50 ans de progrès : comment le Bangladesh a misé sur la santé

Moins d’un demi-siècle après avoir été qualifié de « cas désespéré », le Bangladesh est en passe de financer de manière autonome son programme de vaccination.

  • 27 mai 2025
  • 7 min de lecture
  • par Mohammad Al Amin ,   Personnel de Gavi
Un agent de santé au Bangladesh transportant des vaccins dans une glacière. Crédit : Gavi/2023/Ashraful Arefin
Un agent de santé au Bangladesh transportant des vaccins dans une glacière. Crédit : Gavi/2023/Ashraful Arefin
 

 

En 1979, l’année où le Bangladesh a lancé son programme national de vaccination, 211 enfants sur 1 000 nés dans le pays étaient censés mourir avant leur cinquième anniversaire.

Le pays était jeune – à peine huit ans s’étaient écoulés depuis la guerre de libération de 1971 –, densément peuplé et extrêmement pauvre. D’après le World Development Report de la Banque mondiale en 1979, avec un revenu national brut par habitant de 90 dollars américains1, rares étaient les pays plus démunis2. Et la tendance semblait s’aggraver : jusqu’en 19773, le taux de croissance annuel moyen du pays était négatif. Les maladies étaient nombreuses, les médecins et infirmiers désespérément peu nombreux4, et l’espérance de vie plafonnait à 47 ans.

Pour les analystes et théoriciens du développement international, le Bangladesh représentait un cas limite : si le Bangladesh y arrive, alors tout pays le peut. Henry Kissinger qualifia le pays de « cas désespéré international » ; en 1984, l’économiste bangladais de renom Rehman Sobhan5 décrivait dans un livre une « économie moribonde dépendante à l’excès de l’aide internationale ».

Moins d’un demi-siècle plus tard, le Bangladesh a déjoué ces prédictions. Un enfant qui naît aujourd’hui dans le pays peut espérer une vie bien plus longue et plus sûre. Le taux de mortalité des moins de cinq ans est tombé à 31 pour 1 000 naissances vivantes. L’espérance de vie atteint 73,7 ans – un chiffre supérieur à ceux de l’Inde et du Pakistan. Comment ce renversement a eu lieu est une histoire complexe : le développement du Bangladesh a tour à tour été encensé comme un « miracle économique », puis relativisé par ses détracteurs.

Deux choses sont pourtant claires et essentielles : le Bangladesh est devenu bien plus riche, et il a investi avec constance dans la santé de sa population. Il le fait de plus en plus de manière autonome : d’année en année, le pays assume une part croissante du coût de la vaccination des enfants, et il est en bonne voie pour sortir du soutien de Gavi d’ici à 2030.

 

Girls in Bangladesh sitting together during a HPV vaccination session. Credit: Gavi/2023/Ashraful Arefin
Des filles au Bangladesh assises ensemble lors d’une séance de vaccination contre le HPV.
Crédit : Gavi/2023/Ashraful Arefin

Le Bangladesh mise sur les vaccins

Selon Be-Nazir Ahmed, ancien directeur du contrôle des maladies à la Direction générale des services de santé (DGHS), les taux de vaccination à la fin de la première décennie d’existence du Bangladesh avoisinaient les 2 %.

Cette époque peut aujourd’hui sembler appartenir à un autre siècle, mais elle est suffisamment récente pour qu’Ahmed se souvienne encore des conséquences de cette vulnérabilité criante – en réalité, même lorsqu’il a pris son premier poste au sein du Programme élargi de vaccination (PEV) en 1989, « le nombre de décès d’enfants de moins de cinq ans s’élevait à environ 5 lakhs [500 000] par an ». Environ un tiers de ces décès étaient dus aux six maladies visées par le programme de vaccination du pays à l’époque : rougeole, tuberculose, polio, diphtérie, tétanos et coqueluche, précise-t-il.

Ahmed a pris sa retraite de la DGHS en 2018. À cette date, le Bangladesh avait atteint un taux de couverture de 98 % pour la troisième dose du vaccin de base contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTC3) ; la couverture vaccinale contre la rougeole s’élevait, et reste aujourd’hui, à 93 %, et le pays est officiellement exempt de polio depuis 2014.

« La progression spectaculaire du pays à partir de taux de vaccination très faibles a été rendue possible grâce à différentes mesures telles que le plaidoyer, la communication, la mobilisation sociale avec l’implication des communautés, l’engagement politique et le soutien constant de partenaires comme Gavi », explique Ahmed. « Mais surtout, la prise de conscience des parents – en particulier des mères – a été l’élément moteur pour atteindre et maintenir une couverture élevée dans le cadre du programme élargi de vaccination. »

Le programme de vaccination continue d’élargir son arsenal de vaccins : en octobre 2023, le Bangladesh a lancé la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) pour protéger les filles contre le cancer du col de l’utérus. Actuellement, selon les responsables du PEV, le pays se prépare à introduire le vaccin conjugué contre la typhoïde (TCV) dans le calendrier vaccinal de routine avec le soutien de Gavi, et prévoit également de déployer prochainement les vaccins contre l’encéphalite japonaise.

« Notre pays a accompli des progrès remarquables au cours des 20 dernières années dans l’administration de vaccins vitaux contre des maladies infectieuses mortelles, à destination des enfants et des femmes, ce qui a permis d’éviter des milliers de décès et de contribuer de manière significative à la réduction de la mortalité et de la morbidité infantiles et maternelles », a déclaré à VaccinesWork le Dr S.M. Abdullah-Al-Murad, directeur de programme (Santé maternelle, infantile et des adolescent·es) à la DGHS.

