Comment la modification génétique des moustiques pourrait renforcer la lutte mondiale contre le paludisme

Il est crucial d'explorer des alternatives non insecticides pour combattre les maladies véhiculées par les moustiques. C'est ici que l'intervention de la modification génétique prend de l'importance.

Credit: Unsplash/Pragyan Bezbaruah
Credit: Unsplash/Pragyan Bezbaruah
 

 

Cela fait 126 ans que le médecin britannique Sir Ronald Ross a découvert que les moustiques de la famille des Anopheles sont les principaux responsables de la transmission des parasites du paludisme entre les hôtes vertébrés.

Depuis cette découverte, on a constaté que les moustiques étaient porteurs et transmettaient de nombreuses autres maladies qui constituent une menace majeure pour la santé publique. Parmi elles, on peut citer la fièvre jaune, la dengue et Zika.

Actuellement, le paludisme est la maladie la plus meurtrière transmise par les moustiques. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a rapporté une estimation de 247 millions de cas de paludisme dans le monde en 2021 et 619 000 décès. La quasi-totalité des cas et des décès se situent dans les pays africains.

D'autres maladies transmises par les moustiques sont également une source d'immenses souffrances humaines. On estime que la dengue infecte environ 390 millions de personnes par an. Et des milliers sont touchées par le Zika, le chikungunya et la fièvre jaune.

Les insectes qui transmettent des maladies à l'homme sont appelés vecteurs et les maladies qu'ils transmettent sont appelées maladies à transmission vectorielle. Il est difficile de lutter contre ces maladies. Elles ont généralement des cycles de vie complexes, impliquant à la fois l'insecte et l'hôte humain.

Les méthodes conventionnelles de lutte contre les maladies à transmission vectorielle ont ciblé les vecteurs, en s'efforçant de réduire leurs possibilités d'entrer en contact avec l'homme.

C'est particulièrement vrai pour le paludisme. Les moustiquaires imprégnées d'insecticide ont une double fonction : elles constituent une barrière physique entre le moustique vecteur et l'homme et exposent le moustique à une dose mortelle d'insecticide lorsqu'il se pose sur la moustiquaire. Une autre méthode de lutte courante consiste à exposer les moustiques à une dose mortelle d'insecticide par le biais d'une pulvérisation d'insecticide à effet rémanent à l'intérieur des habitations.

Les moustiquaires et les pulvérisations à l'intérieur des habitations ont joué un rôle majeur dans la réduction du fardeau du paludisme dans les pays africains. Mais leur efficacité durable est menacée. De nombreuses populations de vecteurs sont devenues résistantesaux insecticides utilisés dans ces méthodes. Elles ont également modifié leurs comportements pour réduire leur contact avec ces insecticides.

Les scientifiques travaillent pour résoudre ces problèmes. Mais d'autres méthodes ne faisant pas appel aux insecticides sont nécessaires pour lutter contre les maladies transmises par les moustiques.

C'est là que la modification génétique entre en jeu. Nous sommes des chercheurs qui s'attachent à trouver de nouveaux moyens de faire progresser les efforts d'élimination du paludisme et nous sommes enthousiasmés par les récentes avancées de la recherche en génomique qui font de la modification génétique une option réaliste pour la lutte contre le paludisme en particulier. Comme pour les autres approches visant à lutter contre ou à éradiquer la maladie, il ne s'agira pas d'une solution complète. Mais elle pourrait renforcer la lutte mondiale contre le paludisme.

Modification génétique pour la lutte contre le paludisme

Les moustiques peuvent être génétiquement modifiés grâce à deux technologies différentes. La première méthode, la paratransgénèse, consiste à infecter les moustiques avec des bactéries qui les empêchent de transmettre le paludisme. Cette méthode ne nuit pas au moustique. Il est important de ne pas éliminer les moustiques ou de ne pas leur nuire, car ils pollinisent de nombreuses plantes et servent de nourriture à des animaux tels que les chauves-souris, les oiseaux et les reptiles.

Les scientifiques sont enthousiasmés par cette méthode suite à la récente découverte d'une bactérie présente naturellement dans les intestins des moustiques et qui semble empêcher le parasite du paludisme de se développer à l'intérieur du moustique.

