Au Kenya, des flacons de vaccins plus petits pourraient protéger davantage d’enfants
Les flacons de dix doses semblaient aller de soi… jusqu’à ce que la réalité en montre les limites. Dans un hôpital local, l’arrivée de flacons de vaccin contre la rougeole et la rubéole contenant moins de doses fait naître l’espoir d’une vaccination plus simple et plus efficace.
- 9 décembre 2025
- 7 min de lecture
- par Angeline Anyango
En bref
- 235 établissements de santé au Kenya testent le passage de flacons de dix doses à des flacons de cinq doses pour le vaccin rougeole-rubéole (RR). Ce changement pourrait avoir un impact significatif.
- Les flacons de dix doses présentent un risque de gaspillage : si trop peu d’enfants se présentent lors d’une séance, les vaccins non utilisés doivent être jetés. Pour l’éviter, les parents sont souvent invités à reprogrammer leur rendez-vous.
- « Nous espérons constater une baisse du nombre d’enfants en retard de vaccination dans le sous-comté », explique l’infirmier Nicodemus Sango’onde, de l’hôpital de Rangwe. « Le nouveau flacon renforcera aussi la confiance de nos patients : ils ne seront plus renvoyés chez eux pour revenir plus tard. »
À une demi-heure à l’intérieur des terres depuis Homa Bay, au Kenya, la tranquillité verdoyante de la campagne est soudain interrompue par un ensemble de bâtiments bleu et crème : l’hôpital de Rangwe, au niveau du sous-comté. Dans un coin du site se trouve la clinique de santé maternelle et infantile (MCH). Parfois calme, elle est ce matin en pleine effervescence. Des femmes – certaines enceintes, d’autres accompagnées de jeunes enfants – se regroupent sur des bancs en attendant leur tour de voir l’infirmier.
Pour les équipes de santé, les matinées chargées comme celle-ci sont une occasion de faire plus que d’augmenter la couverture vaccinale : elles permettent aussi de réduire le gaspillage de vaccins. Certains vaccins sont conditionnés en flacons multi-doses : s’ils ne sont pas entièrement utilisés, ils doivent être jetés à la fin de la séance de vaccination ou dans les six heures suivant leur ouverture.
Jusqu’à récemment, le point de tension principal était le vaccin rougeole-rubéole (RR) : un minuscule flacon contenait pas moins de dix doses individuelles.
Lors des journées animées, éviter le gaspillage de RR est plus facile que lors des moments calmes, explique Nicodemus Sang’onde, infirmier en MCH à Rangwe. « Les jours de marché, nous nous attendons toujours à ce qu’une dizaine de mères viennent faire vacciner leurs enfants contre la rougeole-rubéole, ou pour d’autres vaccins systématiques des premiers mois », dit-il. Les structures de niveau inférieur du sous-comté renvoient également vers Rangwe les enfants devant recevoir ce vaccin, dans l’espoir d’atteindre le nombre nécessaire.
Mais les journées lentes placent les soignants dans une impasse : soit jeter des flacons encore utilisables contenant des doses restantes, soit demander aux rares mères présentes de revenir un autre jour.
Le dilemme des flacons à dix doses
Le personnel de Rangwe a tenté de s’organiser pour contourner ce problème, sans toujours y parvenir.
« En tant que structure, nous donnions des rendez-vous aux familles les jours où nous anticipions plus d’affluence. Pourtant, certains jours, une seule mère se présentait pour la vaccination », raconte Sang’onde. « Dans ces cas, nous devions reporter son rendez-vous. Et lorsqu’il s’agissait d’un enfant risquant de ne pas revenir, nous étions contraints d’ouvrir un flacon, entraînant le gaspillage de neuf doses. »
Mercy Akoth, mère de quatre enfants, a souvent fait les frais des efforts bien intentionnés visant à ne pas gaspiller des vaccins valides. « Avec mes aînés, je parcourais près de cinq kilomètres jusqu’à l’hôpital, en déboursant 100 shillings (0,77 USD), pour finalement être redirigée vers une autre structure ou reprogrammée pour plus tard », raconte-t-elle. Les médecins, explique-t-elle, pouvaient alors l’informer qu’il fallait un groupe de dix enfants pour administrer le vaccin RR, puisqu’il était conditionné en flacon de dix doses.
Ces « désagréments expliqués », dit-elle, font des rendez-vous de vaccination des journées qu’elle redoute presque. Pour cette petite entrepreneuse, un report signifie non seulement payer à nouveau le transport, mais aussi perdre encore une journée de travail.
Pourtant, Akoth, qui a accouché de ses quatre enfants à l’hôpital et veille scrupuleusement à ce qu’ils reçoivent leurs vaccins à temps, sait qu’il est trop important de ne pas repousser. Elle est aujourd’hui avec sa benjamine, âgée de six mois et prête à recevoir sa première dose de vaccin RR. « J’ai amené mon enfant parce que je connais trop bien les conséquences de la rougeole chez les enfants non vaccinés », dit-elle.
