Garder le lien : la vaccination au cœur de la crise sécuritaire à Gao
À Gao, au nord du Mali, vacciner un enfant n’est jamais un geste anodin. Il faut composer avec l’insécurité, la chaleur accablante et des familles en fuite permanente. Pourtant, chaque semaine, des équipes s’élancent pour tenter d’atteindre ceux que le conflit tient à l’écart des soins.
- 3 juin 2025
- 5 min de lecture
- par Aliou Diallo

Une logistique souple, portée par les relais communautaires
Il est un peu plus de dix heures du matin, ce 8 mai, à Dioulabougou, un quartier de la ville de Gao. Sous un grand hangar bien aéré, des femmes attendent patiemment, leurs nourrissons blottis contre elles. Dans l’air déjà écrasé par la chaleur, résonnent les pleurs des enfants tout juste vaccinés.
Cette scène, en apparence ordinaire, n’est possible que parce que nous sommes à Gao ville, où les structures sanitaires restent relativement accessibles. À peine sorti du périmètre urbain, la situation change radicalement : vacciner devient un véritable défi, entre routes sablonneuses, zones d’insécurité et déplacements constants des familles.

Crédit : Aliou Diallo
À Dioulabougou, les campagnes de vaccination sont minutieusement organisées.
« Le lundi, on administre le BCG, la fièvre jaune et le RR. Le jeudi, c’est Penta 1, 2, 3 et VPI », détaille Zahara Guitteye, chargée de la planification familiale dans le district sanitaire de Gao, présente ce jour-là pour prêter main forte et sensibiliser les femmes à la planification familiale. Les files d’attente s’étendent parfois jusque dans la rue, raconte-t-elle avec fierté.
Pour assurer la mobilisation, 55 relais communautaires formés par l’ONG HELP — dont une dizaine actuellement actifs — mènent des activités d’information, d’éducation, de sensibilisation et d’engagement (IESE).
« Ces relais expliquent aux femmes pourquoi les vaccins sont importants, et ça les rassure », souligne Hawa Assalia, responsable de l’équipe des vaccinateurs. Souvent issus des communautés elles-mêmes, ces relais jouent un rôle de médiateurs essentiels — d’autant plus précieux quand les familles ont fui ou changé de lieu sans prévenir.
Atteindre ceux qui se déplacent sans cesse
Mais dès que l’on s’éloigne des centres urbains, les difficultés s’accumulent. Dans les villages isolés, les campements nomades ou les zones de tension, vacciner devient une opération de terrain complexe.
Pour atteindre ces populations, les équipes sanitaires déploient deux stratégies : la stratégie avancée pour les zones situées entre 5 et 15 kilomètres d’un centre de santé, et la stratégie mobile au-delà de 15 kilomètres, avec des équipes itinérantes qui apportent plusieurs soins à la fois — souvent sous escorte communautaire.
« Dans ces zones, nous négocions avec les leaders locaux pour choisir les lieux et les moments les plus sûrs », explique le Dr Yehia Seydou Dicko, médecin-chef du district sanitaire de Gao. Mais le manque de ressources freine ces efforts.

Crédit : Aliou Diallo
Tout repose alors sur la mobilisation des communautés elles-mêmes.
« Dès que les familles comprennent que la vaccination protège leurs enfants, elles s’engagent. Elles nous protègent, nous orientent, nous accueillent », témoigne le Dr Seydou. Dans certaines localités, ce sont même les chefs de village qui organisent les files d’attente et assurent la sécurité temporaire des équipes.
Insécurité : fragmentation du territoire et improvisation
Dans la région de Gao, l’insécurité ne se traduit pas toujours par des combats directs. Elle prend aussi la forme de banditisme ou de menaces ponctuelles de groupes armés, qui empêchent parfois les agents de santé de retourner dans certaines zones.
Ces pressions, imprévisibles, obligent les équipes à faire preuve d’une vigilance constante.
« Une collègue, Halimatou Diallo, a été interceptée lors d’une mission. Téléphone, argent, matériel… tout a été volé », raconte Zahara Guitteye.

Crédit : Aliou Diallo
Dans ce contexte, rien ne peut être laissé au hasard. Les campagnes doivent être minutieusement préparées en amont. Les relais communautaires jouent ici un rôle crucial : ils évaluent les conditions de sécurité, identifient les lieux accessibles, et informent les équipes si une intervention est possible.
Souvent, ce sont eux qui maintiennent le lien avec les populations, même lorsque les agents ne peuvent plus circuler librement.
Des infrastructures fragiles dans un climat extrême
Le suivi administratif souffre lui aussi des difficultés logistiques. Faute de moyens, les réunions mensuelles de validation des données se font de plus en plus rares. Quant à la chaîne du froid — essentielle pour garantir l’efficacité des vaccins — elle reste l’un des maillons les plus fragiles du dispositif.
Dans cette région où les températures dépassent régulièrement les 40 °C, conserver les vaccins sans équipements adaptés relève du casse-tête.
« Sans chaîne du froid, pas de vaccin. Or certains districts n’ont même pas de réfrigérateur fonctionnel », alerte le Dr Niaky Camara, consultant immunisation pour l’UNICEF auprès de la Direction régionale de la Santé.

Crédit : Aliou Diallo
Le district d’Almoustrat illustre bien cette situation. Il compte dix aires de santé, mais une seule dispose d’un réfrigérateur.
« Certaines sont situées à plus de 100 kilomètres du centre du district. Sans solution de conservation sur place, elles doivent aller chercher les vaccins à chaque fois. Cela rend impossible une couverture hebdomadaire régulière », explique-t-il.
Selon l’Enquête Démographique et de Santé (EDSM-VII 2023–2024), 13 % des enfants de 12 à 23 mois au niveau national n’ont reçu aucun vaccin. Dans la région de Gao, cette proportion atteint 27,9 %. Ce chiffre révèle la difficulté d’assurer un suivi constant dans une région où les déplacements sont fréquents et les structures de santé parfois inexistantes.
Populations nomades : convaincre, parfois marchander
Chez les populations nomades, la réticence vaccinale reste fréquente.
« Ils refusent parfois, même après explication. Il faut alors offrir une moustiquaire ou un petit cadeau », raconte Fatima Silla, agent vaccinateur bénévole.
Mais il suffit souvent d’un cas de rougeole pour faire basculer les perceptions.
Pour aller plus loin
« Dès qu’un enfant tombe malade, ils accourent. Même des adultes demandent à être vaccinés », ajoute-t-elle.
Le suivi est aussi rendu difficile par les déplacements non signalés et la perte des carnets de vaccination.

Crédit : Aliou Diallo
« Beaucoup de familles partent sans prévenir. Sans la carte, on ne peut pas reprendre le cycle », explique Fatima Silla.
Malgré toutes les difficultés, les bénéfices de la vaccination sont visibles.
« Les femmes le disent : la rougeole, la polio, la méningite ont reculé. Elles voient la différence », témoigne Zahara Guitteye. Le Dr Camara confirme : « Grâce à la vaccination, de nombreuses maladies ont disparu. »
Un nouvel espoir émerge aujourd’hui avec l’arrivée du vaccin contre le paludisme.
« Le palu fait trop de dégâts ici. Si ce vaccin fonctionne, ce sera une révolution », conclut Zahara Guitteye.