La deuxième méthode consiste à modifier génétiquement les moustiques eux-mêmes. Cette approche est centrée sur le forçage génétique : des systèmes génétiques qui garantissent que les gènes en question sont hérités par toute la progéniture à chaque génération. Il existe deux types de forçage génétique. L'un vise à réduire la taille de la population de vecteurs et est connu sous le nom d'élimination de la population. L'autre vise à empêcher le moustique de transmettre le paludisme. Il s'agit de la modification de la population.

Les injections de gènes axées sur l'élimination de la population se sont révélées très prometteuses lors d'études en laboratoire. Elles n'ont cependant pas encore été testées sur le terrain.

La modification de la population a potentiellement moins d'effets sur l'environnement et est moins sujette au développement de mutations. Mais elle s'est avérée plus difficile à réaliser et n'a pas progressé plus que l'approche de la suppression.

Répondre au scepticisme

Il faudra un certain temps avant que cette technologie ne soit couramment utilisée par les programmes de lutte contre le paludisme. Mais les préparatifs sont en cours.

Au cours de la dernière décennie, les programmes de lutte contre le paludisme ont exprimé leur volonté d'utiliser la modification génétique si et quand ces techniques s'avèreront sûres et acceptables pour les communautés concernées. Cela a incité l'OMS à donner des directives sur l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés pour lutter contre le paludisme et d'autres maladies à transmission vectorielle.

Dans ses directives l'OMS reconnaît à quel point l'engagement des communautés sera crucial pour le succès de toute intervention future de manipulation génétique.

Cela est important dans un environnement où la science, et en particulier les organismes génétiquement modifiés (OGM), font l'objet d'un fort cepticisme. En 2003, la résistance de la communauté a entraîné le rejet du riz doré génétiquement modifié en Zambie, alors que le pays connaissait une grave pénurie alimentaire.

Plus récemment, les vaccins à ARNm COVID-19, que certains soupçonnent d'être capables de modifier l'ADN humain (ce n'est pas le cas), ont suscité des réactions négatives.

Il est essentiel que les préoccupations des communautés où des moustiques génétiquement modifiés doivent être relâchés soient prises en compte avant toute dissémination. Cela contribuera à favoriser l'acceptation et la compréhension de la nouvelle technologie.

Investissement considérable

Cependant, l'acceptation par les communautés n'est pas le seul défi à relever. Il est urgent de mener des recherches sur les espèces locales de moustiques responsables du paludisme afin de mettre au point les moustiques génétiquement modifiés nécessaires. Une fois les lignées génétiquement modifiées établies, l'impact sur le terrain doit être démontré et des systèmes doivent être mis en place pour garantir qu'un nombre suffisant de moustiques puisse être élevé et transporté en toute sécurité vers les sites d'intervention.

Tout cela nécessite des ressources humaines et financières considérables, ce qui laisse à penser qu'il faudra un certain temps avant que les systèmes de forçage génétique aient un impact réel sur la transmission du paludisme.

Néanmoins, alors que le monde entier célèbre la Journée mondiale du moustique le 20 août, en l'honneur de la découverte de Sir Ronald Ross il y a près de 130 ans, nous pensons qu'il y a des raisons d'être optimiste : les nouvelles technologies telles que la modification génétique ont le potentiel de jouer un rôle majeur dans la lutte contre le paludisme.The Conversation


Auteurs

Shüné Oliver, Medical scientist, National Institute for Communicable Diseases

Jaishree Raman, Principal Medical Scientist and Head of Laboratory for Antimalarial Resistance Monitoring and Malaria Operational Research, National Institute for Communicable Diseases


The Conversation

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Déclaration d'intérêts

Shüné Oliver est financée par la National Research Foundation of South Africa, le South African Medical Research Council et le Female Academic Leadership Fellowship de l'université de Witwatersrand. Elle est affiliée au Wits Research Institute for Malaria de l'université de Witwatersrand.

Jaishree Raman est financée par la Fondation Bill et Melinda Gates, le Fonds mondial, la CHAI, le Conseil sud-africain de la recherche médicale, le South African Research Trust, la Fondation nationale de la recherche et l'Institut national des maladies transmissibles. Elle est affiliée au Wits Research Institute for Malaria, à l'université de Witwatersrand et à l'UP Institute for Sustainable Malaria Control, à l'université de Pretoria.