À Eastleigh, quartier multiculturel de Nairobi, la vaccination progresse grâce aux agents multilingues et aux chefs de quartier
Quartier animé et hautement cosmopolite de Nairobi, Eastleigh accusait un retard en matière de vaccination. Mais une équipe menée par le chef Josiah Kiweu est en train de renverser la tendance.
- 5 juin 2025
- 6 min de lecture
- par Lenah Bosibori

Tôt un vendredi matin à Eastleigh North, en périphérie de Nairobi, le soleil cogne déjà sur ce quartier animé et métissé, où cohabitent Kényans, réfugiés et immigrés venus de toute l’Afrique.
Josiah Kiweu, chef de secteur d’Eastleigh North – un responsable administratif local placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur – rassemble son équipe pour la journée. Aujourd’hui, ils rendront visite à des foyers pour suivre l’administration de différents vaccins. C’est une tâche de routine, mais qui ne va pas toujours de soi : Eastleigh est connu pour une certaine réticence à la vaccination.
Comprendre la vaccination à Eastleigh
L’assistant-chef Mohamed Gedi, qui dirige un petit centre communautaire localement connu sous le nom de « Garage », explique à VaccinesWork que leur approche, lors des campagnes nationales de vaccination, est toujours collaborative.
« Avant de commencer notre travail, nous réunissons tous les acteurs concernés dans chaque communauté : les agents de santé communautaire (CHPs), les anciens du village, les gardiens d’immeubles et les responsables Nyumba Kumi », détaille Gedi.
L’initiative Nyumba Kumi – ce qui signifie « dix foyers » en swahili – est une stratégie kényane de sécurité communautaire qui regroupe les quartiers en unités de dix maisons. Ces unités favorisent la confiance, l’échange d’informations et la sécurité, ce qui en fait une structure précieuse pour mobiliser les habitants lors de campagnes de santé publique.
« Ce sont nous qui faisons du porte-à-porte dans toute la communauté pour rassurer les gens sur la sécurité des vaccins », explique Gedi. « Nous avons des personnes issues de la diaspora, des réfugiés et d’autres venus de différents pays. Certains nous disent que leur médecin à l’étranger leur a déconseillé les vaccins, ce qui rend la sensibilisation locale d’autant plus cruciale. »
La désinformation antivaccins circule aussi beaucoup sur les réseaux sociaux, ajoute Gedi. Les chefs religieux et communautaires locaux ont une influence considérable, dit-il encore, ce qui rend leur rôle dans l’éducation à la santé essentiel. « Beaucoup de résidents considèrent les paroles de leur imam ou de leur pasteur comme parole d’évangile. »
L’assistant-chef Hussein Gabow, lui aussi en poste à Eastleigh North, souligne que le fait que les chefs et leurs adjoints portent l’uniforme joue un rôle important dans la réception des messages. « Nous portons toujours notre uniforme lors de nos visites ; cela montre aux habitants que nous représentons le gouvernement », indique-t-il.
Fatuma Ahmed, agente de santé communautaire (CHP), rejoint l’équipe. Elle revient tout juste d’une tournée dans le quartier, où elle a administré, aux côtés des services de santé publique du comté de Nairobi, des vaccins contre le papillomavirus (HPV), responsable du cancer du col de l’utérus.
Active depuis de nombreuses années à Eastleigh North et Langata, elle insiste sur l’importance du lien de proximité. « Au début, il y avait beaucoup de réticence, surtout quand les agents de santé n’étaient pas connus », raconte-t-elle. « Les gens n’ouvraient même pas leurs portes. Mais moi, ils me connaissent, ils me font confiance, et je parle leur langue. »

