Le Nigéria face à la crise des antimicrobiens : des « champions de la santé » en première ligne

L'épidémie d'Ebola qui a coûté la vie à sa tante, la Dre Ameyo Stella Adadevoh, médecin spécialiste des maladies infectieuses, a été un « signal d'alarme », déclare Niniola Williams, qui dirige une organisation recrutant des champions de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens au sein des communautés.

  • 20 janvier 2025
  • 5 min de lecture
  • par Zubaida Baba Ibrahim
Des « champions de la santé » dans un lycée d'Abuja. Crédit photo : DRASA
Des « champions de la santé » dans un lycée d'Abuja. Crédit photo : DRASA
 

 

Bien que le Nigéria présente l’une des charges les plus élevées au monde en matière de résistance aux antimicrobiens (RAM), les experts craignent que ce phénomène demeure largement méconnu dans de nombreuses communautés nigérianes.

Cela aggrave le risque : un accès limité aux établissements de santé, la pénurie de professionnels de santé qualifiés et la facilité d’accès à des médicaments antimicrobiens trop ou mal prescrits créent des conditions idéales pour la progression de pathogènes résistants — et donc difficiles à traiter.

D’après les données de 2019, le Nigéria se classe au 20e rang sur 204 pays en termes de taux de mortalité liés à la RAM, ajustés selon l’âge, et a enregistré 263 400 décès imputables à la résistance aux antimicrobiens cette même année. Autrement dit, plus de Nigérians sont morts de causes liées à la résistance aux médicaments que du paludisme, d’infections respiratoires ou de maladies cardiovasculaires.

« Au vu de la façon dont la [pandémie de RAM] ravage le monde entier, et du fait que personne n’en parle vraiment, nous avons senti la nécessité d’intervenir. Nous nous demandons ce qui se passera lorsque nous n’aurons plus de traitements antimicrobiens efficaces pour soigner les infections les plus basiques. »

- Niniola Wiliams, directrice générale de DRASA Health Trust

Le gouvernement nigérian – qui a lancé son premier Plan d’action national (PAN) sur la résistance aux antimicrobiens (RAM) en 2017 et prépare actuellement le PAN 2.0 – n’est pas seul dans la lutte contre la résistance aux médicaments. Une organisation qui s’engage face au manque alarmant de sensibilisation du public à ce sujet est DRASA Health Trust, nommée en l’honneur de la Dre Ameyo Stella Adadevoh, décédée d’Ebola en 2014 après plusieurs semaines passées en première ligne contre l’épidémie.

Défendre la santé

DRASA Health Trust a vu le jour en 2015, avec pour mission de réduire le fardeau des infections évitables au Nigéria. « Nous estimons que l’épidémie d’Ebola [en Afrique de l’Ouest] a été un signal d’alarme pour notre système de santé », déclare Niniola Williams, directrice générale de DRASA Health Trust et nièce de la défunte Dre Adadevoh.

« Nous voulions adopter une approche systémique afin de soutenir et d’améliorer le secteur de la santé : veiller à ce que chacun reçoive des soins de qualité et en toute sécurité, et faire en sorte que les professionnels de santé soient soutenus dans leur travail – en particulier ceux de première ligne. »

Selon Williams, la RAM représente une crise comparable à Ebola. « Au vu de la façon dont la [pandémie de RAM] ravage le monde entier, et du fait que personne n’en parle vraiment, nous avons senti la nécessité d’intervenir. Nous nous demandons ce qui se passera lorsque nous n’aurons plus de traitements antimicrobiens efficaces pour soigner les infections les plus basiques. »

L’une des stratégies de l’équipe de Williams consiste à recruter des « champions de la santé » : des membres de la communauté formés pour encourager l’usage approprié des antimicrobiens et sensibiliser leurs concitoyens aux dangers de la RAM, tout en proposant des solutions locales pour y faire face.

Ces champions proviennent d’horizons variés : fonctionnaires, lycéens et étudiants, groupes de jeunes ou autres leaders d’opinion locaux. « Un influenceur peut être n’importe qui, du président de l’association des bouchers à un responsable religieux », souligne Williams.

