Enfants zéro dose au Congo-Brazzaville : comprendre pour agir
Au Congo-Brazzaville, des milliers d’enfants n’ont jamais reçu le moindre vaccin. Exposés dès leur naissance à des maladies évitables comme la rougeole, la polio ou la diphtérie, ces enfants dits « zéro dose » incarnent les vulnérabilités d’un système de santé qui peine à atteindre les populations les plus éloignées.
- 1 mai 2025
- 5 min de lecture
- par Brice Kinhou

Méfiance, pauvreté, isolement : les racines du refus
De nombreux acteurs – du ministère des Soins et Services de Santé à l’ONG CARITAS Congo, en passant par des organisations communautaires et internationales – s'efforcent de retrouver ces enfants et de les réintégrer dans le circuit vaccinal. Mais pourquoi échappent-ils au système en premier lieu ?
Qu’ils vivent dans des villages reculés, des quartiers informels ou soient déplacés par des crises, les raisons sont multiples. L’éloignement, le manque de moyens, la priorité donnée à la survie quotidienne, la méfiance envers le système de santé ou encore la désinformation contribuent à nourrir ce phénomène.
Pour certains, la distance entre le domicile et le centre de santé constitue un obstacle majeur. Pour d’autres, même lorsque les vaccins sont gratuits, les coûts de transport, de nourriture ou la perte d’une journée de travail freinent l’accès.
Dans certaines communautés, la défiance envers la vaccination est profonde. Mais dès lors que les parents reçoivent une information claire et fiable, beaucoup sont prêts à faire vacciner leurs enfants.
Le Dr Engoma Préfina Séphora, cheffe du centre de santé intégré Saint-Joseph à Pointe-Noire, en témoigne :
« Lors d’une causerie avec le chef de quartier, j’ai vu que, bien informées, les mamans posaient toutes leurs questions et regrettaient de ne pas être venues plus tôt. Elles sont revenues à l’hôpital faire vacciner leurs enfants. »
Au quartier Matindé, à Pointe-Noire, Stella Ngoma, mère célibataire, raconte comment son fils John, deux ans, est devenu un enfant « zéro dose » :
« Quand mon dernier enfant est né, mon mari nous a quittés. Je me suis retrouvée seule avec trois enfants, sans emploi. Après la première injection, John a eu une forte fièvre pendant deux jours. J’ai paniqué. Une voisine m’a prêté de l’argent pour le soigner, mais elle m’a aussi dit que les vaccins pouvaient tuer les enfants. D’autres femmes ont confirmé. Depuis, je n’ai plus osé y retourner. »

Crédit : Brice Kinhou
Le cas de Stella n’est pas isolé. Alimentée par des récits alarmistes, souvent relayés par des figures religieuses influentes, la méfiance envers la vaccination s’installe durablement dans certaines familles.
Une mobilisation collective sur le terrain
Face à cette urgence, le ministère congolais des Soins et Services de Santé, avec le soutien de CARITAS Congo, a mis en place des campagnes ciblées pour identifier, localiser et vacciner les enfants « zéro dose », en particulier dans les zones rurales isolées et les quartiers précaires. Ces opérations s’accompagnent de séances d’information en langues locales, de la distribution de carnets de vaccination et d’un suivi personnalisé.
« On a compris que beaucoup de parents ne viennent pas spontanément à l’hôpital. Nous aidons les autorités sanitaires avec un appui technique et financier pour rendre les campagnes mobiles plus efficaces », explique Juste Olichichingui, point focal de Gavi pour CARITAS à Pointe-Noire.
L’ONG mise aussi sur les relais communautaires : des hommes et des femmes issus des quartiers, capables de dialoguer dans la langue locale et de comprendre les croyances qui freinent la vaccination. Une clé pour lever les barrières culturelles.
Pour aller plus loin
Sur le terrain, le porte-à-porte est devenu central.
« Ce que je préfère dans ces campagnes, c’est le terrain », confie le Dr Engoma Préfina Séphora. « On comprend beaucoup de choses : certaines mamans ont été rebutées par une remarque d’un agent de santé. D’autres craignent que le vaccin ne nuise à leurs enfants, parce que c’est ce que l’on dit dans leur ethnie. Quand je rencontre ces cas, j’essaie de les rassurer. »
Pour renforcer l’efficacité des campagnes, des outils numériques sont désormais utilisés. Grâce à des tablettes, les équipes collectent en temps réel les données : statut vaccinal, localisation, nombre d’enfants par foyer. Cela permet une planification plus fine et un meilleur suivi.
Les leaders communautaires et religieux jouent un rôle essentiel pour briser les tabous et encourager l’adhésion. Chefs traditionnels, pasteurs ou imams peuvent, par leur seule parole, faire évoluer l’opinion d’une communauté entière.
À Mouyondzi, une collaboration étroite entre l’église locale et les autorités sanitaires a permis de tripler la couverture vaccinale en quelques mois. Certaines équipes vont plus loin : en associant la vaccination à d’autres services — dépistage nutritionnel, pesée, traitement antiparasitaire — elles attirent davantage de familles. Une approche globale, mieux adaptée aux réalités du terrain.
Au-delà des vaccins, un combat pour la justice sociale
L’enfant non vacciné n’est pas seulement celui qu’on n’a pas atteint. C’est souvent un enfant exclu sous plusieurs angles : sans école, sans acte de naissance, sans accès aux soins.
« L’enfant zéro dose, c’est celui dont la mère n’a jamais vu un médecin », résume Nathalie Elenga, du Programme élargi de vaccination (PEV).
Et les conséquences sont graves. En 2024, plusieurs flambées de rougeole dans le pays ont été liées à ces poches d’enfants non vaccinés.
« Le moindre foyer peut tout relancer si l’immunité collective est faible », prévient le Dr Gatali Kibangou Marina, pédiatre à l’hôpital A. Sicé.
La lutte contre les enfants zéro dose va donc bien au-delà de la vaccination. C’est un enjeu d’équité, de justice sociale, de droit fondamental à la santé.
Les campagnes menées par le ministère de la Santé et CARITAS sauvent déjà des milliers de vies. Mais elles rappellent aussi une réalité plus vaste : pour atteindre chaque enfant, il faut bâtir un système capable de voir les plus invisibles.
Tout repose sur une idée simple mais décisive : aucun enfant ne doit être laissé de côté.
Cela implique de reconstruire la confiance — entre les familles et les soignants, entre les communautés et l’État. Des signes d’espoir émergent : avec l’appui de l’UNICEF et de Gavi, le ministère renforce la surveillance des naissances et forme davantage d’agents de santé communautaires.
Le chemin reste long, mais chaque enfant retrouvé est une victoire.