Pas de réseau, pas de problème : au Cameroun, des agents de santé mobilisent les communautés pour la vaccination
Un réseau de communication d’avant l’ère numérique permet de contourner les pannes de télécommunication — et de rétablir la confiance.
- 16 octobre 2025
- 5 min de lecture
- par Delphine Fri Chifor

Dans certaines zones des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, marquées par les conflits, les stations de radio et de télévision locales ont depuis longtemps cessé d’émettre. Les smartphones restent réservés à une minorité privilégiée, et le réseau de télécommunications est peu fiable.
Pour les agents de santé des districts d’Ako, d’Ekondo-Titi, de Fontem et de Nwa, cela rend la sensibilisation à la vaccination particulièrement difficile.
Ici, ce qui peut sembler être de l’hésitation vaccinale n’est généralement pas un rejet pur et simple des vaccins, mais plutôt un manque de connaissances de base : qu’est-ce qu’un vaccin, et à quoi sert-il ? Quels vaccins sont nécessaires pour compléter le schéma vaccinal d’un enfant ? Si un enfant rate une dose, peut-il la rattraper ? Et peut-on faire confiance à ceux qui apportent le vaccin ?
L’absence de réponses à ces questions laisse place à la spéculation, et celle-ci rend les communautés vulnérables à la désinformation et aux fausses croyances en matière de santé. Même les affirmations les plus infondées peuvent suffire à dissuader des parents de faire vacciner leurs enfants. Le doute, lui aussi, peut se propager comme un virus.
« Lorsqu’on interroge les parents qui refusent de vacciner leurs enfants, on se rend compte que les raisons sont multiples », explique Mufu Kelvin, responsable de district pour les services de santé de la Cameroon Baptist Convention (CBCHS) dans les districts sanitaires de Nguti et Konye. « Cela va de la crainte des effets secondaires aux normes sociales renforcées par la communauté, en passant par la méfiance nourrie par la crise ou encore par des convictions personnelles. »
Écouter les gens est essentiel, ajoute Kelvin. Comprendre la perspective des parents est la seule manière de s’assurer que les messages de sensibilisation répondent réellement à leurs préoccupations, au niveau du foyer comme au sein de la communauté.

Crédit : Fri Delphine
Un déficit de confiance : un obstacle, pas une impasse
Des observations récentes, ainsi que des questionnaires et des groupes de discussion menés par le programme de vaccination des Cameroon Baptist Convention Health Services (CBCHS), montrent que l’hésitation vaccinale est un phénomène complexe. Elle découle d’une méfiance envers les services publics dans ces régions en crise, d’un scepticisme vis-à-vis des agents de santé perçus comme porteurs d’un agenda gouvernemental, de craintes liées à la pandémie de COVID-19 et de doutes quant à l’efficacité même des vaccins.
Ces doutes, ajoutés aux restrictions de déplacement imposées par les groupes armés, font que de nombreux enfants grandissent sans protection contre les maladies évitables par la vaccination.
Pourtant, même dans des contextes marqués par les conflits, où la confiance envers les autorités est au plus bas, une communication ciblée peut faire la différence entre acceptation et refus du vaccin — à condition, bien sûr, qu’elle puisse être entendue.
En l’absence de médias de masse fonctionnels, le programme de vaccination du CBCHS, soutenu par Gavi, s’appuie sur des canaux de communication d’avant l’ère numérique : crieurs publics, mobilisateurs, leaders communautaires et religieux, ou encore conducteurs de moto.
Les crieurs publics : des voix de confiance
Depuis des décennies, les crieurs publics sont les messagers privilégiés des communautés. Munis de cloches, de tambours ou de mégaphones, ces figures respectées transmettent des messages dans les langues locales, franchissant les barrières du silence, de la méfiance ou des divisions, pour atteindre les foyers du matin jusqu’à la nuit tombée.
« Les tambours sont un moyen de communication essentiel dans notre communauté. Chaque rythme a une signification différente : la mort, la fête ou une information importante », explique un chef communautaire de Nguti.
Le programme de vaccination du CBCHS collabore avec ces crieurs pour diffuser des informations précises sur les séances de vaccination : où et quand elles auront lieu, qui les mènera, et quels autres services seront proposés. Au-delà de la mobilisation, ils contribuent à dissiper les rumeurs, à rassurer sur la sécurité des vaccins et à rappeler l’importance de compléter le calendrier vaccinal.
« Notre équipe de communication et de changement social conçoit des messages adaptés à chaque situation. Une fois testés et validés, nous les transmettons, par l’intermédiaire de nos responsables de district, aux crieurs publics et aux autres réseaux locaux pour qu’ils les diffusent dans leurs communautés », explique le Dr Epie Njume, coordinateur technique du programme de vaccination du CBCHS.

