Avec les relais communautaires, le Bénin soigne au plus près

Après une phase pilote en 2023, le Bénin a généralisé en 2024 une ambitieuse politique de santé communautaire. Soutenue par des partenaires comme l’UNICEF, Gavi et le Fonds mondial, elle repose sur près de 16 000 relais et agents communautaires, devenus la cheville ouvrière d’une réforme conçue pour rapprocher les soins des foyers.

  • 28 août 2025
  • 6 min de lecture
  • par Edna Fleure
Remise d’équipements de sécurité à des relais communautaires dans une zone lacustre du Bénin, afin de faciliter leurs déplacements pour atteindre les villages isolés. Crédit : Edna Fleure
Remise d’équipements de sécurité à des relais communautaires dans une zone lacustre du Bénin, afin de faciliter leurs déplacements pour atteindre les villages isolés. Crédit : Edna Fleure
 

 

Des relais de proximité, piliers de la réforme

À Gabourou, un village de la commune de Banikoara, dans le nord du Bénin, le quotidien d’un relais communautaire illustre les défis de la santé de proximité. Yessoufou Sikirou l’exerce avec empathie et bienveillance. Responsable d’environ 200 ménages, il consacre chaque matin à faire le tour des maisons pour vérifier si les conseils donnés lors des causeries éducatives sont suivis. Il s’assure de la santé des enfants et oriente, si nécessaire, ceux qui souffrent de malnutrition ou d’autres problèmes vers l’hôpital.

« C’est un travail qui me passionne. Pouvoir être utile aux autres, j’en ai toujours rêvé », confie le jeune homme.

Ses tournées se déroulent le matin ; l’après-midi est réservé aux séances de sensibilisation. Quatre fois par semaine, il anime ces causeries éducatives avec les ménages dont il a la charge. « Pour m’organiser, j’ai réparti les 200 ménages en quatre groupes. Chaque semaine, je fais donc quatre séances, sur des thèmes comme la vaccination, l’allaitement maternel, la malnutrition, ou encore les comportements à risque », explique-t-il.

Juché sur son vélo, klaxonnant comme pour fredonner un air familier, Sikirou sillonne les ruelles. Autrefois perçu comme un intrus, il est désormais accueilli presque comme un membre de la famille dans les foyers qu’il visite. « Les gens ont compris que je ne leur veux rien de mal et que je m’implique réellement dans les situations qu’ils traversent », dit-il avec un sourire.

Et son rôle ne s’arrête pas aux humains. En collaboration avec les vétérinaires locaux, il participe aussi à la vaccination des chiens et des chats, afin de prévenir la transmission de maladies. Dans cette région où les intoxications alimentaires sont fréquentes, il sensibilise également les chefs de ménage à l’importance de la salubrité et du stockage adéquat des aliments.

Une politique pensée pour les réalités locales

Le travail de Sikirou illustre la réforme profonde engagée par le Bénin depuis 2023. Conçue pour corriger un système trop centré sur les hôpitaux urbains et éloigné des réalités locales, la Politique nationale de santé communautaire (PNSC) mise sur des relais issus des communautés elles-mêmes. Ces hommes et ces femmes, formés par l’État, sont devenus la cheville ouvrière d’une stratégie fondée sur la prévention et l’accès de proximité.

Dans le nord du Bénin, Yessoufou Sikirou, relais communautaire, sillonne les ménages à vélo pour sensibiliser les familles et assurer le suivi de la santé des enfants.
Crédit : Edna Fleure

En juillet 2025, lors de la revue nationale de la PNSC qui a réuni plus de 300 participants, le ministre de la Santé, Benjamin Hounkpatin, a dressé un premier bilan : 15 800 relais communautaires sont désormais actifs dans les 77 communes et 5 290 villages du pays, appuyés par 560 agents qualifiés chargés de les encadrer.

