Au Congo, le réchauffement climatique favorise la circulation de la tuberculose

Avec le réchauffement climatique, les maladies infectieuses trouvent de nouvelles manières de s'étendre et de toucher les vies de milliers de personnes. La tuberculose en particulier connaît un regain. Selon l'Organisation mondiale de la santé, la tuberculose est dans le monde la 13e cause de mortalité et la deuxième due à une maladie infectieuse, derrière la COVID-19 (et avant le sida).

  • 7 juin 2022
  • 6 min de lecture
  • par Rosie Pioth
Professeure Francine Ntoumi, présidente de la Fondation Congolaise pour la recherche médicale (FCRM). Crédit: Rosie Pioth
Professeure Francine Ntoumi, présidente de la Fondation Congolaise pour la recherche médicale (FCRM). Crédit: Rosie Pioth
 

 

Impact sur les communautés locales

Angela, 38 ans, vit à Brazzaville, dans un quartier au sud de la capitale congolaise. Après la naissance de son premier fils il y a de cela 7 ans, elle est diagnostiquée de la tuberculose à la suite d’un examen médical de routine. Une situation qui va la pousser à s’isoler de son bébé à peine âgé de 4 mois à l’époque.

« Je me souviens encore de cette période comme si c’était hier… Mon bébé qui était au lait maternel exclusif a été mis au biberon car je ne pouvais plus l’allaiter par crainte de le contaminer. Je vivais chez ma sœur ainée qui a dû prendre en charge mon bébé durant toute la période de mon traitement », raconte-t-elle.

Un suivi médical qu’elle suivra à la lettre pendant huit mois avant de recouvrer sa santé. « Ma grande sœur m’a été d’une grande aide. Je ne sais pas ce que je serais devenue sans elle, car à la base, en allant faire ces examens, je ne m’attendais pas à être diagnostiquée avec la tuberculose. A la suite ce diagnostic, j’ai été stigmatisée par plusieurs personnes de notre entourage qui ont voulu même intoxiquer les pensées de ma sœur à mon égard, heureusement qu’elle n’avait rien suivi de tout cela », ajoute la jeune dame.

Il existe bel et bien un lien entre la crise climatique et la propagation des maladies infectieuses, notamment de la tuberculose.

Angela bénéficiera d’un traitement gratuit durant toute la période prescrite jusqu’à sa guérison finale. Aujourd’hui, cette période n’est qu’un souvenir, certes vivace dans son esprit, qui lui rappelle désormais que la stigmatisation tue plus que la maladie en soi.

Il y a dix ans de cela déjà, on parlait du changement climatique et de son impact sur les communautés locales. Mais aujourd’hui, le sujet est encore plus débattu au vu des conséquences néfastes sur l’environnement en général, et sur la santé en particulier.

Dans son bureau situé dans l’enceinte du Programme National de Lutte contre la Tuberculose à Brazzaville, Dr Franck Hardain Okemba, responsable de ce programme en République du Congo, estime qu’il existe bel et bien un lien entre la crise climatique et la propagation des maladies infectieuses, notamment de la tuberculose.

Dr Franck Hardain Okemba, responsable du Programme national de lutte contre la tuberculose. Crédit: Rosie Pioth
Dr Franck Hardain Okemba, responsable du Programme national de lutte contre la tuberculose.
Crédit: Rosie Pioth

« Le changement climatique impacte la santé, ce qui est sûr, mais quitte à faire le lien de cause à effet avec la propagation de la tuberculose, cela dépendra de l’effet que ce changement aura dans la propagation du bacille de Koch », déclare-t-il.

« La contamination de la tuberculose se fait par voie aérienne, et déjà pour des zones de forte endémicité, la bactérie est là, à l’air libre, où donc tout sujet qui se trouve dans cette zone devrait être en contact avec cette bactérie », ajoute le Dr Okemba.

Forte endémicité

La République du Congo est parmi les trente pays à charge élevée s’agissant de la tuberculose. Et selon les récentes statistiques du Programme National de Lutte contre la Tuberculose, on trouve 379 cas positifs pour 1.000 habitants, et 11.000 cas de tuberculose sur 13.000 habitants, avec un taux de détection de 94%.

