Pour enrayer le cancer du col de l'utérus, Madagascar lance sa première campagne nationale de vaccination contre le VPH
À Madagascar, le cancer du col de l’utérus continue de tuer massivement des femmes. Pour la première fois, une campagne nationale de vaccination vise à protéger près de deux millions de jeunes filles âgées de 9 à 14 ans contre cette maladie.
- 18 décembre 2025
- 7 min de lecture
- par Rivonala Razafison
Une campagne inédite pour prévenir un cancer meurtrier
Le 10 décembre, dans la banlieue nord d’Antananarivo, la lycéenne de 13 ans Gracia Ratsimalahelo est devenue la première jeune fille à recevoir une dose du vaccin contre le papillomavirus humain lors du lancement officiel de la campagne. Sous le regard approbateur de l’assistance, composée notamment de la nouvelle ministre de la Santé publique, Dr Monira Managna, et du représentant résident de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Madagascar, le professeur Laurent Musango, ce geste symbolise le début d’un programme d’ampleur inédite.
Crédit : Rivonala Razafison
Gracia est la fille de la Dre Patricia Rasolomanana, chargée de programme de vaccination au bureau de l’OMS à Antananarivo, qui encourage les parents à faire vacciner leurs filles contre le papillomavirus humain, principale cause du cancer du col de l’utérus. Chaque année à Madagascar, 45 femmes sur 100 000 sont touchées par ce cancer et 41 en meurent, soit un taux de mortalité de 80 %, ce qui souligne l’enjeu vital de la prévention précoce.
À Madagascar, le coût du traitement du cancer du col varie entre 10 et 30 millions d’ariary, soit environ 2 200 à 6 700 dollars, l’équivalent de un à trois ans de salaire pour un cadre moyen, ce qui conduit de nombreuses familles à retarder, voire éviter, l’hospitalisation.
Initialement prévue en octobre, la campagne nationale s’est finalement déroulée du 8 au 12 décembre, après avoir été ajournée en raison des tensions politiques qui ont secoué le pays à partir du 25 septembre. Sur le terrain, malgré les fortes crues liées à la saison des pluies et l’accès difficile à certaines zones, les équipes des centres de santé de base (CSB) se sont mobilisées pour atteindre les familles. L’objectif est de protéger près de deux millions de jeunes filles âgées de 9 à 14 ans contre un cancer qui reste l’un des plus meurtriers pour les femmes malgaches.
À l’hôpital, des femmes arrivent trop tard
Ce fardeau se manifeste quotidiennement à l’hôpital universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavalona (HJRA) à Antananarivo. Le cancer du col de l’utérus y représente le deuxième cancer pris en charge par le service d’oncologie (25 %), et l’âge moyen des patientes est de 52 ans, selon les données de 2023. Près de 3 030 décès ont été recensés en 2020. Deux tiers des cas sont diagnostiqués à un stade avancé, et sur près d’un millier de consultations annuelles effectuées à l’HJRA, environ 200 concernent des cancers du col.
« Toutes les adultes interrogées avant 2023 ignorent l’existence du vaccin anti-VPH. Par contre, elles sont plutôt au courant de la possibilité de se faire dépister. Mais le coût élevé du dépistage reste un facteur prohibitif pour les malades et leurs familles », explique Dr Ny Ony Tiana Florence Andrianandrasana, chef du service d’oncologie médicale à l’HJRA. À Madagascar, le coût du traitement du cancer du col varie entre 10 et 30 millions d’ariary, soit environ 2 200 à 6 700 dollars, l’équivalent de un à trois ans de salaire pour un cadre moyen, ce qui conduit de nombreuses familles à retarder, voire éviter, l’hospitalisation.
Onisoa Fiononana Raharimalala, 29 ans, agente communautaire [...], s’implique activement dans la sensibilisation. Ayant elle-même bénéficié du projet pilote de vaccination il y a douze ans, elle témoigne pour déconstruire les rumeurs. « La preuve est que j’ai deux enfants en bonne santé, âgés de 6 et 9 ans ».
Les représentations sociales de la maladie contribuent aussi à ces retards de prise en charge, notamment en milieu rural. « Certaines femmes se cachent ou pensent que leur maladie est le résultat de la sorcellerie machinée par d’autres. Elles préfèrent alors consulter des devins au lieu de se rendre au service oncologie », observe Dr Mahajoro Ramarokoto, médecin-inspecteur du service de district de santé publique (SDSP) de Soavinandriana, dans la région centrale de l’île, où un projet pilote de vaccination contre le VPH avait été mis en œuvre dès 2013.