Avec les relais communautaires, les frontières qui séparaient les centres de santé des zones reculées commencent à disparaître. « Leur mission se concentre sur l’éducation et la prévention, tandis que les soins médicaux sont assurés par des professionnels qualifiés », explique Noélie Guézo, responsable de la santé communautaire à l’Unicef Parakou. Leur rôle est donc essentiel à la survie de la réforme.

À Sèmè Kpodji, à plus de 640 km de Banikoara et non loin de Porto-Novo, la capitale, les habitants s’habituent progressivement à cette nouvelle approche. Mathieu Hontonnou, relais communautaire, se souvient : « Avant cette politique, le tableau était sombre en matière de gestion sanitaire. » Aujourd’hui, dit-il, la généralisation de la PNSC a changé les comportements. Les infrastructures sanitaires se sont améliorées et les communautés comprennent mieux qu’elles ont un rôle à jouer pour préserver leur santé.

Convaincre face aux résistances

Comme Sikirou, Mathieu sillonne les ménages pour identifier les besoins et les rapporte ensuite aux agents de santé. Chaque soir, il fait le point au centre de santé, reçoit des directives et se réapprovisionne en médicaments. Mais si les visites de routine se passent plutôt bien, la vaccination reste un défi. « Tous les relais vous diront qu’il est difficile de convaincre les parents. Je crois que la pandémie de COVID a accentué la méfiance », confie-t-il.

Cette réticence, Candide Lokonon l’illustre bien. Chef de famille dans la zone, il explique : « Depuis la pandémie, moi j’ai refusé tout ce qui est vaccin. Mais avec le relais qui vient nous voir, il nous explique les choses et on comprend mieux. J’accepte certains vaccins pour les enfants, mais je réfléchis encore pour la polio. »

Ce jour-là, il refuse catégoriquement le rattrapage du vaccin contre la poliomyélite. Pour Mathieu, c’est un échec, mais il n’abandonne pas : « Demain, je reviendrai avec d’autres arguments pour le convaincre. Ce ménage a au moins sept enfants en âge de recevoir ce vaccin. »

Les relais communautaires se heurtent aux rumeurs, aux craintes d’effets secondaires irréversibles ou encore à des discours erronés selon lesquels les vaccins seraient imposés de l’extérieur. Ces résistances sont tenaces, mais elles n’entament pas la détermination de Mathieu et de ses collègues.

Des résultats déjà visibles sur le terrain

Pourtant, les résultats de la réforme sont tangibles. À Sô-Ava, le Dr Batakou Jean Paul, coordonnateur de la zone sanitaire, observe des changements nets : « Depuis la mise en œuvre de la politique nationale de santé communautaire, les voyants s’améliorent en matière de soins primaires. » Il cite une baisse de plus de 11 000 cas de paludisme sur les six premiers mois de 2025, une augmentation des consultations prénatales – passées d’à peine 5 par semaine à une trentaine aujourd’hui – ainsi qu’une couverture vaccinale désormais estimée à 85 %. « Les résultats sont remarquables », conclut-il.

Mais, prévient-il, ces acquis restent fragiles. Sikirou et Mathieu eux-mêmes rappellent que les relais ont besoin de plus de motivation, d’un financement durable et d’une meilleure reconnaissance de leur travail. « Si chez moi, j’ai beaucoup de facilités à arpenter les ménages, à aller dans des coins bien reculés de ma localité, ce n’est pas le cas ailleurs », note Mathieu, qui observe encore une appropriation inégale de la politique par les communautés.

Au-delà de ces enjeux, les obstacles matériels sont bien réels : longues distances à parcourir, routes en mauvais état, moyens de transport insuffisants. Dans certaines zones, les relais doivent encore avancer à vélo ou compter sur des barques motorisées pour atteindre les villages reculés.

Même si le défi reste immense, la nouvelle politique de santé communautaire a déjà permis des avancées encourageantes et redonne de l’oxygène à un système de santé qui a besoin d’être soulagé.