A en croire le Dr Okemba, le changement climatique pourrait générer la transmission du bacille de Koch, une bactérie qui aime l'air, et donc a la possibilité de se propager et de contaminer, avec l’intervention d'autres facteurs.

La mortalité axée sur la tuberculose est de 42,4 décès pour 1.000 chez les tuberculeux séropositifs, et de 53 décès pour 1.000 chez les séronégatifs.

Depuis 2014, plusieurs avancées ont été toutefois constatées dans la lutte contre la tuberculose comme, entre autres, la participation des relais communautaires dans la recherche des cas « perdus de vue », l’intégration de la prise en charge contre la tuberculose dans la majorité des centres de santé à travers le pays ainsi que sa gratuité, l’expansion des centres de prise en charge et la mise sur pied d’un laboratoire P3.

Au risque que présente la crise climatique actuelle, s’ajoute celui de la résistance aux anti-microbiens avec comme menace directe, la résistance de la maladie de bacille de Koch aux médicaments actifs actuels.

La Fondation Congolaise pour la recherche médicale (FCRM) travaille en partenariat avec le Centre Antituberculeux (CAT) dans l’évaluation de la situation de la résistance aux antituberculeux depuis des années. Pour sa présidente, la professeure Francine Ntoumi, la tuberculose est un problème de santé publique majeur en République du Congo. Pour elle, la FCRM qui travaille en collaboration avec les centres antituberculeux dans l’évaluation de la situation au pays, constate une ultra-résistance aux antituberculeux.

Et le changement climatique ne vient pas améliorer les choses.

« Il est certain que la crise climatique a un impact sur la santé de l’individu… Quand on dit changement climatique, ça veut dire que la température augmente de quelques degrés, 1 ou 2 degrés. C’est énorme et ça veut dire que l’écosystème se modifie et donc permet à certains vecteurs qui ne se développaient pas en temps normal dans certaines zones de s’y développer », affirme-t-elle.

Docteur Laurecite Emile Massala est médecin généraliste au Centre Universitaire et Hospitalier de Brazzaville. Les fortes chaleurs provoquées par le changement climatique sont un vecteur de propagation de la tuberculose.

« Aujourd’hui, avec le dérèglement climatique, nous constatons les impacts au niveau de la santé des populations, surtout comme élément déclencheur de la maladie. Une personne peut avoir la toux six mois durant sans développer les autres signes extérieurs de la tuberculose. Mais à l’arrivée des fortes chaleurs par exemple, le patient se met à faire de la fièvre fréquemment. Ce qui va amener les agents de santé à revoir les examens médicaux, qui souvent, se concluent par une tuberculose ou une tuberculose avec VIH. » déclare -t-elle.

Marien Nzikou-Massala est un journaliste expert des questions climatiques et environnementales. Il estime que la crise climatique a un effet sur la propagation des maladies infectieuses en général, et de la tuberculose en particulier.

« Les fortes chaleurs sont un élément facilitant la circulation de certains gênes et bactéries, des microbes facteurs des maladies infectieuses telle que la tuberculose. », déclare-t-il.

Prévention par la protection de la nature

Pour prévenir la propagation au sein des communautés locales, il serait judicieux de revoir la politique gouvernementale en la matière.

« Il est temps que le gouvernement puisse revoir sa politique de prévention des maladies infectieuses en tenant compte des nouvelles donnes sur les changements climatiques. La préservation et l’assainissement de la nature seraient un atout pour se prévenir de la propagation des maladies infectieuses telles que la tuberculose. », ajoute Marien.

Pour le professeur Francine Ntoumi, il faudrait parvenir à l’implication des communautés dans la prise de conscience des dangers qui les guettent.

« Au risque que présente la crise climatique actuelle, s’ajoute celui de la résistance aux anti-microbiens avec comme menace directe, la résistance de la maladie de bacille de Koch aux médicaments actifs actuels. Ce qui aura comme conséquence des pertes en vies humaines, en attendant le développement des nouveaux médicaments appropriés », conclut-elle.