Crédit : Lenah Bosibori
Éducation sanitaire multilingue
Fatuma Ahmed se souvient qu’en 2012, lorsqu’elle a commencé à travailler dans la circonscription de Kamukunji – qui englobe Eastleigh –, la couverture vaccinale y était très faible. Depuis, elle a été témoin d’une transformation encourageante. « Au départ, on était à 45–46 % de couverture vaccinale. Mais une fois que j’ai commencé à m’impliquer, on est passés de la troisième à la deuxième place sur les 17 circonscriptions de Nairobi. »
Il reste toutefois du chemin à parcourir : Nairobi reste en dessous de la moyenne nationale. D’après l’Enquête démographique et de santé du Kenya de 2022, 80 % des enfants âgés de 12 à 23 mois sont complètement vaccinés à l’échelle nationale. Mais dans le comté de Nairobi, où se trouve Kamukunji, ce chiffre plafonne à 46 %, en grande partie à cause de la densité urbaine, des mouvements migratoires et des barrières linguistiques propres à cette capitale tentaculaire.
C’est précisément dans ce contexte que le profil linguistique d’Ahmed prend toute son importance. Elle parle le somali, l’oromo, l’anglais, le garre et le rahanweyn – une richesse qui va bien au-delà de la simple communication fonctionnelle. « Parler toutes ces langues m’a permis de créer un lien de confiance avec des familles très diverses », souligne-t-elle.
Elle insiste aussi sur l’importance de l’anticipation, du respect des cultures et de la crédibilité des porte-parole. « Il faut prévenir les gens au moins trois à cinq jours à l’avance. Faire passer l’information sur les chaînes de radio et de télé locales, ça aide aussi : une fois que les chefs prennent la parole, la communauté écoute », explique-t-elle.
Ahmed se souvient d’une vidéo virale relayée en ligne, qui diffusait de fausses informations alarmantes sur la vaccination. « Elle ne venait même pas du Kenya, mais elle a semé la panique. C’est pour ça que les chefs doivent organiser des réunions publiques et transmettre des informations fiables. »
Elle ajoute : « L’analphabétisme et les barrières linguistiques compliquent encore les choses. Il faut beaucoup de sensibilisation et de formation pour que les gens comprennent comment fonctionnent les vaccins, et sachent quand les campagnes de vaccination ont lieu. »
Depuis l’époque coloniale, les chefs occupent une place de confiance dans les communautés kényanes. Historiquement, l’État s’est appuyé sur eux pour mettre en œuvre ses programmes au niveau local, ce qui a renforcé leur légitimité. Pour Ahmed, cette confiance est un levier essentiel pour faire progresser la vaccination. « La première fois qu’on a tenté sans les chefs, la couverture était très faible. Une fois qu’ils ont été impliqués, les résultats ont été excellents. »
« Si vous passez par les chefs, tout se passe bien : ils connaissent les habitants. Si ce n’est pas eux qui mobilisent, certains refusent en disant qu’ils n’ont rien entendu de la part du chef », conclut-elle.

Crédit : Fatuma Ahmed
Impliquer les autorités religieuses
Fatuma Ahmed explique que, le vendredi, ils se rendent dans les mosquées pour s’assurer que les campagnes de vaccination soient annoncées après chaque prière.
« Nos chefs connaissent tous les imams, les pasteurs, tous les leaders religieux de la communauté. Et comme nous prions cinq fois par jour, l’imam fait une annonce à chaque prière », raconte-t-elle. Le week-end, elle visite aussi toutes les églises locales, le samedi comme le dimanche.
Cette attention aux sensibilités religieuses va au-delà des lieux de culte.
« On prend aussi en compte le code vestimentaire. Certaines agentes de santé communautaire ne sont pas autorisées à entrer dans les maisons à cause de leur tenue – parfois, on leur interdit même de toucher les enfants », explique Ahmed. Heureusement, l’équipe peut toujours compter sur un soutien.
« Quand ça coince, on appelle le chef. Dès que les gens le voient, ils coopèrent. »
Pour aller plus loin
Une autorité partagée
Le chef Josiah Kiweu explique travailler en étroite coordination avec le ministère de la Santé et les leaders locaux pour organiser les campagnes de vaccination. Une fois informé, il réunit les responsables religieux (imams, cheikhs, pasteurs), les enseignants, les chefs Nyumba Kumi et les gardiens d’immeubles lors de réunions de sensibilisation communautaire.
« Chaque foyer à Eastleigh a un référent Nyumba Kumi – quelqu’un que les habitants connaissent et en qui ils ont confiance. Ce sont nos yeux sur le terrain », souligne-t-il.
« Quand la circulation de l’information est bien faite, cela facilite énormément le travail au moment de la vaccination : la communauté est déjà au courant et préparée », poursuit-il.
En cas de désinformation, la réponse est immédiate. « Dès que nous en entendons parler, nous enfilons notre uniforme complet et nous intervenons sur-le-champ. Si besoin, nous faisons remonter l’information aux autorités supérieures. Rien que notre présence peut rassurer les habitants et corriger les fausses rumeurs », explique-t-il.
Mais Kiweu insiste : son rôle ne prend sens que grâce au travail de terrain des agents de santé comme Fatuma Ahmed.
« Ce sont les personnes comme les CHPs qui permettent à la vaccination de réellement fonctionner. Mon rôle de supervision renforce la crédibilité de l’ensemble », conclut-il.