Comment mieux atteindre ceux qui n’ont pas été vaccinés ? Voici 11 risques et opportunités qui se présentent à Gavi
Une évaluation indépendante portant sur huit pays partenaires de Gavi a mis en évidence les risques et opportunités que Gavi devra prendre en compte pour réussir à vacciner ceux qui sont les plus difficiles à atteindre. Voici ce qu'ils ont constaté.
- 4 novembre 2024
- 7 min de lecture
- par Anderson Amaechi , Audrey Beaulieu , Nathalie Gons

Depuis plus de vingt ans, Gavi et ses partenaires de l'Alliance ont aidé à vacciner plus d'un milliard d'enfants dans les pays à faible revenu du monde entier, évitant ainsi à terme plus de 17 millions de décès. Malgré ces progrès considérables, on estime à 9 millions le nombre d'enfants (dénommés « enfants zéro dose ») qui, en 2019, n’avaient reçu aucun vaccin dans les pays éligibles au soutien de Gavi.
Dans ce contexte, Gavi a décidé d’axer sa cinquième stratégie quinquennale sur l’équité. Cette stratégie s’inscrit dans le cadre de la stratégie mondiale définie par le Programme pour la vaccination à l’horizon 2030 (IA2030 pour Immunization Agenda 2030), qui s’est donné pour objectif de « ne laisser personne de côté ». Ce programme vise en priorité à atteindre les populations les plus marginalisées et les plus vulnérables, de sorte que tous les enfants reçoivent l'ensemble des vaccinations infantiles recommandées en routine.
Pour pouvoir suivre efficacement les progrès réalisés, grâce à sa contribution, dans la vaccination des enfants zéro dose et des communautés marginalisées, Gavi a fait réaliser une évaluation indépendante destinée à informer son Conseil d'administration, son Secrétariat et tous les partenaires de l'Alliance du Vaccin sur la manière dont leur travail contribue à la vaccination des enfants des communautés à faible revenu les plus marginalisées des pays éligibles à son soutien. Cette évaluation comprend huit études de cas portant sur l'Afghanistan, le Cambodge, la Côte d’Ivoire, Djibouti, l'Éthiopie, l'Inde, le Pakistan et le Soudan du Sud.
L'évaluation avait pour but d’identifier les améliorations à apporter au programme durant la période stratégique 2021-2025 de Gavi et lors de l’élaboration de sa nouvelle stratégie pour la période 2026-2030. Le premier rapport annuel, qui couvre la phase 1 (1ère année) de l'évaluation, porte sur l’analyse de la situation dans huit pays. Ces études de cas serviront de base de référence pour évaluer les progrès accomplis par la suite. La phase 2 de l'évaluation, actuellement en cours, permettra de générer des données supplémentaires dans les domaines clés, et de guider la mise en œuvre du programme de vaccination des enfants zéro dose.
Les études de cas menées dans les différents pays ont permis de dégager onze éléments clés sur les forces et les opportunités, les faiblesses et les menaces associées aux activités de Gavi visant à atteindre et vacciner les enfants zéro dose et les communautés marginalisées.
Forces et opportunités
1. Flexibilité et adaptabilité du soutien de Gavi
Grâce à sa flexibilité et son adaptabilité aux besoins immédiats, l’aide fournie par Gavi et ses partenaires de l'Alliance joue un rôle important dans la vaccination des enfants zéro dose et des communautés marginalisées, en particulier dans les pays fragiles et/ ou à faible revenu. En ce qui concerne l’Éthiopie, les interlocuteurs intervenant au niveau national ont souligné que le financement, par Gavi, de l’aide ciblée répondait parfaitement aux besoins du pays en matière de vaccination, et insisté sur la souplesse de ce soutien de Gavi, qui permet de s’adapter en fonction des problèmes particuliers au fur et à mesure de leur survenue. Comme le souligne le rapport de l'étude du cas de l'Éthiopie, les initiatives entreprises au cours de la période stratégique 2016-2020 de Gavi ont joué un rôle fondamental, en particulier dans la construction d'infrastructures et le maintien des programmes essentiels tels que la vaccination des enfants zéro dose.
2. Importance des leaders communautaires et religieux
L’implication de la communauté, en particulier des chefs religieux, s'est avéré cruciale pour accroître la sensibilisation et promouvoir la vaccination dans des contextes difficiles comme celui de l'Afghanistan. Le rapport de l’étude de cas portant sur ce pays révèle que l'une des activités les plus importantes consiste à améliorer la demande de services de vaccination en mobilisant les chefs religieux. Selon un responsable national, « la mobilisation de la communauté et la participation des chefs religieux ont joué un rôle crucial dans la promotion de la vaccination en Afghanistan ». Cette approche tire parti de l'influence des chefs religieux pour stimuler la demande de vaccination parmi les membres de leur communauté.
