Avec le réchauffement climatique, le paludisme prospère au Kenya

Plus la planète se réchauffe, plus l’aire de répartition des moustiques porteurs de la malaria s’étend alors qu’apparaissent simultanément de nouvelles espèces dangereuses. À l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement ce 5 juin, Vaccineswork se penche sur un des effets sanitaires du changement climatique en Afrique.

  • 5 juin 2023
  • 5 min de lecture
  • par Claudia Lacave
À proximité de la ville de Laisamis, dans le nord du Kenya, une zone de rétention d’eau produit beaucoup de moustiques. Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas
À proximité de la ville de Laisamis, dans le nord du Kenya, une zone de rétention d’eau produit beaucoup de moustiques. Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas
 

 

Assis à l’ombre d’un arbre devant la clinique, un petit enfant vêtu d’un T-shirt bleu et d’un foulard ocre semble se reposer, une bouteille de lait posée à côté de lui. Lalachua, du haut de ses huit ans, vient de survivre à une crise de paludisme intense comme en atteste le cathéter encore planté sur sa main. Avec deux autres enfants du même âge, ils sont les derniers des 30 patients à avoir été hospitalisés depuis avril à cause de la maladie parasitaire dans l’établissement public de Laisamis, dans le comté de Marsabit du nord du Kenya. La région a subi ces deux dernières années une sécheresse intense en partie causée par le réchauffement climatique, qui favorise également le développement des facteurs de transmission du palu : les moustiques.

Après la sécheresse, les inondations

Dans le centre de la petite ville routière, Adam Abdi, quarante ans, raconte être resté huit jours dans un hôpital privé en mai. « Des fois j’attrape la malaria, je prends du paracétamol et ça passe. Mais cette fois je vomissais, j’avais de la fièvre et des douleurs aux articulations, cela faisait presque dix ans que je ne l’avais pas eu à cette ampleur. » La maladie est endémique de manière saisonnière dans le comté semi-aride de Marsabit, un des plus vastes du Kenya, c’est-à-dire qu’elle survient après la pluie. Autant dire qu’aucune épidémie n’avait été rapportée depuis plusieurs années puisque l’Afrique de l’Est sort tout juste de la pire sécheresse qu’elle a vécu depuis quarante ans, à l’origine d’une situation d’insécurité alimentaire grave pour plus de 4 millions de personnes.

Deux docteurs sortent d’une salle d’hôpital dans l’établissement de Laisamis, dans le nord du Kenya, qui a enregistré 30 cas de paludisme sévère depuis avril.
Deux médecins sortent d’une salle d’hôpital dans l’établissement de Laisamis, dans le nord du Kenya, qui a enregistré 30 cas de paludisme sévère depuis avril.
Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas

Alors que les moustiques qui transmettent le paludisme sont habituellement indigènes aux zones rurales et humides, l’Anopheles Stephensi, venu d’Asie du sud et du Moyen-Orient s’adapte lui très bien aux villes et à leur environnement pollué, menaçant les populations urbaines moins sensibilisées et immunisées.

Certaines parties du comté de Marsabit n’avaient pas reçu de pluie depuis mai 2020 dans un évènement que le World Weather Attribution a évalué être une conséquence du changement climatique. Le groupe de scientifiques principalement européens remarque une tendance à la baisse des précipitations pendant la longue saison des pluies (de mars à mai) et calcule que les niveaux atteints pendant la sècheresse sont devenus deux fois plus probables sous l’impact des humains. La température a également influencé l’assèchement des sols par évaporation et donc la survie des cultures. « La combinaison de faibles précipitations et d'une évapotranspiration élevée, aussi inhabituelle que les conditions récentes, n'aurait pas du tout entraîné de sécheresse dans un monde plus froid de 1,2 °C », affirme le rapport. De telles périodes de déshydratation des sols impactent leur capacité à absorber les pluies quand elles reviennent et favorisent la formation de flaques d’eau stagnantes, où les moustiques prolifèrent.

Le paludisme se propage et un nouveau vecteur apparaît

« Auparavant, la zone de malaria était aux alentours de Moyale dans le nord. Mais au fil des années, nous avons de plus en plus de zones à risque dans le comté. Je pense que c’est à cause du changement du régime des pluies, il y a plus de sites de reproduction », détaille Boru Gura, coordinateur de surveillance du paludisme dans la région. L’aire de répartition de la maladie s’est développée en Afrique sub-saharienne ces dernières décennies au rythme de 6,5 mètres d’altitude supplémentaire par an d’après une étude américaine de l’université de Georgetown publiée en février dernier. Les moustiques et les parasites qu’ils portent se reproduisent plus rapidement à des températures plus élevées mais le mouvement peut aussi être influencé par l’utilisation des terres, la disponibilité de la nourriture ou la migration des populations elles-mêmes vers les hauteurs. En plus de cette extension, les gouvernements africains déjà sapés par des systèmes de santé sous-dotés, une résistance grandissante des parasites aux médicaments anti-palu et des insectes aux pesticides, voient survenir un nouveau transmetteur de la maladie.

Le nouveau moustique Anopheles Stephensi se reproduit principalement dans des réservoirs d’eau et est donc particulièrement adapté aux villes, ici à Laisamis dans le nord du Kenya.
Le nouveau moustique Anopheles Stephensi se reproduit principalement dans des réservoirs d’eau et est donc particulièrement adapté aux villes, ici à Laisamis dans le nord du Kenya.
Crédit : Claudia Lacave / Hans Lucas

Alors que les moustiques qui transmettent le paludisme sont habituellement indigènes aux zones rurales et humides, l’Anopheles Stephensi, venu d’Asie du sud et du Moyen-Orient s’adapte lui très bien aux villes et à leur environnement pollué, menaçant les populations urbaines moins sensibilisées et immunisées. L’espèce a débarqué sur le continent en 2012 par Djibouti, où elle a relancé l’épidémie alors quasiment éradiquée. Elle a ensuite touché l’Ethiopie (2016), le Soudan (2019), la Somalie (2019) et le Nigeria (2020) et une étude britannique a estimé en 2020 que, d’après ses conditions de propagation, l’Anopheles Stephensi pourrait exposer au paludisme en Afrique 126 millions de personnes supplémentaires. Depuis décembre 2022, le moustique qui transmet deux parasites à l’origine des formes parmi les plus graves de la maladie, le Plasmodium falciparum et le Plasmodium vivax, a été repéré au Kenya dans les comtés de Marsabit et du Turkana.

« Nous avons constaté des différences dans le schéma climatique du pays, et il est probable que ces changements deviennent plus favorables à la prolifération de l'Anophèles Stephensi », établit la docteure Damaris Matoke, directrice adjointe du programme de biotechnologie de l’Institut de recherche médicale du Kenya (KEMRI). L’implantation du moustique qui se reproduit principalement dans les réservoirs d’eau a pu être favorisée par le changement climatique. Une équipe de recherche soudanaise a remarqué sa présence dans des zones situées à plus de 1000 km du secteur censé être propice à sa propagation et une étude biologique américaine a déterminé que l’espèce a des limites thermiques inférieures de 3,4° et supérieures de 3,4° aux autres, bien que le réchauffement climatique ne semble pas expliquer l’invasion d’Anopheles Stephensi vers l’Afrique.


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