Vacciner avant l’irréversible
Dans ce contexte, la vaccination apparaît comme la seule stratégie capable de rompre ce cycle. « En santé publique, une maladie est prioritaire si elle a un taux de mortalité élevé et si le traitement est coûteux. Voilà pourquoi le ministère a classé le cancer du col parmi les maladies prioritaires, d’où la vaccination nationale contre lui », a précisé Dr Tsivahiny Paubert, directeur du Programme élargi de vaccination (PEV), à l’issue du lancement officiel de la campagne au CSB d’Anosiavaratra, une commune rurale située au nord de la capitale.
La campagne cible plus de 1,8 million de jeunes filles âgées de 9 à 14 ans, soit environ 80 % des filles de cette tranche d’âge, qui représente elle-même 7,17 % de la population totale. « La campagne se poursuivra au-delà de la semaine prochaine. Elle visera ensuite, en routine, la cohorte des filles de 9 ans », a indiqué le responsable ministériel.
Quelques jours après le lancement de la campagne, les autorités sanitaires ont publié les premiers chiffres consolidés à l’échelle nationale. Selon les données officielles les plus récentes, la couverture vaccinale contre le VPH atteignait 71 %, soit 1 606 497 jeunes filles vaccinées sur les 2 265 313 ciblées. Un niveau jugé encourageant pour une première campagne nationale, dans un contexte logistique et social complexe.
La campagne intervient dans un contexte où l’exposition au virus reste élevée, en raison de parcours de vie marqués par des entrées précoces dans la vie conjugale et maternelle. Selon la Banque mondiale, 31,1 % des filles âgées de 15 à 19 ans ont déjà des enfants, et 38,8 % des femmes de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans.
Ces résultats masquent toutefois des disparités importantes selon les territoires et les contextes. La vaccination s’est notamment révélée plus difficile dans certains établissements scolaires, en particulier confessionnels. Dans plusieurs écoles catholiques, des réticences parentales, liées à des considérations religieuses et à l’association du vaccin contre le VPH à la sexualité, ont freiné la participation.
Crédit : Santé Mada Connect
Plus largement, comme lors de l’introduction de tout nouveau vaccin, la campagne a suscité des interrogations dans certaines communautés. « J’accepte l’administration du vaccin à mes descendantes à la seule condition qu’il soit sûr », a indiqué Alphonse Randriamahafaly, vice-président du conseil communal de Morarano Gare, dans le district de Moramanga. « Le vaccin est certes nouveau pour les habitants, et l’introduction de nouveaux vaccins occasionne toujours des rumeurs », observe de son côté Dr Saholinirina Raharinjato, responsable du PEV auprès du service de district de santé publique de Soavinandriana. « Le PEV à Madagascar a démarré en 1976. Chaque nouveau vaccin a suscité des réactions similaires », renchérit Dr Tsivahiny Paubert.
Bâtir la confiance, sur le terrain
Pour y répondre, les relais communautaires jouent un rôle clé. Onisoa Fiononana Raharimalala, 29 ans, agente communautaire rattachée au CSB urbain de Soavinandriana, s’implique activement dans la sensibilisation. Ayant elle-même bénéficié du projet pilote de vaccination il y a douze ans, elle témoigne pour déconstruire les rumeurs. « La preuve est que j’ai deux enfants en bonne santé, âgés de 6 et 9 ans », affirme-t-elle.
Pour aller plus loin
Au CSB urbain de Soavinandriana, les équipes constatent que des jeunes filles continuent d’affluer pour recevoir leurs doses, y compris après la phase initiale de la campagne, indique Fitahiantsoa Andriamasonoro, responsable du PEV au sein du centre. Son équipe s’est fixé l’objectif d’immuniser 24 008 filles âgées de 9 à 14 ans. La communication autour du vaccin s’accompagne également d’actions de sensibilisation aux infections sexuellement transmissibles, le vaccin contre le VPH ne protégeant pas contre celles-ci.
La campagne intervient dans un contexte où l’exposition au virus reste élevée, en raison de parcours de vie marqués par des entrées précoces dans la vie conjugale et maternelle. Selon la Banque mondiale, 31,1 % des filles âgées de 15 à 19 ans ont déjà des enfants, et 38,8 % des femmes de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans.
En ciblant les jeunes filles avant leur entrée dans la vie sexuelle, la campagne nationale de vaccination contre le VPH vise à prévenir un cancer encore trop souvent diagnostiqué trop tard. À Madagascar comme ailleurs, l’enjeu est désormais d’ancrer durablement cette prévention, afin qu’une génération de femmes n’ait plus à affronter une maladie aujourd’hui largement évitable.