3. Rôle des partenariats
La mise en place de partenariats solides a permis de créer des réseaux robustes dédiés aux activités de vaccination dans les différents pays. Le rapport sur l’étude du cas de la Côte d'Ivoire a montré que l’implication de différentes parties prenantes dans le programme de renforcement des systèmes de santé (HSS2, pour Health System Strengthening) avait permis de regrouper, pour toutes les activités ayant trait à la vaccination, un large éventail d'acteurs communautaires, appartenant ou non au secteur de la santé, membres d’organisations de la société civile (OSC) ou partenaires de l'Alliance élargie. Chacun à son niveau, les partenaires collaborent et partagent leurs connaissances, et intègrent les bonnes pratiques dans leurs différentes activités, ainsi que les leçons tirées de leur expérience. La constitution de ces solides partenariats a permis d’établir une approche coordonnée, de rationaliser sa mise en œuvre et d’améliorer l'efficacité des activités de vaccination des enfants zéro dose.
4. Importance de la chaîne du froid et plus largement des chaînes d'approvisionnement
Pour améliorer la distribution des vaccins, en particulier dans les communautés zéro dose, il faut avant tout renforcer les chaînes d'approvisionnement et la gestion de la chaîne du froid. Au Pakistan, des efforts considérables ont été déployés pour combler les lacunes en matière d'équipement de la chaîne du froid. Le rapport sur l’étude de cas consacrée au Pakistan indique que la subvention triennale de la Plateforme d'optimisation de l'équipement de la chaîne du froid (CCEOP en anglais, pour Cold Chain Equipment Optimisation Platform) devrait aider à atteindre et à vacciner les enfants zéro dose, en remédiant aux problèmes d'équipement de la chaîne du froid dans les 83 districts prioritaires où vivent un grand nombre de ces enfants. Le renforcement de l'infrastructure de la chaîne du froid est indispensable pour pouvoir distribuer efficacement les vaccins, en particulier dans les zones reculées, et ainsi maintenir l'efficacité des programmes de vaccination et assurer une bonne couverture vaccinale.
5. Stratégies ciblées pour les communautés marginalisées et amélioration des taux de couverture vaccinale
La couverture vaccinale s'est considérablement améliorée dans plusieurs régions, malgré les nombreux défis à relever. Au Soudan du Sud, par exemple, les taux de couverture avec une première dose (DTC1) et avec trois doses (DTC3) de vaccin contre la diphtérie, la coqueluche et le tétanos sont passés respectivement de 51 % et 45 % en 2016, à 76 % et 73 % en 2022 - le DTC1 étant utilisé comme indicateur pour les enfants zéro dose et le DTC3 pour les enfants sous-vaccinés. S’il est vrai que les données dont on dispose sont limitées, ces progrès dans les taux de couverture vaccinale méritent néanmoins d’être soulignés (rapport de l’étude du cas du Soudan du Sud).
S’il est vrai que les données dont on dispose sont limitées, ces progrès dans les taux de couverture vaccinale méritent néanmoins d’être soulignés (rapport de l’étude du cas du Soudan du Sud).
En outre, des stratégies ont été spécialement élaborées pour lever les obstacles auxquels se heurtent les communautés où le nombre d'enfants zéro dose est élevé, et pour s'assurer que ces enfants sont bien identifiés et qu'ils ont accès à l'ensemble des vaccins. Au Cambodge, le Fonds d’accélération de l’équité (en anglais, Equity Accelerator Funding ou EAF) de Gavi aidé à élaborer des stratégies centrées sur les principales sous-populations qui présentent des taux élevés d'enfants zéro dose (migrants, minorités ethniques, communautés rurales et communautés urbaines pauvres et isolées) (rapport sur l’étude du cas du Cambodge). Il est indispensable de mettre en place des stratégies ciblées pour surmonter les difficultés particulières auxquelles sont confrontées ces communautés.
Pour aller plus loin
Difficultés et risques
1. Bureaucratie et retards dans la mise en œuvre
Comme l'indiquent les rapports de la Côte d'Ivoire et du Pakistan, la mise en œuvre de la stratégie 2021-2025 de Gavi a été retardée par le Processus de planification globale de l’ensemble du portefeuille (Full Portfolio Planning - FPP). Amplifiées du fait de la fragilité du pays, les difficultés liées à la bureaucratie rencontrées en Afghanistan plaident en faveur d’un assouplissement et d’une simplification des procédures de demande de financement (rapport de l’étude du cas de l'Afghanistan). Une autre évaluation effectuée à la demande de Gavi recommandait d’ailleurs de simplifier et de rationaliser les leviers de financement et les directives, outils et processus y afférant.
