Et si un comprimé pouvait rendre notre sang toxique pour les moustiques ?

Des scientifiques ont découvert qu’un médicament déjà utilisé pour traiter des maladies rares pourrait également contribuer à réduire les populations de moustiques et à lutter contre le paludisme.

  • 31 mars 2025
  • 3 min de lecture
  • par Linda Geddes
Femelle *Anopheles gambiae* fluorescente. Crédit : Lee Haines
Femelle *Anopheles gambiae* fluorescente. Crédit : Lee Haines
 

 

Un médicament déjà existant pourrait rendre notre sang toxique pour les moustiques, contribuant ainsi à réduire leur nombre dans les zones touchées par le paludisme.

Éviter les piqûres de moustiques reste essentiel dans la lutte contre le paludisme. Aujourd’hui, cela passe principalement par l’utilisation de moustiquaires imprégnées et la pulvérisation d’insecticides dans les zones à risque. Mais la résistance aux insecticides progresse à un rythme inquiétant.

Les moustiques adaptent aussi leur comportement pour contourner ces mesures : ils évitent les environnements intérieurs traités et se nourrissent de plus en plus à l’extérieur.

Du sang létal

Des chercheurs ont identifié un nouvel outil prometteur : les endectocides, des médicaments antiparasitaires qui peuvent être administrés sans danger à l’humain ou aux animaux, mais qui rendent leur sang toxique pour les parasites, les tiques ou les moustiques hématophages.

« Même lorsque les insectes et les tiques ingèrent des doses non létales, leur espérance de vie est réduite, ce qui freine le développement des agents pathogènes », explique la professeure Lee Haines de l’Université de Notre Dame (Indiana, États-Unis), qui a codirigé cette étude.

Un médicament suscite déjà l’intérêt : l’ivermectine, un antiparasitaire bien connu. Plusieurs études ont montré que, lorsque les moustiques se nourrissent de sang contenant de l’ivermectine, leur durée de vie diminue, ce qui contribue à freiner la propagation du paludisme.

Mais l’usage massif de ce traitement pose problème : l’ivermectine peut s’accumuler dans l’environnement et nuire à des organismes comme les vers de terre, essentiels aux écosystèmes. De plus, l’apparition d’une résistance à ce médicament devient préoccupante.

Une nouvelle piste prometteuse

Aujourd’hui, Lee Haines et ses collègues ont identifié un autre médicament capable de réduire les populations de moustiques : la nitisinone.

Ce traitement est habituellement prescrit aux personnes atteintes de maladies héréditaires rares qui empêchent de dégrader correctement un acide aminé appelé tyrosine. La nitisinone agit en bloquant une enzyme appelée 4-hydroxyphénylpyruvate dioxygénase (HPPD), ce qui empêche l’accumulation de sous-produits toxiques.

Chez les moustiques, la nitisinone bloque cette même enzyme, mais avec un effet supplémentaire remarquable : elle les empêche de digérer correctement le sang, ce qui entraîne leur mort.

Les chercheurs ont évalué les concentrations nécessaires pour tuer les moustiques et comparé l’efficacité de la nitisinone à celle de l’ivermectine en tant qu’outil de lutte contre le moustique.

Leurs résultats, publiés dans la revue Science Translational Medicine, suggèrent que la nitisinone pourrait contribuer à réduire le risque de paludisme, si elle est utilisée en complément d’autres stratégies comme les traitements antipaludiques, les moustiquaires et les vaccins.

Des résultats “remarquables”

« Nous nous sommes dit que si nous voulions suivre cette voie, la nitisinone devait faire mieux que l’ivermectine. Et effectivement, ses performances ont été remarquables : elle présente une demi-vie bien plus longue dans le sang humain que l’ivermectine, ce qui signifie que son effet létal sur les moustiques reste actif beaucoup plus longtemps dans l’organisme », explique le professeur Álvaro Acosta Serrano, coauteur de l’étude, basé à l’Université de Notre Dame et à la Liverpool School of Tropical Medicine (Royaume-Uni).

« C’est un atout majeur sur le terrain, à la fois pour des raisons de sécurité et de coût. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que la molécule cible spécifiquement les insectes hématophages, ce qui en fait une option respectueuse de l’environnement. »

À terme, il pourrait être avantageux d’alterner l’usage de la nitisinone et de l’ivermectine, selon Haines : « Par exemple, la nitisinone pourrait être utilisée dans les zones où la résistance à l’ivermectine est déjà installée ou dans celles où elle est déjà très utilisée chez les humains et le bétail. »

La prochaine étape consistera à réaliser un essai en conditions semi-réelles pour déterminer les doses les plus efficaces dans un environnement plus proche de la réalité du terrain.