Paludisme au Mali : quand les communautés deviennent les premières alliées du vaccin

Face au paludisme, première cause de mortalité infantile dans le pays, le Mali amorce un tournant historique en introduisant un vaccin antipaludique selon une approche inédite. Portée par l’engagement des soignants, des communautés et des leaders religieux, cette avancée suscite l’espoir d'un avenir plus sûr pour les enfants.

  • 2 mai 2025
  • 7 min de lecture
  • par Aliou Diallo
Une mère montre le carnet de vaccination de son enfant après l’administration du vaccin contre le paludisme, lors de la cérémonie de lancement à Kalaban-Coro, en périphérie de Bamako. Crédit : Aliou Diallo
Une mère montre le carnet de vaccination de son enfant après l’administration du vaccin contre le paludisme, lors de la cérémonie de lancement à Kalaban-Coro, en périphérie de Bamako. Crédit : Aliou Diallo
 

 

Au Mali, chaque famille, chaque village, chaque quartier vit sous l’ombre pesante du paludisme. Malgré la distribution massive de moustiquaires imprégnées, les campagnes de sensibilisation et les traitements préventifs destinés aux femmes enceintes, la maladie continue, année après année, de faucher des vies. Première cause de consultation, d’hospitalisation et de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans, le paludisme reste un fléau tenace.

Dans ce contexte, l’annonce de l’introduction du tout premier vaccin antipaludique a suscité une vague de mobilisation à travers le pays.

Le lancement officiel a eu lieu le 25 avril dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, dans la commune de Kalaban-Coro, en périphérie de Bamako. Le vaccin R21/Matrix-M sera d’abord déployé dans 19 districts sanitaires prioritaires répartis dans cinq régions — Kayes, Koulikoro, Mopti, Ségou et Sikasso — et ciblera les enfants âgés de 5 à 36 mois avec un schéma vaccinal à 5 doses.

Ce vaccin va s’ajouter aux moyens de prévention existants, sans entrer en compétition avec eux. Ainsi la meilleure protection individuelle pour les enfants de moins de 5 ans telle que recommandée par l’OMS combine la vaccination, la CPS et l’utilisation de moustiquaires imprégnées.

Le Mali est également devenu le premier pays au monde à adopter une approche hybride pour la vaccination contre le paludisme. Selon ce protocole innovant, les enfants recevront trois premières doses rapprochées, administrées à des âges précis tout au long de l’année. Ensuite, une quatrième et une cinquième doses seront administrées de manière saisonnière, chaque année, juste avant la saison des pluies, afin de maximiser la protection pendant la période de forte transmission. Cette stratégie vise à aligner la période d'efficacité maximale du vaccin avec les mois où le risque est le plus élevé. Cette avancée stratégique pourrait devenir un modèle pour d’autres pays africains confrontés à une transmission saisonnière du paludisme.

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, le 25 avril 2025, les autorités sanitaires ont officiellement lancé l’introduction du vaccin antipaludique dans le Programme élargi de vaccination. 
Crédit : Aliou Diallo

Selon le Rapport 2024 de l’OMS sur le paludisme dans le monde, le Mali représentait 3,1 % (soit 8,15 millions) des cas mondiaux et 2,4 % (14 328) des décès dus au paludisme en 2023. Il figure parmi les 11 pays les plus touchés au monde, et fait partie des huit pays ayant connu une hausse marquée des cas entre 2019 et 2023, avec une augmentation de 1,4 million de cas. À l’échelle mondiale, la Région africaine concentre environ 94 % des cas et 95 % des décès liés au paludisme.

Face à ce fardeau, l’espoir d’un recul durable du paludisme prend corps, notamment à travers l’engagement quotidien des communautés. Mères endeuillées, agents de santé débordés, leaders religieux engagés : tous sont unis par la même volonté de protéger les enfants et de rompre avec cette maladie dévastatrice.

Les familles éprouvées par le paludisme

À Ségou, à 240 kilomètres de Bamako, l'animation bat son plein au marché aux légumes. Par dizaines, des femmes s’affairent autour de leurs étals, échangeant rires, marchandages et nouvelles du jour. Lorsque la rumeur de l’arrivée d’un vaccin contre le paludisme leur parvient, des éclats de joie traversent le marché « Sugu Thini Sugu » à Hamdallaye. Chacune d’entre elles a une histoire, une légende liée à cette maladie qui, depuis toujours, rôde dans leur quotidien. Mais très vite, toutes désignent une jeune femme d’une trentaine d’années, qu’elles estiment porter un témoignage particulier.

