Au-delà de la ligne de front : vacciner et négocier l’accès dans le Tigré en guerre

« Ne laisser aucun enfant de côté » signifie faire tout ce qu’il faut pour atteindre les enfants isolés par le conflit. Ici, des responsables de l’équipe Gavi REACH au Tigré expliquent concrètement ce que cela implique.

  • 19 décembre 2025
  • 4 min de lecture
  • par Tirhas Tesfay ,   Teklebirhan Kinfe ,   Eman Amanuel
Un enfant est vacciné par un agent de santé communautaire dans la région du Tigré, en Éthiopie. Crédit : Gavi/2024/Mulugeta Ayene
Un enfant est vacciné par un agent de santé communautaire dans la région du Tigré, en Éthiopie. Crédit : Gavi/2024/Mulugeta Ayene
 

 

La guerre du Tigré, qui a duré de 2020 à 2022, a gravement endommagé les infrastructures essentielles et perturbé les services de santé dans les zones méridionales du Tigré, en Éthiopie. Conséquence directe : pendant près de quatre ans, de nombreuses familles n’ont pas pu accéder en toute sécurité à la vaccination de routine.

En novembre 2024, le projet Reaching Every Child in Humanitarian Settings (REACH), piloté par l’International Rescue Committee, a mené une évaluation dans les woredas d’Alamata et de Raya-Alamata afin d’étudier la faisabilité du déploiement de services de vaccination dans ces zones longtemps coupées du reste du pays. REACH s’inscrit dans une initiative ambitieuse, de grande ampleur et financée par Gavi, visant à acheminer des vaccins vers des communautés touchées par des conflits ou des crises, en dehors des zones habituellement accessibles aux gouvernements.

Évaluer le paysage post-conflit

L’évaluation a mis en évidence de sérieux obstacles à la mise en œuvre de la vaccination. De nombreux établissements de santé avaient été pillés, les équipements de la chaîne du froid — réfrigérateurs à vaccins et glacières indispensables — étaient rares, et plusieurs centres de santé étaient soit hors service, soit inaccessibles en raison de préoccupations sécuritaires persistantes.

Bien que la situation sécuritaire se soit améliorée, les tensions restaient vives : couvre-feux, restrictions de circulation et présence de groupes armés non étatiques (GANE) compliquaient le lancement du programme de vaccination Gavi REACH.

Malgré ces difficultés, l’équipe REACH a poursuivi son travail, cherchant à comprendre les dynamiques locales et à nouer des relations avec les acteurs clés, notamment des responsables sanitaires des régions Amhara et Tigré, des partenaires locaux et le Federal Command Post — une structure conjointe de coordination sécuritaire et militaire mise en place durant les états d’urgence.

La négociation humanitaire comme levier d’action

Consciente que la négociation humanitaire était essentielle pour garantir un accès sûr et durable, l’équipe REACH a engagé un dialogue avec le Federal Command Post. Les premiers échanges ont été tendus — en raison d’un malentendu sur la nature du travail humanitaire — mais l’équipe est parvenue à désamorcer rapidement la situation et à instaurer un dialogue ouvert.

Cela a permis de mieux comprendre l’origine des réticences, de rassurer les autorités sur le strict respect des principes humanitaires du projet, tout en soulignant l’urgence de l’intervention. L’équipe a également évoqué le déploiement réussi des activités REACH dans d’autres woredas contestés du Tigré.

Finalement, les autorités ont donné leur accord pour que l’équipe REACH opère sur le terrain et se sont engagées à coordonner avec les groupes armés non étatiques afin de garantir la sécurité des équipes lors de leurs déplacements dans les zones disputées.

Un poids en moins pour les parents

Pour de nombreuses mères du sud du Tigré, le travail de REACH a allégé un fardeau d’inquiétude. « Lorsque j’ai enfin pu amener mon bébé pour sa première vaccination, j’ai ressenti un profond soulagement et beaucoup de bonheur », explique Etsegenet, mère vivant à Alamata. « Pendant des années, nous avions peur de voyager et n’avions aucun accès aux centres de santé ni aux vaccins. Voir les équipes de vaccination ici, malgré toutes les difficultés, nous a redonné confiance et l’espoir que nos enfants ne tomberont plus malades. »

Après des années de conflit et de violences, le soulagement est palpable, tant chez les parents que chez les soignants. Netsa, agent de santé communautaire, raconte avoir marché près de cinq heures sur un terrain difficile pour acheminer des doses de vaccins. « C’était éprouvant, mais voir le soulagement dans les yeux des parents à notre arrivée m’a rappelé pourquoi nous faisons ce travail : aucun enfant ne devrait être privé d’un vaccin vital en raison de son lieu de vie. »

Sans ces efforts, on estime qu’environ 14 000 enfants à Alamata seulement seraient restés exposés à la rougeole et à d’autres maladies évitables par la vaccination. L’absence d’un accès sûr et continu aurait pu conduire à des flambées épidémiques.

« Chaque fois que nous arrivons dans ces communautés, les parents nous racontent comment ils ont fui les violences. Pouvoir fournir des vaccins qui sauvent des vies leur rappelle qu’ils ne sont pas seuls », explique Tirhas Tesfay, responsable santé Gavi REACH.

Comment Gavi soutient-elle REACH ?

Le programme de partenariats humanitaires de Gavi, également connu sous le nom de ZIP, finance des organisations partenaires disposant d’une expertise spécifique dans la gestion des crises humanitaires. L’objectif ? Administrer l’ensemble des doses de vaccins prévues aux enfants, de la naissance à cinq ans, dans des communautés où les conflits entravent l’accès aux services de santé publics.

Le consortium REACH financé par ZIP opère au Tchad, en Éthiopie, au Nigeria, en Somalie, au Soudan du Sud et au Soudan afin de garantir que les enfants vivant dans des contextes humanitaires reçoivent l’intégralité de leurs vaccinations de routine, quelle que soit la difficulté à les atteindre.

En septembre 2025, ZIP avait permis à plus de 2,4 millions d’enfants grandissant dans des zones de crise de recevoir leur tout premier vaccin, et à 1,4 million d’enfants de recevoir leur dernière dose recommandée, les rendant ainsi pleinement immunisés.