Protéger les filles, sauver des vies : au Togo, le vaccin contre le papillomavirus fait son entrée dans la vaccination de routine

Pour renforcer la lutte contre le virus du papillome humain (VPH) et prévenir le cancer du col de l'utérus, les autorités togolaises, avec le soutien de ses partenaires dont Gavi, ont initié une campagne de vaccination dès le 27 novembre 2023, en prévision de son inclusion dans le programme national de vaccination de routine à partir du 4 décembre. Cette démarche, mêlant défis et espoirs, positionne le Togo parmi la presque trentaine de pays africains ayant déjà adopté ce vaccin. Une avancée significative pour sauvegarder la santé des générations futures.

  • 8 décembre 2023
  • 8 min de lecture
  • par Nephthali Messanh Ledy
Des élèves font la queue pour se faire vacciner contre le VPH au Lycée d’Agoè Est, dans la banlieue nord de Lomé. Crédit : Nephthali Messanh Ledy
Des élèves font la queue pour se faire vacciner contre le VPH au Lycée d’Agoè Est, dans la banlieue nord de Lomé. Crédit : Nephthali Messanh Ledy
 

 

Il est 9 heures au Lycée d'Agoe-Est, situé dans la banlieue nord de Lomé. Ce mardi 28 novembre 2023, l'esplanade de l'école devient le théâtre d'une scène inhabituelle : des élèves, exclusivement des filles, forment des files d'attente, chacune recevant une dose de vaccin. Daoudao Barina, âgée de 12 ans et en classe de 5ème, déclare avec un sourire radieux : « C’est le vaccin contre le virus du papillome humain (VPH) qui va me protéger d’un éventuel cancer du col de l’utérus. » Les preuves d'accord parental sont bien en vue, détenues non seulement par Daoudao mais aussi par d'autres filles en attente de la vaccination.

En raison de l'âge du groupe cible (9 à 14 ans), une autorisation parentale était nécessaire pour la vaccination lancée la veille par le gouvernement. Les autorités sanitaires ont ainsi expédié des demandes d'autorisation aux parents, accompagnées d'une copie de leur pièce d'identité. Une jeune élève témoigne : « J’ai remis la fiche à mon père. Il l'a signée sans discuter. En réalité, il était déjà informé de la maladie », juste avant de recevoir une dose de vaccin, sous le regard curieux de ses camarades garçons.

Une élève se fait vacciner contre le VPH au Lycée d’Agoè Est, dans la banlieue nord de Lomé, sous le regard de ses camarades
Crédit : Nephthali Messanh Ledy

En ciblant les jeunes avant toute exposition au VPH, principalement transmis par voie sexuelle, le vaccin peut agir de manière plus efficace, car il est conçu pour prévenir les infections virales avant qu'elles ne surviennent. Cela réduit donc considérablement le risque de développer des infections persistantes pouvant éventuellement conduire au cancer du col de l'utérus, une maladie potentiellement mortelle.

En 2022, près de deux millions de femmes en âge de procréer au Togo étaient à risque de développer le cancer du col de l’utérus, le deuxième cancer le plus répandu chez les femmes togolaises, juste derrière celui du sein.

Adegnon, un parent d'élève, partage son soulagement : « C’est un soulagement de savoir que ma fille est désormais protégée contre ce cancer. Quand on a une idée des ravages du cancer du col de l’utérus et le coût de la prise en charge dans notre pays, nous ne pouvons qu’adhérer à cette campagne de vaccination salvatrice », confie-t-il en tant que témoin de cette nouvelle vaccination à l'établissement scolaire.

La file des candidates à la vaccination ne cesse de s'allonger, et l'agent de santé communautaire chargé de la vérification des fiches d'autorisation se réjouit : « La mobilisation des élèves est importante. Le message est bien passé. »

Selon les chiffres du ministère de la Santé, près de 600 femmes reçoivent le diagnostic du cancer du col de l’utérus chaque année au Togo, et malheureusement, plus de 400 d'entre elles décèdent des suites de la maladie. Pour contrer ce fléau, les autorités sanitaires ont décidé d’introduire le vaccin contre le VPH dans le programme de vaccination de routine, réalisée en collaboration avec des partenaires tels que l'Alliance du vaccin (Gavi), l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). Cette initiative bénéficie également du soutien d'autres acteurs locaux, tels que la Croix Rouge Togolaise, la Société Civile (POSCVI) et le Secteur Privé de la santé, qui contribuent à la mise en œuvre de la stratégie de vaccination contre le papillomavirus.

En prélude à l’intégration du vaccin, une campagne de vaccination a été lancée le 27 novembre à Tohoun, localité située à environ 150 km au nord de Lomé. L’objectif de cette campagne, se déroulant aussi bien dans les formations sanitaires que dans les écoles avec des équipes mobiles, est de vacciner 656,240 filles de 9 à 14 ans.

Au commencement, un projet pilote

Selon le ministère de la Santé, en 2022, près de deux millions de femmes en âge de procréer au Togo étaient à risque de développer le cancer du col de l’utérus, le deuxième cancer le plus répandu chez les femmes togolaises, juste derrière celui du sein.

Le Dr Wotobe Kokou, secrétaire général du ministère de la Santé du Togo, rappelle qu'entre 2015 et 2017, le Togo avait déjà mis en œuvre un projet pilote de vaccination contre le cancer du col de l’utérus dans deux districts, limité aux adolescentes de 9 à 14 ans des districts sanitaires de Tchamba, au centre du pays, et du Golfe où se trouve Lomé, la capitale.