Aïssata Diallo, mère de trois enfants, sueur au front, un bébé au dos, prend la parole, la voix chargée d’émotion :

« J’ai perdu mon fils Moussa à cinq ans. Une fièvre soudaine, puis le coma, et en deux jours, il n’était plus là… Le paludisme est comme un voleur qui rôde la nuit. Depuis, à chaque fois qu’un de mes enfants fait de la fièvre, je ne dors plus. Ce vaccin, s’il peut épargner à d’autres mères ce que j’ai vécu, sera une grâce. »

Au-delà de la douleur humaine, le paludisme impose aussi un lourd fardeau économique sur les épaules des familles. Dans un petit atelier de métallurgie de Ségou, les marteaux résonnent sur les tôles sous un soleil de plomb. Les ouvriers, en habits de travail poussiéreux, martèlent, soudent et polissent sans relâche des portes et des fenêtres.

C’est dans ce décor que Mamadou Traoré, ouvrier depuis dix ans, raconte les épreuves imposées par la maladie :

« Chaque fois qu'un de mes enfants tombe malade, il faut trouver de l'argent pour la consultation, les médicaments, parfois même pour payer le transport jusqu'au centre de santé. Mon salaire suffit à peine pour nourrir la famille, alors quand le palu frappe, je dois parfois m’endetter. Le paludisme ne tue pas seulement ; il appauvrit. »

À ses côtés, son maître d'atelier, Boubacar Keïta, renchérit :

« Ici, dans nos quartiers, c’est le paludisme qui nous frappe le plus durement. Si un vaccin peut protéger nos enfants et nos familles, ce sera déjà un grand pas en avant. »

Un nouvel allié très attendu

Dans les centres de santé communautaires, on se tient prêt. À l'approche de la saison des pluies, les agents de santé redoublent de vigilance, sachant qu'une nouvelle vague d’enfants atteints de paludisme est inévitable.

À Sirakoro, un quartier populaire de Bamako, Dr Oumar Konaté, médecin-chef dans une clinique privée, décrit une situation devenue presque banale dans tous les centres de santé :

« Pendant la saison des pluies, on ne compte plus les enfants qu’on reçoit avec des accès de palu. Parfois, il n’y a plus assez de lits, et les familles doivent dormir par terre, à côté des malades. Nous faisons de notre mieux, mais sans prévention durable, c’est une bataille perdue d’avance. »

Au contact permanent avec cette réalité, l'arrivée du vaccin est applaudie par le personnel médical.

« Ce vaccin pourrait tout changer. Il nous donne enfin une chance de ne plus seulement traiter, mais de prévenir la maladie. C’est un nouvel outil que nous attendions depuis longtemps », ajoute Dr Konaté.

Dans les villages isolés, les agents de santé sont en première ligne face aux épidémies. Aminata Sidibé, agente de vaccination mobile, partage son expérience :

« Quand je me rends dans les villages pour administrer les vaccins habituels — contre la rougeole, la polio ou la tuberculose — je vois tant d'enfants terrassés par le paludisme. Cela me brise le cœur. Il manque quelque chose. Ce quelque chose, c’est ce vaccin. »

Aminata se souvient avoir participé, par le passé, à des campagnes de distribution de comprimés de CPS (chimio-prévention saisonnière) destinés à renforcer la résistance des enfants pendant la saison des pluies. Mais l’impact de ces opérations, explique-t-elle, reste limité :

« La CPS aide un peu, oui, mais ce vaccin, lui, sera sûrement plus efficace. Il pourra vraiment protéger les enfants avant que la maladie ne les frappe. C’est ce que nous espérions depuis longtemps. »

La CPS combinée avec la vaccination et l’utilisation de moustiquaires représente la plus forte protection pour les enfants de moins de 5 ans.

Les leaders communautaires au cœur de la mobilisation

Dans les villages et les quartiers, les leaders communautaires et religieux jouent un rôle déterminant pour faire accepter tout nouveau vaccin. Dans la société malienne, leur voix porte loin. Ils sont les médiateurs naturels entre les autorités sanitaires et la population. Imams, chefs de village, notables ou responsables de groupements communautaires, tous façonnent et influencent l’opinion.

Leur soutien est indispensable, surtout pour contrer les peurs et les rumeurs qui entourent souvent les campagnes de vaccination. À l’annonce de l’arrivée imminente du vaccin contre le paludisme, l’imam Amadou Bamba, figure respectée dans sa commune, s'engage personnellement à sensibiliser ses fidèles :

« Beaucoup ici se méfient encore des vaccins. Mais l’importance des vaccins n’est plus à démontrer. Grâce à eux, nos enfants sont protégés contre de nombreuses maladies qui faisaient des ravages autrefois. En tant qu’imam, je leur dis que se protéger contre la maladie, c’est aussi honorer la vie que Dieu nous a donnée. Si nous nous mobilisons tous, ce vaccin contre le paludisme peut sauver nos enfants. »