Les « champions de la santé » assistent à des ateliers participatifs qui renforcent leurs connaissances techniques. Ifeyinwa George, pharmacienne de formation et responsable du programme RAM chez DRASA Health Trust, explique que ces sessions leur permettent de mettre immédiatement en pratique ce qu’ils apprennent.

« Nous croyons aussi beaucoup aux initiatives portées par la communauté. Nous ne nous contentons pas d’y intervenir pour ensuite partir : nous voulons une véritable participation. Notre objectif est que les initiatives mises en place soient dirigées par les principaux acteurs locaux, qui pourront porter la cause », précise Ifeyinwa.

L’organisation mise également sur l’apprentissage entre pairs, notamment dans les lycées. À ce jour, DRASA Health Trust compte 2 000 ambassadeurs dédiés à la RAM dans 30 établissements à travers le Nigéria et poursuit son expansion.

Ifeyinwa estime toutefois que la véritable clé pour endiguer la RAM au Nigéria et ailleurs réside dans la prévention des maladies infectieuses, ce qui limite d’emblée le recours aux antimicrobiens. Par conséquent, les formations dispensées aux champions de la santé portent souvent sur les bonnes pratiques de prévention, notamment l’hygiène des mains et la promotion de la vaccination.

Encore du chemin à parcourir : s’attaquer à la RAM au Nigéria

Le premier Plan d’action national (PAN) du Nigéria pour la résistance aux antimicrobiens (RAM), lancé en 2017 et arrivé à terme en 2022, n’a atteint qu’un taux de réalisation de 44 %. Bien que le pays ait enregistré certains progrès, notamment en matière d’éducation et de formation, le plan souffrait d’un manque d’implication de secteurs comme l’environnement, l’agriculture et la santé animale. De plus, selon une évaluation officielle, il ne comportait ni objectifs précis ni jalons intermédiaires, ni même de budget clairement défini.

Le PAN 2.0 vise à combler ces lacunes et à surmonter les difficultés rencontrées par son prédécesseur, et DRASA Health Trust y contribue activement. « Notre approche consiste à travailler du sommet à la base et de la base au sommet – et dans le cas de la RAM, nous savons qu’il s’agit d’un problème relevant du concept “Une seule santé”. Nous savons que le secteur animal, l’environnement, les végétaux et la santé humaine sont tous liés », explique Niniola Williams.

Elle souligne également que la complexité de la RAM exige une approche adaptée, surtout dans un pays aussi divers que le Nigéria. C’est pourquoi l’organisation s’est associée au gouvernement pour contribuer à l’élaboration de la deuxième politique nationale, en définissant les priorités essentielles pour lutter contre la RAM. Parmi les mesures clés figurent l’analyse de la situation pour cerner l’ampleur du problème, l’identification des zones critiques où la résistance est élevée, l’élaboration d’un budget pour soutenir les initiatives de lutte contre la RAM et la mise en place d’un cadre de responsabilisation et de suivi afin d’évaluer les progrès et l’efficacité des actions menées.

Les comportements des patients et du personnel médical aggravent le risque de RAM

Même si DRASA Health Trust développe son réseau de champions au niveau communautaire, des habitudes répandues en matière de prescription et de consommation médicale continuent de compromettre les avancées.

La prescription incontrôlée d’antibiotiques et d’autres médicaments antimicrobiens, combinée à la facilité d’achat sans ordonnance dans les pharmacies ou les échoppes locales, contribue fortement à l’aggravation de la résistance aux antimicrobiens (RAM) au Nigéria, expliquent les médecins.

Le Dr Najeeb Umar, spécialiste en médecine familiale, observe que de nombreux patients se montrent réfractaires aux efforts des professionnels de santé pour expliquer les pratiques permettant de prévenir la RAM.

Lorsque les prestataires de soins ne prescrivent pas d’antibiotiques, de nombreux patients se tournent vers les pharmacies ou les boutiques locales de médicaments pour les acheter sans ordonnance, précise le Dr Umar. Il souligne la nécessité de politiques plus strictes pour limiter le mauvais usage des antibiotiques, suggérant qu’ils soient classés comme médicaments hautement contrôlés nécessitant une prescription. Par ailleurs, il appelle également les professionnels de santé, en particulier les pharmaciens, à intensifier leurs efforts et à assumer leur rôle dans la lutte contre la RAM.