Haïti, une ligne qui tient : comment un pays en crise continue de financer ses vaccins
Malgré l’insécurité et la crise institutionnelle, Haïti continue de financer ses vaccins pédiatriques. Un engagement politique maintenu grâce à une coordination étroite avec ses partenaires.
- 22 mai 2025
- 6 min de lecture
- par Assa Samaké-Roman
Dans un pays traversé par une succession de crises, où les violences armées paralysent les institutions et où l’accès aux soins est souvent compromis, l’idée même d’un programme vaccinal pérenne peut sembler irréaliste. Et pourtant, chaque année, Haïti honore sa contribution au co-financement de Gavi en assumant sa part des achats de vaccins pédiatriques.
Ce n’est pas un miracle — c’est une ligne politique qui tient, portée par un État affaibli mais engagé, et rendue possible par un équilibre patiemment construit avec les partenaires techniques et financiers du pays.
Une décision politique réitérée, encore et encore
« Le financement des vaccins est une exception dans le paysage haïtien. C’est presque un miracle chaque année. Même en suivant le processus de bout en bout, je me demande toujours comment ça finit par passer », estime Ludovic Queuille, spécialiste santé pour la Banque mondiale en Haïti.
Ce miracle est en réalité le fruit d’un mécanisme complexe. Chaque année, la demande de financement passe par plusieurs unités : la Direction du Programme Elargi de Vaccination (DPEV) (le programme de vaccination), l’UEP (Unité d’étude et de programmation), la DAB (Direction de l’administration et du budget), avant d’être transmise au ministère de l’Économie et des Finances.
Ce suivi très serré repose autant sur des processus que sur des personnes. « Il y a des acteurs clés dans ce parcours, qui est plus administratif que technique », souligne Ludovic Queuille. Peu visibles, souvent en poste depuis des années, ces relais internes assurent la continuité et débloquent les dossiers quand tout semble figé.
Une architecture collective qui rend le système possible
« Le programme de vaccination est, en quelque sorte, une représentation fidèle du système de santé dans son ensemble », observe Ludovic Queuille, spécialiste santé pour la Banque mondiale. « Les financements proviennent quasi exclusivement de partenaires internationaux, avec Gavi comme principal appui. »
Dans la mise en œuvre, plusieurs institutions — DPEV, OPS/OMS, UNICEF, JSI — interviennent de manière coordonnée, chacune selon ses compétences techniques. « En pratique, ce sont souvent l’OPS ou l’UNICEF qui facilitent la tenue des réunions, la préparation des documents, ou le suivi technique au niveau départemental », explique-t-il.
Cette organisation collective, bien établie, permet au ministère de la Santé de se concentrer sur ses responsabilités stratégiques, notamment la planification, l’orientation du programme et l’engagement financier sur l’achat de vaccins. C’est ce partage des rôles, fondé sur une connaissance fine des contraintes de chacun, qui contribue à la résilience du programme.
Charles Dago, conseiller en immunisation à l’OPS, souligne l’importance du soutien structurel apporté par les partenaires. « Dans certains domaines du programme de vaccination, le contexte haïtien exige que nous soyons très présents sur le terrain, pour renforcer les capacités existantes », explique-t-il.
L’OPS, par exemple, a mis en place une assistance technique décentralisée en recrutant des infirmières nationales expérimentées, déployées dans les départements pour appuyer les équipes du ministère. Ce soutien est également logistique : « Nous accompagnons le pays dans la planification des demandes de vaccins et la facilitation de l’achat international à travers le Fonds renouvelable », précise-t-il.
En coordination avec l’UNICEF, qui assure le maintien de la chaîne du froid et la distribution des vaccins jusqu’aux établissements de santé, l’OPS participe aussi à l’approvisionnement trimestriel entre le niveau central et les départements. D’autres partenaires complètent cet appui : la Banque mondiale, le CDC, ou encore USAID.
« C’est tout cet équilibre collectif qui permet au ministère de continuer à honorer ses engagements pour l’achat des vaccins », résume Charles Dago.
Livrer les vaccins dans un pays fragmenté : la logistique sous tension
Dans plusieurs zones du pays, notamment l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et le bas de l’Artibonite, les structures de santé fonctionnent de manière intermittente — parfois même à l’arrêt complet pendant plusieurs jours ou semaines. « La situation est fluide, la situation est dynamique », explique Charles Dago, conseiller en immunisation à l’OPS. « Il y a des jours où les prestataires peuvent aller travailler, et d’autres où, quand les gangs passent à l’action, plus personne ne peut bouger. »
Pour maintenir l’accès à la vaccination dans ces conditions, les partenaires ont dû s’adapter en permanence. « Une supervision qui devait se faire par voie terrestre doit parfois être envisagée par avion », poursuit-il. « À certains moments, nous avons dû recourir à des compagnies aériennes commerciales, ce qui multiplie les coûts. »
D’autres alternatives ont été mobilisées : des transporteurs privés qui utilisent des moyens leur permettant d’accéder aux départements du Nord, ou encore des trajets fluviaux vers le Sud du pays, là où les voies routières sont devenues impraticables. « On conditionne les vaccins de manière à préserver la chaîne du froid, même sur ces trajets inhabituels », selon Charles Dago.
Ces solutions représentent un coût logistique élevé, mais elles permettent d’assurer une continuité minimale du service dans des zones où l’accès est souvent aléatoire.
Une demande qui persiste, malgré tout
À ces défis logistiques s’ajoute une réalité souvent sous-estimée : la demande pour la vaccination reste forte. Malgré les déplacements, les coupures de service et l’instabilité, les familles continuent de faire vacciner leurs enfants. « Dès qu’il y a une accalmie, les parents envoient leurs enfants pour la vaccination », affirme Charles Dago.
Pour aller plus loin
Même dans les zones temporairement vidées de leur population ou dans les sites de déplacés, cette demande persiste. « Les parents fuient, souvent sans même emporter la carte de vaccination de l’enfant. Le plus important, c’est de se mettre à l’abri. Mais dès que c’est possible, la demande de service s’exprime. »
Des rumeurs ou hésitations ponctuelles peuvent apparaître, notamment lors des campagnes intensives, mais elles restent limitées. « On observe ce type de réticence surtout pendant les campagnes de rattrapage, mais cela reste marginal », précise-t-il.
Dans un contexte où l’accès à la vaccination de routine est mis à mal, ces campagnes sont essentielles. Elles permettent de toucher les enfants sous-vaccinés ou non vaccinés, souvent concentrés dans les zones les plus difficiles d’accès. « Elles ne remplacent pas la vaccination de routine , mais elles permettent de maintenir une offre de service dans la population. »
Une souveraineté en pratique, fondée sur la coopération
Le cas haïtien échappe aux catégories habituelles. Ce n’est ni un modèle classique d’autonomie vaccinale, ni un système entièrement dépendant. Dans un contexte de crise prolongée, la continuité du cofinancement vaccinal repose sur un engagement clair de l’État — et sur une coordination étroite avec les partenaires techniques et financiers.
« Le programme est conduit de manière collective, dans une dynamique où les partenaires prennent le relais sur certains volets, sans se substituer à l’État », explique Ludovic Queuille, de la Banque mondiale. Cette complémentarité permet de préserver une politique publique structurée, même dans des conditions extrêmes.
Ce modèle hybride, lucide et adapté, témoigne d’une forme de résilience institutionnelle : celle qui permet, même en contexte fragile, de tenir une ligne dans la durée.
Davantage de Assa Samaké-Roman
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