Précarité menstruelle : Au Bénin, les ONG féministes changent les règles

Dans le cadre de la lutte contre la précarité menstruelle chez les jeunes filles en milieu scolaire, l’ONG Mata-Yara, dirigée par Hermyone Sena Adjovi, a lancé pour l'année scolaire 2022-2023 une tournée nationale dénommée « DigniFemme ». Le but : distribuer des serviettes hygiéniques lavables et réutilisables aux filles dans les écoles du Bénin et sensibiliser à l’hygiène menstruelle. L’ONG entend impacter plus de 6.000 jeunes filles dans les 12 départements du Bénin. Tout a commencé en 2019, juste avant le début de la pandémie de COVID-19.

  • 26 janvier 2023
  • 5 min de lecture
  • par Edna Fleure
Des membres de l'ONG Mata-Yara arpentent les villages pour distribuer des protections menstruelles. Crédit : Edna Fleure
Des membres de l'ONG Mata-Yara arpentent les villages pour distribuer des protections menstruelles. Crédit : Edna Fleure
 

 

Briser le tabou des règles

Au Bénin, plus de 15% des filles ont un cursus scolaire perturbé à cause des menstrues. « Les répercussions se ressentent directement aussi bien sur les résultats scolaires, sur la façon dont elles considèrent leur corps et sur l’image que les garçons et les hommes se construisent du corps de la femme », fait remarquer Hermyone Adjovi, présidente de l’ONG Mata-Yara.

Mais là n'est pas le plus difficile. Dans certaines localités du Bénin, les jeunes filles dès leurs premières menstrues sont considérées comme des adultes pouvant arrêter l’école, se marier et avoir des enfants. Il y a également ces idées préconçues et patriarcales de la société qui imposent à la jeune fille un environnement fait de restrictions, de privations et d’exclusion. Elles sont nombreuses à opter pour l'abandon des cours, n'ayant pas de serviettes menstruelles à mettre. Elles n'ont pas les moyens d'en acheter et sont gênées par le regard que porte la société sur une fille qui a ses règles.

« Cette activité permet non seulement de déconstruire les mythes autours des menstrues, mythes qui contribuent à la discrimination ou aux stéréotypes qui handicapent l’épanouissement des filles et femmes, mais surtout d'attirer l’attention de la communauté sur le fait que les menstrues font partie intégrante de la vie de la femme. »

Yolande Dédji se prépare pour son premier diplôme du premier cycle. Elle salue la distribution des serviettes menstruelles. « Dans les villes, le problème ne se pose pas, mais dans le monde rural, c'est une autre réalité. Ma mère aurait voulu que j'utilise le pagne comme elle l'avait fait. Mais on nous a appris à l'école que les tissus que nous prenons pour les menstrues sont vecteurs de maladie. J'ai dû faire une activité parallèle pour pouvoir acheter mes serviettes menstruelles. Mais avec les serviettes réutilisables qu’on vient de nous offrir, je suis contente. Je ne serai plus obligée de me lever à chaque fois pour vérifier si ma tenue d’école a été tachée par le sang ou pas ».

Protections menstruelles
Des élèves reçoivent des protections menstruelles réutilisables.
Crédit : Edna Fleure

Le programme #DigniFemme vient apporter une solution durable à ces problèmes, tout en veillant au respect de l'environnement. Le but est d'autonomiser les filles en milieu scolaire à travers une vulgarisation des bonnes informations et pratiques en matière de menstruation et de gestion d'hygiène menstruelle, et distribuer des serviettes menstruelles lavables et réutilisables sur plusieurs années.

Autonomisation des filles et des femmes

Débuté en 2019, ce projet a abouti en 2020, à l’inauguration d’un atelier de couture où sont produites des serviettes hygiéniques lavables et réutilisables. Au sein de cet atelier, des filles déscolarisées et des filles-mères « sont embauchées en échange d’une rémunération qui leur permet parallèlement d’améliorer leurs conditions de vie », explique la présidente de l’ONG. Ainsi, de 2021 à ce jour, les serviettes produites par ces filles ont été déjà offertes à près de 5.000 filles au Bénin. Pour cette tournée nationale 2022-2023, 30.000 serviettes hygiéniques lavables et réutilisables seront distribuées à 6.000 autres jeunes filles.

Le programme #DigniFemme a démarré en pleine crise sanitaire. Avec les restrictions et les conséquences sociales qui en ont découlé, il était difficile pour les filles de se procurer des protections menstruelles. Les frontières étaient fermées, les commerçants entretenaient également la surenchère. Il paraissait essentiel pour l’ONG Mata-Yara de voler au secours des jeunes filles pour ne pas rajouter à la liste des causes du décrochage scolaire.

Aline Kiniffo est professeure dans un collège de Kpomassè, une ville située à quelques kilomètres de Cotonou. Elle confie que la plupart des filles de sa classe ont manqué les cours durant la pandémie, au moins une semaine par mois. « Je suis contente qu’une initiative comme celle-là maintienne les filles à l’école. Depuis qu’il y a eu distribution de serviettes menstruelles, je n’ai plus eu d’absences, à part les jours de marché où certains parents obligent leurs filles à les y accompagner. J’espère que d‘autres filles auront la chance d’en bénéficier ».

Enfin, coup de projecteur sur la santé des femmes

Au Bénin, la précarité menstruelle est de plus en plus au cœur des préoccupations des organisations qui oeuvrent pour le bien-être de jeunes filles. Au plus fort de la pandémie, l’UNICEF en collaboration avec le Gouvernement du Bénin a procédé à la remise de 56.000 kits pour la gestion de l’hygiène menstruelle des adolescentes. C’est aussi le cas de l’ONG Assad-Bénin et l’association Igberado, qui à travers le projet U-Report, ont organisé des ateliers créatifs pour former des jeunes à la fabrication des serviettes menstruelles afin de permettre aux filles de suivre leur scolarité. « Cette activité permet non seulement de déconstruire les mythes autours des menstrues, mythes qui contribuent à la discrimination ou aux stéréotypes qui handicapent l’épanouissement des filles et femmes, mais surtout d'attirer l’attention de la communauté sur le fait que les menstrues font partie intégrante de la vie de la femme. La bonne gestion des menstrues contribue à l’épanouissement de la femme du point de vue de la santé sexuelle », assure Ayouba Orou Gounou Guene, jeune activiste engagée pour la santé sexuelle et reproductive.

Même si des serviettes jetables peuvent s’acheter en pharmacie, leur coût élevé exclut la majorité des filles. Les organisateurs de ces campagnes de distribution de serviettes et des ateliers de confection espèrent que les participantes se feront ambassadrices auprès de leurs camarades, pour que la question des règles ne soit plus un frein, encore moins un sujet tabou.