Contre la première cause de mortalité infantile, la Guinée déploie le vaccin antipaludique 

En Guinée, le paludisme reste la première cause de décès chez les enfants de moins de cinq ans. Avec l’introduction du vaccin antipaludique RTS,S dans la vaccination de routine, le pays franchit une étape historique. Objectif : protéger chaque enfant, dans un contexte où les hôpitaux débordent encore face aux cas graves.  

  • 16 septembre 2025
  • 6 min de lecture
  • par Alpha Abdoullaye Diallo
M’Mabinty, mère d’un des bébés vaccinés, exprime son soulagement face à la menace du paludisme. Crédit : Alpha Abdoullaye Diallo
M’Mabinty, mère d’un des bébés vaccinés, exprime son soulagement face à la menace du paludisme. Crédit : Alpha Abdoullaye Diallo
 

 

« Les enfants arrivent très affaiblis » : la réalité du paludisme 

À midi, sous une fine pluie à Conakry, deux femmes patientent avec leurs nourrissons devant une infirmière. À leurs côtés, une glacière contient les doses du nouveau vaccin. Pour l’occasion, une petite salle de vaccination a été improvisée. 

Le Premier ministre Amadou Oury Bah, le président du Conseil national de transition Dansa Kourouma et la ministre de la Promotion féminine, de l’Enfance et des Personnes vulnérables Charlotte Daffé rejoignent l’espace. Les deux premiers administrent les premières doses sous les applaudissements. 

Le président du CNT, Dansa Kourouma, administre l’une des premières doses du vaccin antipaludique à un nourrisson lors de la cérémonie de lancement.
Crédit : Alpha Abdoullaye Diallo

Le chef du gouvernement qualifie l’introduction du vaccin d’« acte de justice sanitaire » et rappelle la vulnérabilité des enfants :

« En préparant leur corps très tôt par la vaccination, on renforce leur système immunitaire. C’est une course contre la maladie. On prépare la guerre pour ne pas avoir à la faire. » 

Pour M’mabinty, mère de l’un des bébés vaccinés lors de la cérémonie, c’est un soulagement. « Le paludisme nous fait beaucoup souffrir. Dans ma famille, on tombe tout le temps malade, surtout avec cette saison de pluie-là », confie-t-elle. Elle encourage les autres mères à emmener leurs enfants à l’hôpital pour bénéficier gratuitement du vaccin, rappelant que c’est aujourd’hui le moyen le plus sûr de prévenir une maladie aux conséquences souvent dramatiques. 

À l’hôpital régional de Conakry, le Dr Doumbouya, pédiatre, mesure chaque jour l’ampleur du problème. « Très souvent, les enfants arrivent déjà dans un état de grande faiblesse. Les familles ont tenté de soigner à domicile, parfois pendant plusieurs jours, avant de se résoudre à venir. Quand ils arrivent, ils sont très affaiblis, ce qui rend notre travail beaucoup plus difficile », explique-t-il. Le médecin souligne aussi le manque de places disponibles : « Les lits ne suffisent pas pour accueillir tous les malades, et cela complique encore davantage la prise en charge. » 

4,4 millions de cas par an, première cause de mortalité infantile 

Le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, Oumar Diouhé Bah, a salué l’introduction du vaccin, qu’il considère comme « une nouvelle étape historique dans la lutte contre le paludisme » et comme un moyen de « garantir à chaque enfant un départ dans la vie protégé des maladies évitables ». 

L’arrivée du RTS,S intervient alors que la maladie reste omniprésente. En 2023, la Guinée a enregistré près de 4,43 millions de cas, selon le Rapport mondial sur le paludisme 2024 de l’OMS. Le paludisme représente plus d’un tiers des consultations et hospitalisations dans les structures publiques et demeure la première cause de décès chez les moins de cinq ans. La prévalence parasitaire atteint 17 % au niveau national dans cette tranche d’âge, avec des pics de plus de 30 % en Guinée forestière. 

« Face à ces constats, il était urgent d’agir ! », insiste Maddalena Bertolotti, représentante de l’UNICEF en Guinée. 