Certains pays sont en outre confrontés à d'importants problèmes juridiques et administratifs liés au transfert des subventions entre le niveau national et le niveau infranational. Ainsi en Côte d'Ivoire, les principaux participants à l'évaluation ont estimé que les procédures de versement des fonds aux instances chargées de la mise en œuvre étaient particulièrement lourdes, ce qui a entraîné des retards et limité l’utilisation des fonds (rapport de l’étude du cas de la Côte d'Ivoire).
Voir le rapport sur l’évaluation de la mise en œuvre de la stratégie de Gavi (Evaluation of strategy operationalisation).
2. Insuffisance des données et des rapports
Dans des pays comme la Côte d'Ivoire et Djibouti, le manque de cohérence et l'éparpillement des données sont des problèmes récurrents qui empêchent d'évaluer avec précision les progrès et l'efficacité des initiatives de vaccination (rapport de l’étude du cas de la Côte d'Ivoire ; rapport de l’étude du cas de Djibouti). En outre, la médiocrité de la qualité et de la disponibilité des données entrave la prise de décisions et la conception de programmes fondés sur des données probantes, comme on l'a vu à Djibouti et en Éthiopie. Il faut souvent faire appel à différentes sources de données pour résoudre ces problèmes, mais c’est néanmoins toujours un frein à la mise en œuvre et à l’efficacité des programmes. En outre, la difficulté à accéder aux données récentes accroît la complexité de la sélection des districts et des populations à cibler.
En Inde, la sélection des districts pouvant bénéficier du soutien de Gavi, qui s’était appuyée sur des données obsolètes, s’est avérée incohérente, ce qui a nui à l’efficacité des interventions (rapport de l’étude du cas de l'Inde). Cette complexité du ciblage de régions et de populations particulières est un problème récurrent qui affecte l'efficacité globale des opérations de vaccination.
3. Problèmes en matière de ressources humaines
La faiblesse des ressources humaines, le taux de rotation élevé des effectifs et le manque de leadership opérationnel compromettent les résultats des efforts de vaccination dans de nombreux pays. Djibouti, en particulier, souffre tout particulièrement de ce type de problème, qui affecte la prise de décision et la conception de programmes fondés sur des données probantes (rapport de l’étude du cas de Djibouti).
4. Difficultés d’accès et obstacles géographiques
Les difficultés d'accès et les obstacles géographiques sont importants dans les pays en proie à des conflits comme le Soudan du Sud. La plupart des enfants zéro dose vivent dans ces zones où l'accès aux établissements de soins de santé primaires est limité, ce qui complique les efforts de vaccination (rapport de l’étude du cas du Soudan du Sud).
5. Sensibilisation et engagement communautaire
Malgré les efforts déployés pour impliquer les communautés et les OSC, on constate des lacunes dans l'efficacité des actions de sensibilisation et de mobilisation. En Côte d'Ivoire, par exemple, les initiatives visant à comprendre les obstacles socio-économiques n'ont pas permis de promouvoir explicitement le programme centré sur les enfants zéro dose (Rapport de l’étude du cas de la Côte d'Ivoire). Il faudrait absolument réussir à identifier et à impliquer les OSC au bon moment, mais c’est difficile, comme on a pu le constater au Cambodge (Rapport de l’étude du cas du Cambodge).
6. Fragmentation de la coordination et des collaborations
Le manque de coordination entre les services gouvernementaux et les partenaires est un thème primordial. Djibouti et le Soudan du Sud sont confrontés au problème de l’éclatement de la coordination, qui entrave l’efficacité des initiatives de vaccination mises en œuvre (Rapport de l’étude du cas du Soudan du Sud). Pour améliorer les résultats, il va falloir améliorer la coordination entre les partenaires et assouplir les mécanismes de financement.
En conclusion, il convient de noter que Gavi et ses partenaires de l'Alliance sont largement d'accord avec les conclusions et recommandations fournies dans le rapport d’évaluation de la première phase du programme de vaccination des enfants zéro dose (et avec ce que cela implique au niveau stratégique et opérationnel). En outre, certaines des conclusions et implications relevant de la sphère de contrôle de Gavi ont déjà été activement prises en compte pour atteindre plus efficacement les enfants ‘zéro dose’ et les communautés négligées. Dans la réponse du Secrétariat de Gavi aux recommandations de l'évaluation’ (EMR, pour Evaluation Management Response), on trouvera la liste de toutes les actions prévues suite aux recommandations de cette première phase d'évaluation.
À propos des auteurs
Anderson Amaechi, Audrey Beaulieu, Nathalie Gons se sont fondés sur les résultats de l'évaluation indépendante menée par IPSOS.
Davantage de Anderson Amaechi
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