Aujourd’hui, cependant, les choses ont changé. Le flacon de dix doses a été remplacé par un plus petit, de cinq doses. L’attente est donc étonnamment courte. « Quand je suis arrivée, quatre enfants attendaient déjà. Sang’onde nous a informés que, puisque nous étions cinq, nous pouvions recevoir le vaccin », explique Akoth.
Une solution de bon sens
Le sous-comté de Rangwe n’est pas le seul endroit au monde à avoir constaté que le flacon de dix doses de vaccin contre la rougeole – pourtant économique dans certains contextes – pouvait devenir un casse-tête logistique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande d’ailleurs, dans l’ensemble, de passer des flacons de dix doses à des flacons de moindre volume, comme ceux de cinq doses, afin de réduire le gaspillage et d’améliorer la couverture vaccinale.
Le Kenya a récemment lancé une étude visant à produire des données locales sur la faisabilité, le coût et les résultats sanitaires de la transition vers des flacons de vaccin RR de cinq doses. L’évaluation d’impact de ce passage du dix-doses au cinq-doses est menée par l’Université Maseno, en partenariat avec l’Université de Nairobi, l’Institut kényan de recherche médicale (KEMRI), le ministère de la Santé et d’autres partenaires.
Financé par le Network of Impact Evaluation Researchers in Africa (NIERA), en collaboration avec le National Vaccines and Immunization Program (NVIP) du ministère de la Santé du Kenya, le projet a permis l’achat de 35 000 flacons de cinq doses destinés à 235 établissements pilotes répartis dans 12 sous-comtés des régions de Kiambu, Vihiga et Homa Bay, sur une période de cinq mois à partir de septembre.
Sang’onde ne cache pas sa joie en annonçant que l’hôpital de Rangwe a été sélectionné pour participer à l’essai sur le terrain. Il sait suffisamment bien qu’un flacon plus petit rapprochera Rangwe d’un de ses objectifs de longue date : la vaccination universelle des enfants.
« Nous espérons constater une baisse du nombre d’enfants en retard de vaccination dans le sous-comté », explique-t-il. « Le nouveau flacon renforcera aussi la confiance de nos patients : ils ne seront plus renvoyés chez eux pour revenir plus tard. »
Pour aller plus loin
Une première nationale
« Il s’agit de la première étude pilote menée au Kenya sur le passage des flacons de vaccin RR de dix à cinq doses. Elle s’inscrit dans le Plan stratégique national de vaccination (2023–2027) et dans l’Agenda vaccinal 2030, qui visent une vaccination équitable et efficace pour tous les enfants », explique le professeur Apollo Maima, investigateur principal de l’étude.
« À la fin de l’étude, nous comparerons le groupe témoin (poursuivant avec des flacons de dix doses) et le groupe d’intervention (utilisant des flacons de cinq doses) », poursuit-il. Les conclusions guideront la politique nationale sur l’immunisation contre la rougeole et la rubéole.
Pour des mères comme Melany Achieng, venue à l’hôpital de Rangwe pour une consultation avec sa dernière-née d’un an, Joyce Aoko, le changement de flacon est porteur d’espoir : il permettra aux parents vivant loin des structures de santé de gagner du temps et de l’argent, puisque les enfants pourront être vaccinés dès la première visite, souligne-t-elle.
Bien que les trois aînés d’Achieng aient reçu le vaccin RR, les faire vacciner n’a pas été facile. Un jour, elle était la seule mère venue pour la vaccination. « On m’a demandé de revenir plus tard. Dans ces cas-là, je devais renoncer temporairement à mon unique source de revenus pour que mes enfants soient vaccinés », explique-t-elle.
Elle ajoute : « Il m’est aussi arrivé de revenir à la date prévue, pour que la séance soit une nouvelle fois reportée parce que l’objectif n’avait pas été atteint. »
Linet Achieng, du village d’Amacha, dans le comté de Homa Bay, raconte une histoire similaire. Elle dépense 200 shillings kényans (1,54 USD) à chaque trajet vers la structure. Parfois, même les jours d’affluence, elle a été déçue : comme lorsqu’elle est arrivée après l’administration des vaccins aux enfants présents, laissant moins de dix enfants à vacciner et un personnel hésitant à ouvrir un nouveau flacon.
Mais, dit-elle, la commodité ne doit jamais primer sur la sécurité. « Je sais à quel point la rougeole peut être dangereuse. L’enfant de ma voisine l’a attrapée, mais comme elle avait été vaccinée, elle n’a ressenti que des symptômes légers. C’est exactement ce que je veux pour mes enfants », affirme cette mère de 30 ans.
Davantage de Angeline Anyango
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