Ces avancées ont permis au pays d’atteindre, dès 2010, l’Objectif du Millénaire pour le développement n°4 – réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de cinq ans. Aujourd’hui, le système de vaccination s’efforce d’accroître la couverture dans les populations plus difficiles à atteindre, notamment les bidonvilles urbains et les zones industrielles. « Le programme garde aussi un œil attentif sur ses zones rurales difficiles d’accès », ajoute-t-il – comme les régions montagneuses, les zones reculées du Char et du Hoar, ou encore les populations nomades.

 

A mother and father with their child in Bangladesh. Credit: Gavi/2023/Ashraful Arefin
Une mère et un père avec leur enfant au Bangladesh.
Crédit : Gavi/2023/Ashraful Arefin

Vers l’autonomie vaccinale

Non seulement le Bangladesh est loin d’être le « cas désespéré » qu’il fut un temps qualifié d’être, mais la croissance économique soutenue du pays, conjuguée à l’amélioration constante de ses indicateurs de développement humain, lui vaut aujourd’hui d’être éligible à une « sortie » de la liste des pays les moins avancés (PMA) des Nations Unies en 2026.

Ce changement de statut attendu reflète une autonomie croissante – un processus que l’on peut retracer à travers l’évolution de son partenariat avec Gavi.

Créée en 2000 pour permettre aux enfants des pays les plus pauvres d’accéder aux vaccins, Gavi soutient la vaccination au Bangladesh depuis 2001, époque à laquelle la couverture vaccinale de base y était de 72 %. Mais le modèle de Gavi repose sur une logique de soutien transitoire vers l’autonomie : à mesure que les pays s’enrichissent, ils assument une part croissante du coût de leurs vaccins.

En 2020, le Bangladesh finançait déjà 39 % des 160 millions de dollars nécessaires pour protéger ses femmes et ses enfants grâce aux vaccins. Ce pourcentage n’a cessé d’augmenter, parallèlement à l’élargissement du programme vaccinal. Le coût total du programme de vaccination du Bangladesh s’élevait à 221 millions de dollars en 2022, et il est estimé à 382 millions de dollars d’ici 2030 — année à laquelle le pays devrait cesser de bénéficier du soutien de Gavi.

Selon Nilgun Aydogan, cheffe de l’équipe Gavi au Bangladesh, cet engagement financier croissant reflète une volonté politique remarquable en faveur de la santé. « Passer de 39 % de couverture des coûts vaccinaux en 2020 à une prise en charge totale de son avenir vaccinal en 2030 : le parcours du PEV bangladais est un témoignage d’engagement national, de résilience et de quête inflexible d’équité en santé pour les femmes et les enfants », souligne-t-elle.

La route vers un programme de vaccination intégralement autofinancé ne sera pas sans embûches. Les troubles politiques et économiques récents dans le pays — la Première ministre de longue date Sheikh Hasina a été évincée à la mi-2024 — en sont un rappel. Cela n’a toutefois pas dévié le Bangladesh de sa trajectoire de transition. Le professeur Dr Sayedur Rahman, actuellement assistant spécial du conseiller en chef au sein du gouvernement intérimaire, a indiqué à VaccinesWork que les autorités bangladaises cherchent à obtenir un soutien prolongé de la part de leurs partenaires au développement.

« Nous avons déjà demandé une prolongation du soutien de Gavi », a-t-il déclaré. « Mais l’obtention de cette prolongation dépend de plusieurs facteurs. Même si nous ne l’obtenons pas, cela ne posera pas de problème, car nous avons déjà commencé à participer au financement. Le montant du cofinancement augmentera progressivement. »

Du côté de Gavi, on mise sur les antécédents du pays pour rester optimiste. « Depuis des décennies, le Bangladesh fait preuve d’un engagement politique constant en faveur de la vaccination — un engagement qui s’est traduit par des avancées concrètes en matière de santé pour des millions de personnes », affirme Nilgun Aydogan. « Alors que le pays progresse régulièrement vers l’autofinancement total de son programme de vaccination, nous restons confiants que cet héritage de leadership et d’investissement en santé publique ne fera que se renforcer. »


1 Soit environ 396 dollars actuels, ajustés à l’inflation

2 Le PIB par habitant du Bhoutan, à 80 dollars, était inférieur ; le Cambodge, quant à lui, ne disposait pas de données de PIB pour cette période. Mais là où le Bhoutan et le Cambodge comptaient respectivement 1,2 et 8,4 millions d’habitants, le Bangladesh en abritait 81,2 millions sur un territoire nettement plus réduit que celui du Cambodge.

3 Le World Development Report couvre la période 1960–1977, mais le Bangladesh était encore le Pakistan oriental pendant la majeure partie de ces années. La période allant de 1971 à 1977 a toutefois été marquée par des difficultés économiques majeures pour ce jeune pays : inflation galopante, choc pétrolier mondial, baisse de l’aide étrangère, catastrophes naturelles et famine, ainsi que l’assassinat en 1975 du président fondateur du Bangladesh, Sheikh Mujibur Rahman.

4 En 1976, le Bangladesh comptait un médecin pour 11 350 habitants, et une infirmière pour 53 700.

5 Sobhan se montrait particulièrement critique à l’égard des pressions politiques exercées par les bailleurs internationaux.

6 Rapport d’investissement pour la vaccination au Bangladesh, ThinkWell pour Gavi, l’Alliance du Vaccin, février 2024.