Entre conflit et exil : comment le Burundi s'efforce de vacciner les enfants réfugiés congolais
À la frontière entre la République démocratique du Congo et le Burundi, des milliers d’enfants réfugiés ont fui la guerre sans jamais avoir été vaccinés. Face à l’urgence sanitaire, les autorités burundaises tentent, avec le soutien de leurs partenaires, de rattraper les retards pour éviter des flambées épidémiques.
- 23 mai 2025
- 6 min de lecture
- par Diane Ndonse
Depuis le début de l’année 2025, plus de 70 000 Congolais ont trouvé refuge au Burundi, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. En majorité des femmes et des enfants, fuyant les affrontements dans l’est de la RDC entre les forces armées congolaises (FARDC) et les rebelles du M23. Ils sont arrivés exténués, parfois après plusieurs semaines de marche à travers la brousse, souvent sans avoir eu accès au moindre soin.
Parmi eux, un grand nombre d’enfants n’ont jamais reçu les vaccins de base contre la rougeole, la poliomyélite, la tuberculose ou la coqueluche. D’autres ont vu leur calendrier vaccinal brutalement interrompu. Cette situation fait craindre l’émergence de foyers épidémiques dans les camps d’accueil. « Ces enfants sont particulièrement vulnérables. Les retards de vaccination dans les contextes de déplacement massif créent un risque accru pour l’ensemble de la population, y compris dans les zones d’accueil », alerte le Dr Jean Claude Bizimana, directeur du Programme élargi de vaccination (PEV) au Burundi.
Crédit : Diane Ndonse
Face à cet afflux massif, les autorités sanitaires burundaises ont déployé, avec des moyens limités, une réponse d’urgence pour tenter de combler les lacunes vaccinales. Mais les conditions de vie précaires dans les sites de transit, la pénurie d’eau potable, et le manque de personnel de santé compliquent la mise en œuvre d’une couverture vaccinale efficace.
Une vie en transit : des conditions précaires qui entravent la santé
À Rugombo, commune frontalière de la province de Cibitoke, le principal site d’accueil des réfugiés congolais est saturé. Installés dans le stade communal ou sur les terrains vagues alentour, des milliers de personnes vivent dans des tentes de fortune, des maisons inachevées ou, parfois, à même le sol. « Les hommes dorment dehors, les femmes et les enfants tentent de se protéger dans des bâtiments sans fenêtres ni portes », témoigne Daniel Ifola Ntabara, chef du site d’accueil.
La promiscuité, le manque d’accès à l’eau potable et l’absence d’infrastructures de base favorisent la propagation des maladies. La commune de Rugombo est confrontée à des pénuries d’eau chroniques, malgré les efforts de la Croix-Rouge et des volontaires congolais pour maintenir un minimum d’hygiène sur le site. « Pour prévenir des épidémies comme le choléra, nous effectuons des pulvérisations chaque jour dans tous les recoins du site », explique Dieudonné Ndikumana, agent de santé communautaire.
Crédit : Diane Ndonse
Dans ces conditions, assurer la continuité des soins, le suivi des grossesses et la vaccination des enfants relève d’un défi logistique et humain majeur. Les centres de santé sont débordés, les effectifs insuffisants, et l’absence d’archives médicales complique le repérage des enfants non ou partiellement vaccinés. Les risques sanitaires s’accumulent, alors même que la majorité des réfugiés sont des femmes et des enfants.
Des enfants zéro dose : une génération à rattraper
Dans les files d’attente devant les postes de santé improvisés à Rugombo, nombreuses sont les mères qui racontent avoir fui les combats sans avoir eu le temps de faire vacciner leurs enfants. Certaines n’ont même jamais pu commencer le calendrier vaccinal. C’est le cas de Kanyele Hangi, mère de cinq enfants, originaire de la province du Nord-Kivu : « Mon bébé a cinq mois et n’a jamais reçu de vaccin. Nous avons quitté le Congo quand il avait un mois, puis j’ai marché pendant un mois entier avant d’arriver ici. »
Ce type de situation est fréquent dans les zones de transit et dans la commune voisine de Buganda, où de nombreux enfants dits zéro dose – n’ayant reçu aucune injection – ont été identifiés. Chancelline Alliance, venue du Sud-Kivu, a vu le parcours vaccinal de son fils interrompu : « On était sans arrêt en déplacement, on ne restait nulle part. Il a reçu un vaccin de neuf mois, mais rien après. »
Le Dr Jean Claude Bizimana alerte sur les conséquences collectives de ces ruptures : « Lorsqu’un enfant manque une dose, il n’est plus protégé, mais c’est aussi l’immunité de groupe qui s’effondre. Cela ouvre la porte à des flambées de rougeole, de polio ou de diphtérie. » Le PEV recense à ce jour des milliers d’enfants en situation de rattrapage urgent, sans pouvoir encore couvrir l’ensemble des arrivants.
Dans les camps, le repérage de ces enfants reste complexe : absence de carnet de santé, itinéraires chaotiques, familles dispersées. À cette difficulté s’ajoute la méfiance parfois tenace de certains parents, marqués par des expériences traumatiques et un accès limité à l’information.
Une course contre la montre : le programme de rattrapage vaccinal
Pour éviter qu’une crise humanitaire ne se double d’une crise épidémiologique, les autorités burundaises, avec l’appui de plusieurs partenaires internationaux, ont lancé une vaste campagne de vaccination ciblée. Au cœur du dispositif : le programme de rattrapage « Big Catch-Up », soutenu par Gavi, l’Alliance du Vaccin, l’OMS, l’UNICEF et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR).
Pour aller plus loin
« Nous avons administré tous les vaccins prévus dans le cadre du Big Catch-Up : rougeole, polio, diphtérie, coqueluche, hépatite B, Hib… », détaille le Dr Jean Claude Bizimana, directeur du PEV. Les enfants identifiés comme zéro dose sont vaccinés dès leur arrivée, et les données remontées quotidiennement via le système national d'information sanitaire.
Une attention particulière a été portée à la rougeole, maladie hautement contagieuse, avec une campagne ciblant les enfants âgés de six mois à quatorze ans. Des équipes mobiles appuyées par l’OMS et des infirmiers volontaires sillonnent les sites de transit et les points d’entrée, notamment à Gatumba et Makamba.
La réussite de ce dispositif repose en partie sur le soutien logistique et financier des partenaires. Gavi a financé l’achat des vaccins, tandis que l’OMS a fourni des renforts humains, et que l’UNICEF a contribué à l'amélioration des conditions sanitaires dans les camps (installation de latrines mobiles, accès à l’eau potable). Le HCR, de son côté, accompagne le transfert des réfugiés vers des sites plus pérennes comme Musenyi, dans la province de Rutana, au sud-est du pays.
Face à une situation humanitaire toujours mouvante, les efforts doivent se poursuivre. Garantir une couverture vaccinale complète pour les enfants réfugiés demande un engagement constant : suivi médical, continuité des approvisionnements, renforcement des équipes de terrain. Avec le soutien de ses partenaires, le Burundi pose les bases d’une réponse durable, pour que chaque enfant déplacé puisse accéder à la protection que lui assurent les vaccins.
Davantage de Diane Ndonse
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