Les « Mama Yeleen » au Mali, au cœur de la mobilisation contre la mortalité infantile et néonatale

Au cœur des communautés maliennes, les Mama Yeleen sont présentes dans 14 régions du pays, ainsi que dans le district de Bamako. Profondément enracinées au sein de ces communautés, elles jouent un rôle crucial dans l'amélioration de la santé maternelle et infantile.

  • 20 octobre 2023
  • 5 min de lecture
  • par Aliou Diallo
Les Mama Yeleen jouent un rôle essentiel dans l'amélioration de la santé publique au Mali. Crédit : UNICEF-Mali
Les Mama Yeleen jouent un rôle essentiel dans l'amélioration de la santé publique au Mali. Crédit : UNICEF-Mali
 

Une approche innovante depuis 2017

Les Mama Yeleen utilisent diverses techniques et approches, notamment l'engagement communautaire et la déviance positive, pour encourager et motiver les communautés à adopter des comportements positifs concernant les pratiques familiales essentielles.

À l'âge de 46 ans, Assetou Traoré est une Mama Yeleen depuis 5 ans. Elle organise ses sessions d'échanges au Centre de santé communautaire (CS-Com) de Lafiabougou, dans la ville de Kayes, capitale régionale de la première région administrative du Mali. Elle explique : « Je réunis entre 10 et 15 femmes en âge de procréation pour mes causeries-débats. Je leur parle de l'importance du respect du calendrier vaccinal des enfants et de l'importance de l'espacement des naissances… ».

« Les Mama Yeleen sont comme nos mamans du quartier. Elles ont acquis de l'expérience en tant que mères et épouses avant nous, c'est pourquoi leurs conseils nous sont très utiles. Il y a des choses que nous avons du mal à expliquer à un médecin, mais nous pouvons les partager avec une maman du quartier. »

Ces sessions d'échanges ne se limitent pas aux milieux hospitaliers, comme le souligne une autre Mama Yeleen, Kadi Keita, 54 ans : « Nous le faisons dans les quartiers ou directement au sein des familles. » Pour cette dernière, « être Mama Yeleen, c'est faire la promesse d'être à l'écoute des femmes dans l'intérêt de la communauté. Même les maris apprécient ce que nous faisons, car nous expliquons à leurs épouses qu'un enfant malade ou une grossesse avec des complications inattendues représentent une dépense supplémentaire pour le ménage ».

Devanture du CS-COM de Lafiabougou à Kayes.
Crédit : Aliou Diallo

Une approche innovante a été mise en place en 2017 par le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), en collaboration avec le Ministère de la Communication et les Directions régionales du Développement social et de l'Économie Solidaire. Cette approche innovante, basée sur un modèle de femmes leaders au sein de la communauté, vise à accompagner les populations, en particulier les femmes, dans l'adoption de bonnes pratiques familiales.

Lors du lancement de l'initiative en 2017, malgré les nombreuses initiatives dans les secteurs de la Santé, de l'Éducation, de la Nutrition, de la Protection, de l'Eau-Hygiène et de l'Assainissement, d'énormes défis subsistaient. Selon les résultats de l'enquête SMART de 2017, 2 enfants sur 10 souffraient de malnutrition chronique, le taux de mortalité néonatale était d'un enfant sur vingt-huit, plaçant le Mali parmi les 10 pays ayant les taux les plus élevés au monde. Seuls 3,3% des enfants âgés de 6 à 23 mois étaient correctement nourris (MICS 2015), et le taux d'allaitement exclusif atteignait 32,6% (MICS 2015).

En ce qui concerne la vaccination, selon l'Enquête Démographique et de Santé V (2012-2013), seulement 31% des enfants étaient vaccinés conformément au calendrier recommandé, c'est-à-dire avant l'âge de 12 mois. De plus, 13% des enfants âgés de 12 à 23 mois n'avaient reçu aucun antigène du Programme Elargi de Vaccination (PEV) avant l'âge de 12 mois. Cette situation était due, entre autres, à la faible observance des pratiques familiales essentielles (PFE), à l'influence des normes sociales et à la méconnaissance des comportements favorables à la santé maternelle et infantile.

Comme des mamans de quartier

Les critères essentiels pour devenir Mama Yeleen reposent sur le volontariat, l'engagement, la confiance de la communauté, ainsi qu'une solide capacité de communication pour promouvoir la cause de la mère et de l'enfant au sein de leur communauté. Elles sont sélectionnées en fonction de ces critères pour partager leurs expériences et leurs connaissances avec d'autres mères, femmes en âge de procréation, mais aussi avec les pères, les grands-parents et les gardiens d'enfants.

Avant d'être déployées sur le terrain, les Mama Yeleen suivent une formation portant sur diverses thématiques, notamment l'animation de groupe, l'écoute et les conseils liés aux Pratiques Familiales Essentielles (consultations prénatales, vaccination, allaitement maternel exclusif, etc.). L'UNICEF les équipe de boîtes à images pour les aider à animer efficacement leurs causeries-débats. De plus, elles utilisent des contes, des dictons et des chants locaux en lien avec la maternité et l'enfance pour susciter l'attention de leur public, comme le mentionne Kadi Keita.

Une Mama Yeleen échange avec une jeune mère.
Crédit : UNICEF-Mali

Fatoumata Traore, âgée de 34 ans, est une habituée des causeries des Mama Yeleen. Elle apprécie cette initiative en ces termes : « Les Mama Yeleen sont comme nos mamans du quartier. Elles ont acquis de l'expérience en tant que mères et épouses avant nous, c'est pourquoi leurs conseils nous sont très utiles. Il y a des choses que nous avons du mal à expliquer à un médecin, mais nous pouvons les partager avec une maman du quartier. Elles vivent parmi nous, nous les connaissons bien ».

« Le programme Mama Yeleen est une initiative qui a considérablement contribué à faire progresser l'agenda pour la réalisation des droits des enfants au Mali. Par exemple, grâce aux interventions des Mama Yeleen de 2018 à 2023, plus de 7 millions de personnes ont été sensibilisées. Cela a entraîné une nette amélioration du taux de vaccination des enfants de 0 à 23 mois, passant de 78% à 93% à Ségou, ainsi qu'une augmentation de l'allaitement maternel exclusif à Mopti, qui est passé de 46% à 52%, selon une enquête menée sur l'initiative en 2019 à Ségou et Mopti », explique Pierre Ngom, Représentant de l'UNICEF au Mali.

« Les Mama Yeleen nous soutiennent dans notre travail. En raison de leur ancrage dans les communautés, certaines femmes très conservatrices se sentent plus à l'aise pour partager des informations sur leur santé pendant la grossesse et celle de leurs bébés. Après cela, elles nous réfèrent ces femmes », déclare Chiaka Traoré, médecin-chef à la maternité « Walegnoumandon ».

Engagées volontairement pour le bien-être des femmes, les Mama Yeleen jouent un rôle essentiel dans l'amélioration de la santé publique. Kadi Keita souligne : « Nous ne sommes pas rémunérées. Cependant, certaines femmes nous offrent des cadeaux après leur accouchement, et lors de campagnes de vaccination, nous intervenons et recevons des per diem. » Elle exprime également le souhait de poursuivre la formation des Mama Yeleen et d'en recruter d'autres."


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