Vaccination de routine en Guinée : Une montagne à gravir pour retrouver les enfants zéro dose
Vacciner les enfants de Guinée est crucial pour les protéger de maladies évitables et éviter les flambées épidémiques. Alors que la reprise des activités de vaccination intensifiées se met en place, les regards se tournent vers les nombreux enfants zéro dose, qui n'ont jamais reçu aucune dose de vaccin. Il devient impératif de les identifier et de rattraper le retard causé par la pandémie de COVID-19.
- 10 juillet 2023
- 7 min de lecture
- par Alpha Abdoullaye Diallo
Maférenya, mercredi 21 juin 2023, 9h40. Les nuages se dissipent progressivement dans le ciel de cette sous-préfecture située à environ 70 km de Conakry, la capitale guinéenne. Le Premier ministre Bernard Goumou, accompagné des principaux partenaires techniques et financiers, dont Gavi, l'Alliance du vaccin, se dirige vers une tente aménagée en salle de vaccination pour l'occasion. En face, une femme tient joyeusement son bébé de quelques semaines sur une chaise, soutenue par des agents vaccinateurs. Le Premier ministre administre une dose de vaccin au nourrisson dans une atmosphère détendue, accompagnée d'applaudissements. C'est le lancement officiel des activités de vaccination intensifiées (AVI) en Guinée.
Le lendemain, Gavi et ses partenaires de l’OMS, l’UNICEF, la Banque Mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, le Secrétariat de Gavi, l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS) et l'ONG PATH ont visité le centre de vaccination pour les migrants à Jean Paul II à Ratoma. Le ministère de la Santé et de l'Hygiène Publique et l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ont profité de l'occasion pour lancer un nouveau partenariat, financé par Gavi, pour atteindre les populations mobiles et difficiles d'accès avec la vaccination. L'objectif est de vacciner 360 000 personnes en situation de mobilité et de fournir une assistance technique au Programme Élargi de Vaccination (PEV) et à l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS).
Des dizaines de milliers d’enfants zéro dose
Depuis quelques jours, Gavi et ses partenaires multiplient les rencontres ministère après ministère pour s'assurer du succès de la relance du programme élargi de vaccination (PEV) pour atteindre tous les enfants et femmes enceintes.
Le défi est immense. Un enfant sur deux n'a pas complété son parcours de vaccination. Sur les 192 000 enfants qui naissent chaque année, seulement 24% reçoivent un cycle de vaccination complet, selon l'Enquête Démographique et de Santé (EDS) de 2018. De plus, 386 108 femmes enceintes ne sont pas vaccinées ou sont sous-vaccinées, selon la même source. L'absence de vaccination laisse la porte ouverte aux maladies évitables par celle-ci, favorisant ainsi des flambées épidémiques, comme la Guinée a pu le constater récemment avec la coqueluche, la rougeole et la fièvre jaune. La vaccination est donc essentielle pour protéger non seulement les enfants, mais aussi l'ensemble de la population.
Le Premier ministre Bernard Goumou s'est engagé à augmenter la couverture vaccinale de 20 points d'ici la fin de l'année 2023, passant ainsi de 47 % à 67 %.
Il est important de souligner que "192 000 enfants n'ont jamais été vaccinés, un enfant sur deux n'a pas complété son parcours de vaccination, ce qui les expose à des maladies mortelles et/ou invalidantes, telles que la rougeole et la poliomyélite", déplore la Dr Marthe Sylvie Essengue Elouma, Directrice régionale de Gavi pour l'Afrique centrale et de l'ouest. Pourtant, ces maladies sont évitables grâce à la vaccination, souligne-t-elle, regrettant que cette faible couverture vaccinale "contribue à un taux de mortalité infantile très élevé". En effet, un enfant sur dix ne parvient pas à atteindre l'âge de cinq ans, selon les données des Nations Unies.
Afin d'inverser cette tendance, le Premier ministre Bernard Goumou s'est engagé à augmenter la couverture vaccinale de 20 points d'ici la fin de l'année 2023, passant ainsi de 47 % à 67 %. "C'est une bonne ambition. Cela nous met déjà sur la bonne voie. Nous sommes confiants qu'avec les ressources et la volonté politique présentes, nous pouvons réaliser de grands progrès d'ici la fin de l'année", a promis Marius Keller, responsable pays chez Gavi.