Crédit : Fri Delphine
Les mobilisateurs : des relais de proximité
Le CBCHS choisit ses mobilisateurs communautaires en fonction de leurs liens avec la population, de leur accessibilité et de leur crédibilité — des qualités qui leur permettent d’atteindre les foyers avec des messages personnalisés et adaptés au contexte local.
Leur rôle ne se limite pas à transmettre de l’information : ils créent des espaces sûrs où les parents peuvent exprimer leurs craintes, poser des questions et comprendre les bénéfices de la vaccination dans leur vie quotidienne. Ce dialogue à double sens, ancré dans la communauté, permet au programme de vaccination du CBCHS d’obtenir en temps réel des informations précieuses sur les obstacles rencontrés et d’ajuster rapidement ses actions, par exemple en répondant aux rumeurs avant qu’elles ne se propagent.
Les leaders communautaires et religieux
Pour renforcer ses messages, le CBCHS collabore avec des responsables religieux, des dirigeantes d’associations de femmes et des autorités traditionnelles, dont la parole a un poids moral et culturel dans les communautés. Ces leaders intègrent les messages sur la vaccination dans leurs sermons, réunions de groupe et autres échanges communautaires.
« Je fais partie des leaders formés par le programme de vaccination du CBCHS, donc je comprends l’importance de la vaccination et je peux en parler librement et avec assurance aux membres de ma communauté », raconte Acha Joseph, responsable religieux dans le district sanitaire de Batibo.
Depuis février 2025, le CBCHS a recensé plus de 4 350 réunions de concertation et de collaboration avec les acteurs locaux afin de co-construire des services de vaccination adaptés à la diversité des communautés. Ces partenariats jouent un rôle essentiel pour instaurer la confiance, négocier l’accès et garantir que, même dans les zones où l’hésitation vaccinale est forte, les enfants soient vaccinés.

Crédit : Fri Delphine
Les conducteurs de moto : négocier l’accès et faire passer les messages
Cette région est marquée par une insécurité persistante. Là où les routes sont bloquées et les réseaux de télécommunication défaillants, des conducteurs de moto se sont joints aux défenseurs de la vaccination dans les communautés isolées. Ils transportent messages, retours d’information et parfois fournitures de vaccins à travers des terrains difficiles et des postes de contrôle instables, veillant à ce que la chaîne de communication ne soit jamais rompue.
« Nous comptons sur les conducteurs de moto pour transmettre les informations aux mobilisateurs et nous rapporter leurs retours, afin que nous puissions adapter nos stratégies », explique Epey Margrete, responsable de district du CBCHS pour Ekondo-Titi.
Pour aller plus loin
Combattre les mythes, rétablir la confiance et protéger les enfants
Le système de communication à plusieurs niveaux — combinant crieurs publics, mobilisateurs, leaders communautaires et conducteurs de moto — ne se limite pas à transmettre des informations. C’est un véritable lien vital : il permet de reconstruire la confiance et de faire évoluer les comportements là où le scepticisme reste fort.
Cette approche repose sur la négociation de l’accès, la lutte contre les rumeurs par des voix de confiance et l’adaptation des messages aux réalités culturelles et locales. En intégrant des messages éducatifs sur l’importance de la vaccination dans chaque canal — qu’il s’agisse du tambour d’un crieur, du sermon d’un prédicateur ou d’une discussion avec un mobilisateur — le programme de vaccination du CBCHS renforce la confiance des parents et garantit la continuité des soins, afin que les vaccins soient acceptés jusqu’aux communautés les plus isolées.
Comment Gavi soutient-elle le CBCHS ?
Le programme de partenariats humanitaires de Gavi finance des organisations partenaires dotées d’une expertise spécifique dans les contextes de crise humanitaire. Son objectif : administrer à chaque enfant, de la naissance à cinq ans, toutes les doses de vaccin prévues, y compris dans les communautés où les conflits entravent l’accès aux services publics de santé.
Le CBCHS, actif dans les régions instables du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, fait partie de ces organisations spécialisées.
Entre décembre 2022 et juillet 2025, le programme ZIP Cameroun a permis à plus de 53 000 enfants vivant en zones de crise de recevoir leur tout premier vaccin.
Delphine Fri Chifor est autrice et a travaillé comme consultante pour le CBCHS.