Selon le Dr Nayo-Apetsianyi Josée, directrice générale des Études, de la Planification et de l’Information sanitaire au ministère de la Santé, « les résultats de ce projet ont été encourageants. L’acceptabilité et la tolérance du vaccin ont été bonnes ». « C’est dans cette perspective que nous introduisons le vaccin anti-VPH dans le Programme Elargi de Vaccination », justifie-t-elle.

« Le vaccin est efficace à plus de 95%. C’est l’un des vaccins les plus efficaces que je n’ai jamais vu. Et il n’a aucune incidence sur la fécondité »

Le Togo a opté pour le vaccin Cervarix. « Cervarix est un vaccin efficace, avec peu d’effets indésirables. Et une seule dose suffit pour prévenir le cancer du col de l’utérus », assure le Dr Nayo-Apetsianyi.

Dans un communiqué cosigné par les partenaires et le ministère de la Santé, Thabani Maphosa, directeur de l’implémentation des programmes Pays de Gavi, a déclaré qu’avec « ces premières mesures visant à protéger une génération entière des ravages causés par ce cancer, les adolescentes du Togo vont pouvoir dorénavant bénéficier de la protection dont elles ont besoin pour vivre à l’abri du cancer du col de l'utérus ».

« Cette campagne de vaccination est salutaire »

Pour les femmes qui ont déjà vécu la maladie, le soulagement est partagé. Celles qui vivent souvent cachées après le diagnostic ne veulent pas voir d’autres femmes infectées par le virus et développer un cancer.

Après plusieurs jours de discussions, une survivante de la maladie a décidé de partager son expérience sous couvert d’anonymat.

« J’ai découvert mon cancer par hasard. J’avais des douleurs, je suis donc allée voir un gynécologue et le verdict est tombé quelques jours après les analyses. J’étais tombée des nues », raconte-t-elle.

Pour cette rescapée, la vaccination est salvatrice pour les femmes. « Aujourd’hui, je suis guérie. Mais les conséquences du traitement sont toujours présentes. Je dois me rendre à des contrôles. J’ai toujours dans un coin de ma tête l’angoisse de rechuter », affirme-t-elle avant d’interpeller : « si j’avais été vaccinée, je n’aurais pas eu à vivre ce calvaire. J’appelle les parents à mettre leurs filles à l’abri de cette maladie silencieuse ».

Zénab Moumouni, présidente de l'association FemSansCancer (FSC), applaudit l’arrivée du vaccin contre le papillomavirus dans la vaccination de routine au Togo. « Cette campagne de vaccination est salutaire. Ce n’était pas tout le monde qui pouvait se procurer le vaccin contre le cancer du col de l’utérus », estime-t-elle.

Elle souligne également la nécessité de mettre l’accent sur la sensibilisation pour une grande mobilisation des populations. « Il y a des contre-sensibilisations. Certains parents sont réticents à autoriser leurs enfants à se vacciner. Beaucoup de parents ont contacté notre association pour être rassurés », fait-elle savoir. Elle explique également que le vaccin est destiné aux filles vierges. Pour elle, il faut insister sur cet aspect lors des sensibilisations pour éviter des couacs.

Des doutes à dissiper

Comme l’a souligné la présidente de l’association FSC, certains parents, malgré les garanties des autorités sur l’efficacité du vaccin, redoutent des effets secondaires.

Cependant, le Dr Salomon Hainga, en charge du renforcement du système de santé au bureau pays de l’OMS, répond : « le vaccin est efficace à plus de 95%. C’est l’un des vaccins les plus efficaces que je n’ai jamais vu. Et il n’a aucune incidence sur la fécondité », affirme-t-il.

« Le vaccin contre le VPH existe depuis des années, et le Togo l’a expérimenté en 2015 », note aussi le Dr Nayo-Apetsianyi. Pour dissiper les doutes, « des messages spécifiques sont élaborés, avec des affiches, des spots et des capsules », indique-t-elle.

Le ministère de la Santé s’appuie notamment sur les agents de santé communautaires, les leaders communautaires et les enseignants dans les écoles.

En plus des médias, les responsables sanitaires orchestrent des sessions de dialogue et de sensibilisation avec les parents et les leaders communautaires afin de fournir des assurances et de dissiper les préoccupations. 
Crédit : OMS Togo.

« Il est important que nos relais que sont les agents de santé communautaires et les enseignants aient la bonne information et la diffusent pour dissiper les incertitudes », souligne le Dr Salomon Hainga. Et de préciser qu’il faut insister sur la sûreté du vaccin pour une adhésion massive de la population et venir à bout des théories du complot. D’ailleurs, des séances d'échanges et de sensibilisation sont déjà organisées avec les parents et les leaders communautaires, entre autres, par les responsables sanitaires, avec l'appui des partenaires.

Le Togo rejoint la liste des 27 pays sur 47 en Afrique qui ont déjà adopté le vaccin contre le VPH. En Afrique de l'Ouest, 10 pays sur 17 de la région l'ont fait, dont le Sénégal, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire et la Mauritanie. Une avancée significative pour réduire le fardeau du cancer du col de l'utérus, qui tue de manière disproportionnée les femmes des pays à faible et moyen revenu.


Suivez l'auteur sur Twitter : @NephLedy