ont un petit crochet à venin situé à l’arrière de la mâchoire. Pour inoculer le venin, ils doivent ouvrir grand la bouche. Ce groupe inclut des espèces faiblement venimeuses.
  3. Protéroglyphes : Ce groupe, qui inclut les cobras et les mambas, possède des crochets venimeux très courts, placés à l'avant de la mâchoire et toujours prêts à l’attaque.
  4. Solénoglyphes : Ce sont les serpents les plus dangereux, comme les vipères. Leurs crochets à venin, longs et semi-mobiles, sont situés à l’avant de la mâchoire.

Le venin est un ensemble complexe d'acides aminés, une vingtaine au minimum. Chez les vipères, on trouve des venins hémotoxiques qui détruisent le système de coagulation sanguine, provoquant la mort par hémorragie. Les venins neurotoxiques, que l’on retrouve chez les cobras et les mambas, paralysent les muscles de la victime. Enfin, les venins cardiotoxiques attaquent directement le muscle cardiaque, entraînant souvent la mort en quelques minutes.

La production d’anti-venins au Congo-Brazzaville n'est pas sans obstacles. Sur les 129 espèces de serpents identifiées, environ quarante sont venimeuses et une vingtaine potentiellement mortelle. Le financement de la recherche scientifique est souvent limité, et les infrastructures ne sont pas toujours adaptées. De plus, les équipements de laboratoire pour purifier le venin et produire des anti-venins sont coûteux et doivent souvent être importés, ce qui alourdit les coûts de production. Par ailleurs, la lourdeur bureaucratique pour obtenir financements et autorisations retarde parfois le projet.

Sensibilisation et prévention : des clés pour sauver des vies

En attendant, la Société d'herpétologie du Congo poursuit ses recherches pour mieux connaître la biodiversité herpétologique du pays et multiplie les séances de sensibilisation sur les pratiques à éviter en cas de morsure de serpent (mise en place de garrots, scarifications, etc.) et celles à adopter (éviter les efforts physiques, retirer les vêtements serrés, et se rendre rapidement dans un centre de santé plutôt que chez un tradipraticien). Le professeur Zassi-Boulou et ses collaborateurs forment également de temps à autre le personnel médical.

Ce projet pourrait bien marquer le début d'une révolution dans la manière dont les pays africains abordent les soins de santé, en privilégiant des solutions locales, durables et accessibles à tous. Une initiative qui pourrait sauver des milliers de vies chaque année et illustrer le pouvoir de l'innovation scientifique au service des populations les plus vulnérables.


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