La seconde ligne de défense : vacciner les enfants au Tigré
Pour les familles du Tigré, la guerre est encore toute proche dans les mémoires, et les dangers laissés par des années de conflit continuent de peser. Mais des vaccinateurs comme Mebratu sont à l’œuvre pour y faire face.
- 2 décembre 2025
- 5 min de lecture
- par Sarah Hunaidi
Le Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, a passé l’essentiel de la période entre 2020 et 2022 plongé dans la guerre civile. On estime que des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers, de personnes ont été tuées dans le conflit ; beaucoup d’autres sont mortes des conséquences indirectes de la guerre. Mebratu Gebreselasie Kidanemariam, 38 ans, vaccinateur, a été témoin de certaines des conséquences les plus graves du conflit sur les tout-petits.
« À cause de la guerre, certains enfants n’ont pas pu recevoir l’injection qui aurait dû leur être administrée à 45 jours. Des maladies éradiquées depuis de nombreuses années ont commencé à réapparaître massivement », explique-t-il. Aujourd’hui, Mebratu, qui travaille à l’hôpital Semamoket dans le district d’Addiet, s’est donné pour mission de changer cela et de protéger autant d’enfants que possible.
Aider les mères à aider leurs enfants
Son plus grand défi, dit-il, a été d’atteindre les communautés éloignées. Avec des moyens de transport fiables et du carburant rares, il lui est arrivé de voyager cinq à six heures à pied, ou à dos de mule.
Grâce au projet REACH (Reaching Every Child in Humanitarian Settings), financé par Gavi et lancé dans le district d’Addiet en mai 2023, ces difficultés se sont atténuées. Mebratu et ses collègues ont reçu un soutien pour le transport, la maintenance de la chaîne du froid, la formation et les campagnes de sensibilisation, ce qui leur a permis de reprendre les vaccinations interrompues pendant des années et de protéger des milliers d’enfants. Les longs et épuisants trajets, notamment vers les centres de santé isolés d’Adekebekli et de Jira et leurs postes de santé, se sont allégés grâce aux dons de carburant pour les motos du district.
« On considère qu’une mère est quelqu’un qui fera tout ce qu’il faut. On peut donc dire que Gavi est la mère des enfants de ce district », dit Mebratu. « [Le partenariat REACH] a travaillé pour acheminer les médicaments là où nous en avions besoin, pour renforcer la compréhension de la communauté au sujet des vaccins, et pour améliorer les connaissances du personnel de santé. »
Pour aller plus loin
Le vaccinateur se souvient vivement de sa première mission à la station Hemore, un trajet de six heures à pied. « Nous avons été accueillis par des mères en pleurs qui nous demandaient pourquoi nous parlions de vaccins qui avaient cessé depuis longtemps. Elles n’arrêtaient pas de dire que la situation s’améliorait avant le déclenchement de la guerre, mais que désormais leurs enfants tombaient malades et mouraient depuis l’arrêt de la vaccination. Les mères n’arrêtaient pas de pleurer et demandaient s’il y aurait une vaccination. Nous leur avons dit que les vaccins étaient bel et bien disponibles. »
« Voir à quel point les mères comprenaient, et s’efforçaient de faire vacciner leurs enfants, est quelque chose que je n’oublierai jamais de toute ma vie. »
Un jour ordinaire dans une vie extraordinaire
Une journée typique pour Mebratu commence tôt. « Lorsque j’ai des vaccinations à effectuer, je prépare tout la veille. Je vérifie les médicaments que j’ai et ceux qui me manquent, la liste d’enregistrement, les articles qui accompagnent les médicaments, et si la communauté est informée de la vaccination. »
Les jours de mission, il part souvent à 04 h 00, transportant les vaccins en moto, en voiture ou, si nécessaire, à pied. Il ne rentre souvent chez lui qu’après 20 h 00.
Mais malgré les fortes exigences de son travail, Mebratu y trouve énergie et sens. « J’ai des raisons d’aimer être vaccinateur. Un professionnel de santé travaille avec les enfants pour sauver des vies d’enfants. Et les enfants sont la prochaine génération du pays. Si nous voulons qu’ils restent en vie, les vaccins doivent être disponibles. C’est pour cela que je veux être vaccinateur. »
Depuis le début du projet REACH, la couverture vaccinale du district s’est nettement améliorée, passant de 39 % début 2023 à 100 % en 2025, et des maladies comme la coqueluche, la rougeole et les oreillons – autrefois fréquentes – ont aujourd’hui pratiquement disparu à Addiet. Au total, 45 000 doses de vaccins ont été administrées par le partenariat REACH entre mai 2023 et octobre 2025 dans cette région vulnérable. Mebratu espère que cette tendance se poursuivra. Il estime que, pour cela, il faudra non seulement se concentrer sur la distribution des vaccins, mais aussi travailler à faire évoluer les comportements communautaires vers une meilleure recherche de soins, et renforcer le soutien aux travailleurs de santé.
Comment Gavi soutient-il REACH ?
Le programme de partenariats humanitaires de Gavi, également appelé ZIP, finance des organisations partenaires disposant d’une expertise spécifique pour intervenir dans les crises humanitaires. L’objectif ? Administrer toutes les doses de vaccins prévues aux enfants, de la naissance à cinq ans, dans les communautés où le conflit empêche l’accès aux services de santé publics.
Le consortium REACH financé par ZIP opère au Tchad, en Éthiopie, au Nigeria, en Somalie, au Soudan du Sud et au Soudan, afin de garantir que les enfants en contexte humanitaire reçoivent toutes leurs vaccinations de routine, quelle que soit la difficulté pour les atteindre.
En septembre 2025, ZIP avait permis à plus de 2,4 millions d’enfants vivant en zones de crise de recevoir leur tout premier vaccin, et à 1,4 million d’enfants leur dernière dose recommandée, les laissant ainsi entièrement immunisés.