La phase pilote couvre quatre districts sanitaires – Mamou, Gaoual, Kankan et Yomou – situés en zone de forte transmission. Environ 60 000 enfants de 5 à 11 mois y sont désormais éligibles chaque année. Le schéma prévoit quatre doses pour une protection optimale. L’extension aux 38 autres districts se fera progressivement. « Nous avançons pas à pas, en tirant les leçons de ce qui fonctionne et de ce qui reste à améliorer », explique le Dr Daman Keïta, nouveau coordonnateur du Programme élargi de vaccination (PEV), qui rappelle que les stocks disponibles ne permettent pas encore de couvrir tout le pays. 

Le Dr Alpha Oumar Diallo, médecin généraliste, se veut confiant : 

« Avec ce vaccin, nous espérons une baisse significative de la prévalence du paludisme à Plasmodium falciparum, qui pèse lourdement sur la santé infantile et maternelle. Mais il ne saurait remplacer les autres mesures de prévention déjà en vigueur. » 

Il appelle les familles à poursuivre leurs efforts : usage des moustiquaires imprégnées, respect des mesures d’hygiène et mobilisation communautaire. 

Sensibiliser et rassurer 

Pour éviter toute confusion, le Dr Daman Keïta précise : « Il ne s’agit pas d’une campagne ponctuelle. La cérémonie d’aujourd’hui marque simplement l’autorisation officielle d’utiliser le vaccin contre le paludisme pour les enfants de 5 à 23 mois. » 

Grâce à la formation des agents de santé, au maintien de la chaîne du froid et à la mobilisation communautaire, l’objectif est clair : permettre à chaque enfant éligible de recevoir toutes ses doses au bon moment. 

À Kankan, l’un des quatre districts pilotes, le Dr Fodé Condé, directeur préfectoral de la Santé, parle d’un véritable soulagement. « Le paludisme reste la première cause de morbidité et de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans. Avoir désormais un vaccin pour les protéger est un grand pas en avant », affirme-t-il. Quelques jours après le lancement, plus de 300 enfants avaient déjà été vaccinés. « Cela prouve que la population est mobilisée. Une campagne d’information et de sensibilisation avait préparé le terrain », explique-t-il, tout en alertant sur la nécessité d’éviter les ruptures de stock. 

À Mamou, autre district concerné, le vaccin est accueilli avec le même espoir. « Ce vaccin va beaucoup améliorer la santé de nos concitoyens, particulièrement des enfants et des femmes enceintes », estime Sidi Diallo, conseiller communal. Il salue l’engagement des autorités et des partenaires, mais appelle à renforcer la communication de proximité. « Nous allons expliquer à la population l’importance de ce vaccin. Ce sont des Guinéens, des parents eux-mêmes, qui pilotent ce programme : jamais ils n’accepteraient de donner à nos enfants un produit qui ne serait pas sûr », dit-il, pour contrer les rumeurs persistantes. 

Selon lui, les médias communautaires doivent jouer un rôle central. « Les radios rurales et les radios privées locales peuvent aider à convaincre les familles. Il faut qu’elles relaient massivement des messages clairs pour que chacun comprenne les bénéfices de ce vaccin », insiste-t-il. 

Une couverture vaccinale en nette progression 

En 2023, les autorités s’étaient engagées à augmenter de 20 points la couverture vaccinale. Deux ans plus tard, la progression est réelle : elle est passée de 47 % à 63 %, selon le Premier ministre. « Ce sont des chiffres qui témoignent d’un effort considérable et qui comptent à l’échelle mondiale », s’est-il félicité. 

Ce rebond est lié notamment au retour de la Guinée à l’Initiative pour l’indépendance vaccinale, en mai 2024, après dix ans d’absence. Cette décennie d’absence a eu un prix lourd : près de 1,5 million d’enfants, aujourd’hui âgés de 15 à 16 ans, ont grandi sans recevoir une seule dose de vaccin, créant une véritable “bombe à retardement” en cas d’épidémie, prévient Amadou Oury Bah. 

Avec la relance de la vaccination de routine, le retour à l’Initiative pour l’indépendance vaccinale et désormais l’introduction du vaccin antipaludique, la Guinée consolide ses avancées et ouvre une nouvelle page dans la protection de ses enfants contre les maladies évitables.