Lagos intensifie la détection des patients tuberculeux non signalés et non traités

Pour interrompre la transmission de la tuberculose et juguler cette maladie qui reste l'une des plus meurtrières au monde, il faut repérer les cas non diagnostiqués. À cette fin, l'État de Lagos, au Nigéria, met en œuvre de nouvelles stratégies.

  • 22 février 2024
  • 5 min de lecture
  • par Chioma Obinna
Patiente en train de passer une radiographie. Crédit : Chioma Obinna
Patiente en train de passer une radiographie. Crédit : Chioma Obinna
 

 

Lagos a intensifié sa recherche des cas de tuberculose non identifiés, a annoncé le Dr Olusola Sokoya, directeur adjoint du programme de lutte contre la tuberculose, la lèpre et l'ulcère de Buruli au ministère de la Santé de l'État de Lagos.

D'après le rapport sur la tuberculose dans le monde publié en 2022, l’État de Lagos concentre 11 % des cas de tuberculose du Nigéria, pays qui abrite 4,4 % des patients tuberculeux dans le monde, ce qui le place au sixième rang des pays les plus touchés par cette maladie. Fait surprenant, le nombre de cas nouvellement diagnostiqués a été plus élevé en 2021 qu’en 2019 et 2020, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays à forte incidence.

Pour le Dr Sokoya qui s’exprimait au nom de l'État de Lagos, cette nouvelle n’est pas nécessairement alarmante : le nombre de nouveaux cas notifiés dans l'État a constamment augmenté grâce aux nouvelles stratégies de diagnostic mises en place au cours des cinq dernières années, ce qui signifie que le nombre de patients sous traitement est en augmentation, et c’est ça qui est important.

« La contamination des adultes peut se faire de mille et une façons, c’est pourquoi il faudrait effectuer des rappels de BCG pour améliorer son efficacité chez les enfants et chez les adultes, comme on l’a fait avec les vaccins contre la COVID. »

– Dr Iorhen Akase, immunologiste à l'hôpital universitaire de Lagos

« Nous n'avons pas atteint notre objectif qui était de détecter plus de 50 000 cas par an, mais en 2022, nous avons pour la première fois enregistré 17 280 nouveaux cas grâce à l’application de nos stratégies énergiques.

« Rien qu’entre janvier et mars de cette année, nous avons déjà détecté et mis sous traitement 4 621 personnes. Nous n'avions identifié que 11 723 nouveaux cas en 2019, et 10 150 cas en 2020. En 2021, nous en avons recensé 13 499.

Trouver les patients dissimulés

La population de l’État de Lagos est énorme et extrêmement mobile – ce qui pose un problème pour avoir une bonne vision sur la santé publique. Mais l'État et ses partenaires ont réussi à mettre en place des stratégies de diagnostic efficaces.

Le diagnostic et le traitement de la tuberculose sont gratuits. Pour faciliter le diagnostic, le gouvernement de l'État de Lagos a acheté, avec l’aide du Fonds mondial, trois camionnettes et 18 appareils de radiographie répartis dans 18 établissements. « Pour la surveillance de la tuberculose et de la lèpre, nous avons également engagé les services de 23 superviseurs qui coordonnent les activités au niveau des gouvernements locaux » explique le Dr Sokoya. La lèpre et la tuberculose sont causées par des mycobactéries très proches.

L’État de Lagos ne s’est pas contenté d’acheter des appareils de radiographie pulmonaire et des systèmes GeneXpert pour le diagnostic rapide, il a également renforcé les effectifs affectés au dépistage dans les hôpitaux publics et privés.

The GeneXpert machine is a specialist tool for rapid TB diagnosis. Credit: Chioma Obinna
Système GeneXpert, outil de diagnostic rapide de la tuberculose.
Crédit : Chioma Obinna

« Avec nos partenaires, nous menons des campagnes de dépistage systématique de la tuberculose dans les communautés, notamment avec l'Institut de virologie humaine du Nigéria (IHVN) et la Fondation Damian de Belgique », a exposé le Dr Sokoya.