"Les vaccins sont disponibles, le personnel de santé est disponible. Que toutes les communautés, que toutes les autorités administratives envoient les enfants se faire vacciner pour qu'ils soient entièrement protégés", recommande le Dr Félix Ackebo, représentant de l'UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'Enfance) en Guinée. Il invite les autorités à communiquer et à sensibiliser dans les langues locales "afin que toutes les personnes comprennent l'importance de la vaccination".
Au-delà de la disponibilité des vaccins, 90 % des structures sanitaires qui proposent la vaccination disposent de réfrigérateurs pour assurer la conservation de qualité des produits, souligne le Dr Albert Camara, coordinateur national adjoint du PEV. "Les 10 % restants rencontrent des problèmes techniques. Nous cherchons des moyens de les réparer et d'optimiser davantage les services de vaccination", ajoute-t-il.
Pour atteindre les 67 %, les autorités sanitaires guinéennes prévoient de vacciner 500 000 enfants d'ici la fin de l'année, soit 41 628 par mois. À cette fin, environ 3 600 agents vaccinateurs sont mobilisés, souligne le Dr Gassim Cissé, coordinateur national du Programme Élargi de Vaccination (PEV).
De son côté, le Premier ministre assure que "le gouvernement mettra en œuvre tous les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif dans les délais impartis".
Rattraper le retard dû à la pandémie de COVID-19
La COVID-19 a fortement impacté la vaccination de routine en Guinée. "La population se méfiait des structures de santé. La communication au début de la campagne contre la COVID-19, qui n'était pas suffisamment prise en charge, a créé une certaine méfiance à l'égard des structures de santé. Cela a freiné la fréquentation des services de vaccination", rappelle le Dr Albert Camara.
L'enjeu aujourd'hui est de retrouver les enfants qui n'ont reçu aucune dose de vaccin, soit environ 192 000 individus répartis sur tout le territoire national. "C'est un rattrapage intensif", note-t-il, en remerciant au passage les partenaires techniques et financiers pour leur soutien. "Quand vous entendez le mot vaccination, cela signifie que les vaccins sont disponibles. Ils nous permettent de disposer de ces vaccins", se félicite le Dr Bachir Kanté, conseiller principal du ministre de la santé et de l'hygiène publique.
Pour aller plus loin
De plus, les différents partenaires de l'Alliance agissent pour encourager la vaccination. Par exemple, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) joue un rôle crucial en développant des microplans personnalisés visant à rattraper les enfants non vaccinés et à renforcer les campagnes de vaccination. De même, la Fondation Gates apporte un soutien précieux à un programme de vaccination de routine à Kankan, visant à assurer un accès équitable aux vaccins pour les communautés les plus vulnérables. Ces initiatives témoignent de l'engagement collectif des partenaires pour lutter contre les maladies évitables par la vaccination et à promouvoir la santé pour tous.
Des parents de plus en plus motivés
Si la réticence de la population a longtemps entravé la vaccination de routine en Guinée, ce n'est plus nécessairement le cas aujourd'hui, comme le fait savoir Ibrahima Camara, responsable communautaire. "Il y a moins de réticence car le terrain est désormais apolitique. Tout le monde parle le même langage. Sur le terrain, les parents sont motivés à faire vacciner leurs enfants contre les maladies qui pourraient entraver leur développement", se réjouit-il.
"Je suis heureuse de faire vacciner mon enfant. J'invite toutes les femmes à faire vacciner les leurs", renchérit Yarie Bangoura, venue faire vacciner sa fille de six mois au centre de santé amélioré de Maférenyah.
La technologie pour suivre l'évolution de la vaccination
Pour suivre en temps réel l'évolution de la vaccination, le PEV a développé un outil appelé "tableau de bord". Selon Abdoulaye Diallo, consultant pour le cabinet Dalberg, qui l'a conçu, cet outil permet de suivre le niveau de progression des activités de vaccination et de surveiller les recommandations. "C'est un outil intégré au système national appelé District Health Information Software 2 (DHIS2). Il est déployé à tous les niveaux, c'est-à-dire dans les centres de santé lorsqu'ils effectuent des vaccinations et communiquent les données chaque mois dans le système. Ces données remontent au niveau national et le tableau de bord permet de les analyser en temps réel", explique-t-il.
Cet outil, disponible depuis fin 2022, est accessible gratuitement en ligne, à condition de posséder un compte DHIS2 et une connexion Internet, précise-t-il.
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