« Plus de 50 000 personnes sont soignées dans plus de 1 280 centres de traitement sous observation directe (DOT) répartis dans les 20 zones couvertes par le gouvernement local de Lagos » explique le Dr Sokoya. « Lorsque le diagnostic est confirmé, le patient est orienté vers l'un de nos centres de traitement sous observation directe le plus proche de chez lui. »

Les agents de liaison de l'État assurent le suivi des patients dans les communautés et veillent à ce qu’ils se soumettent bien à leur traitement.

Pour le Dr Babajide Kadiri, qui dirige l'équipe de l'État de Lagos à l’IHVN (ONG basée à Lagos), la détection et le traitement des patients tuberculeux se sont considérablement améliorés par rapport à ce qu'ils étaient il y a encore quelques années.

« Au début, nous détections autour de 2 000 à 3 000 cas de tuberculose par an, mais trois ans plus tard, nous en identifions près de 5 000 en trois mois ».

« Nous avons, certes, rencontré des difficultés, mais cela nous a permis de constater que les communautés de Lagos sont très peu sensibilisées à la tuberculose, même les professionnels de santé ».

Le Dr Kadiri note que, malgré l'importance du dépistage précoce dans la prise en charge de la tuberculose, les patients vivent toujours dans le déni.

Une spirale ascendante

Selon le Dr Chukwuma Anyaike, médecin consultant en santé publique, la détection précoce permet de bloquer la chaîne de transmission.

Également coordinateur du programme national de lutte contre la tuberculose, la lèpre et l'ulcère de Buruli (NTBLCP en anglais), le Dr Anyaike reconnaît « [qu’]un patient atteint de tuberculose et non traité peut infecter au moins 15 personnes en un an, d'où la nécessité d'un diagnostic et d'un traitement précoces. La tuberculose évolue dans plusieurs cercles vicieux. Un malade qui ne se soigne pas peut entraîner la disparition de toute sa famille. Au Nigéria, la propagation de la maladie est favorisée par la sous-nutrition et le VIH. »

Demande d'un nouveau vaccin contre la tuberculose

« De nombreux cas de tuberculose ne sont pas diagnostiqués alors que c’est l'une des maladies les plus meurtrières au monde. Malheureusement le BCG, seul vaccin contre la tuberculose, ne protège que les enfants contre les formes graves et n'offre aucune protection aux adultes. En effet, au bout de 15 ans, les effets du BCG s'estompent et l’on redevient vulnérable à la maladie. C'est la principale limite du BCG » explique le Dr Anyaike.

Il rappelle que le rapport mondial sur la tuberculose a montré que seule une personne atteinte de tuberculose résistante aux médicaments sur trois avait eu accès à un traitement en 2021, alors que la résistance ne cesse d’augmenter. La mise au point d'un nouveau vaccin antituberculeux pourrait changer la donne et permettre d’éliminer la tuberculose au niveau mondial, et en particulier dans des pays qui, comme le Nigéria paient un lourd tribut à la maladie.

Selon le Dr Iorhen Akase, immunologiste à l'hôpital universitaire de Lagos, peu de progrès ont été réalisés à ce jour dans l’amélioration du BCG, alors que ce vaccin existe depuis des années.

« La contamination des adultes peut se faire de mille et une façons, c’est pourquoi il faudrait effectuer des rappels de BCG pour améliorer son efficacité chez les enfants et chez les adultes, comme on l’a fait avec les vaccins contre la COVID. Comme on vit de plus en plus longtemps, il y aura de plus en plus de malades souffrant d’infections chroniques. Si l’on disposait d’un vaccin contre la tuberculose efficace chez l'adulte, cela permettrait de prévenir la maladie, de réduire le coût du traitement et de sauver des vies ».

Bénéfices économiques des vaccins contre la tuberculose

Les recherches se poursuivent pour mettre au point de tels vaccins. Le Dr Akaze est conscient que la production de nouveaux vaccins nécessite beaucoup d'argent, mais il sait aussi que les bénéfices économiques l'emportent sur les coûts.

Selon une étude de modélisation publiée dans PLOS Medicine, l’introduction d’un nouveau vaccin efficace contre la tuberculose pourrait offrir d'importants bénéfices tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique. D’après leurs estimations, la vaccination des adolescents ou des adultes pourrait alors générer des bénéfices sanitaires et économiques d’un montant estimé entre 283 et 474 milliards de dollars US à l’horizon 2050, ces bénéfices profitant essentiellement aux régions OMS de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est.