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Au Ghana, un centre de santé spécialisé abat les obstacles au dépistage du cancer du col de l’utérus

Avec 18 671 dépistages du cancer du col de l’utérus à son actif depuis 2017, le Centre de prévention du cancer du col de l’utérus et de formation sauve des vies et forme des membres du personnel de santé.

  • 2 octobre 2025
  • 9 min de lecture
  • par Nanama Boatemaa Acheampong
Le Centre de prévention du cancer du col de l’utérus et de formation. Mention de source : Edinam Awo Amewode
Le Centre de prévention du cancer du col de l’utérus et de formation. Mention de source : Edinam Awo Amewode
 

 

Au Ghana, le cancer du col de l’utérus est la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes. Il fait 1 700 victimes chaque année. Pourtant, seulement 3 % des femmes ont passé un dépistage de la maladie. Le cancer est souvent détecté trop tard, à un stade où les options de traitement sont limitées, coûteuses, voire impossibles.

Ces taux de mortalité sont sur le point de changer : le ministère de la Santé du Ghana a annoncé son intention d’introduire, au cours de l’année, le vaccin anticancéreux contre le virus du papillome humain (VPH) dans le cadre de la vaccination systématique. L’initiative, qui cible les adolescentes dans tout le pays, bénéficie du soutien de partenaires tels que l’UNICEF et Gavi, l’Alliance du Vaccin. Le déploiement à l’échelle nationale contribuera à combler le déficit de prévention dans le pays. Ce déficit, un établissement de Battor tente désespérément de le combler depuis près de dix ans.

Dr Kofi Effah. Credit: Edinam Awo Amewode
Le docteur Kofi Effah. Mention de source : Edinam Awo Amewode

Dans le district de North Tongu, dans la région de Volta au Ghana, une petite équipe déterminée, dirigée par le docteur Kofi Effah, un gynécologue-obstétricien comptant plus de 23 années d’expérience, s’efforce de prendre le pas sur le cancer du col de l’utérus.

Le docteur Effah est associé à l’Hôpital catholique de Battor depuis 2002, mais ce n’est qu’en mai 2017 qu’il a fondé le Centre de prévention du cancer du col de l’utérus et de formation, dans les locaux de l’établissement. Il ne s’agissait pas d’un projet à grande échelle bénéficiant de l’appui d’un financement international ou d’une politique gouvernementale. Il s’agissait d’une réponse pratique à un problème mortel.

« Il n’y avait pas de véritables systèmes, explique-t-il. Aucune formation, aucun accès au dépistage, aucun test du VPH disponible à grande échelle. Alors on a tout fait nous-mêmes. »

Un centre bâti à partir de rien et fait pour grandir

À la base, le Centre est un lieu de formation. Son modèle est simple : former du personnel infirmier, des sages-femmes et d’autres membres du personnel de santé au dépistage et au traitement des lésions précancéreuses du col de l’utérus, puis les renvoyer dans leurs communautés pour qu’ils dirigent leurs programmes locaux. Le centre offre une formation technique, une initiation à l’équipement, une formation à la pratique clinique et des séances d’approche supervisées.

Depuis 2017, 464 membres du personnel de santé ont été formés par le Centre, soit 293 sages-femmes, 126 infirmières et infirmiers, 30 médecins, 15 auxiliaires médicaux et 12 techniciennes et techniciens de laboratoire.

Map of Ghana indicating number of people trained. Credit: Edinam Awo Amewode
Carte du Ghana indiquant le nombre de personnes formées. Mention de source : Edinam Awo Amewode

« Nous formons les personnes dans un seul but, affirme le docteur Effah. Qu’elles puissent commencer à faire du dépistage auprès des femmes dès la semaine suivante. »

L’impact est mesurable : 18 671 femmes ont été dépistées au Centre depuis sa création. Parmi celles-ci, 171 ont été traitées pour des lésions précancéreuses, par ablation thermique, cryothérapie ou LEEP (technique d’excision électrochirurgicale à l’anse), selon le type de lésion cervicale et le matériel disponible.

« J’avais toujours l’impression d’être en feu », raconte Margaret Addai, une femme de 64 ans qui a souffert de cuisantes douleurs pendant des années parce que celles-ci avaient été mal diagnostiquées à plusieurs reprises. Après avoir pris contact avec l’équipe du docteur Effah, elle a subi un dépistage du VPH en plus de son évaluation et de ses soins gynécologiques. C’est alors qu’on lui a diagnostiqué une infection à VPH persistante et dangereuse. Pendant cinq ans, elle est retournée chaque année à Battor pour un suivi et un traitement.

« Je leur ai dit de m’enlever l’utérus. Je n’en avais plus besoin. Mais les infirmières m’ont dit d’attendre, que de bonnes nouvelles s’en venaient. »

Celles-ci sont arrivées en 2024, lorsqu’une infirmière l’a appelée pour lui annoncer qu’elle n’était plus infectée par le VPH. « Elle m’a dit : "Maman, tu es libérée". J’ai pleuré ce jour-là. »

Des histoires comme celle-ci, il y en a des milliers. « En tant qu’infirmière clinicienne spécialisée dans la santé mentale et le bien-être des femmes, je considère l’expérience du Centre comme le fondement du modèle multidisciplinaire que je pratique aujourd’hui, où la santé physique, la santé psychologique et la prévention vont de pair », explique Gloria Sarkodie Addo, qui fait du dépistage auprès des femmes à l’hôpital de district de Shai-Osukodu, à Dodowa.

Il n’y a pas encore de données officielles sur le nombre d’orientations de cas à un stade avancé, mais des données anecdotiques suggèrent qu’un dépistage plus précoce permet de détecter un plus grand nombre de cas avant qu’ils ne s’aggravent.

Dr Kofi Effah and staff. Credit: Edinam Awo Amewode
Le docteur Kofi Effah en compagnie de membres du personnel. Mention de source : Edinam Awo Amewode

L’impact du Centre dépasse les frontières. Zainab, une femme sierra-léonaise, a découvert qu’elle avait une lésion précancéreuse en 2018, alors qu’elle accompagnait sa mère au Ghana pour un traitement contre le cancer du col de l’utérus. Elle estime que Battor a sauvé sa santé reproductive. Elle continue à y revenir pour des soins de suivi, même si elle vit maintenant à Dubaï.

Si le système n’est pas prêt, bâtissez le vôtre

À l’époque de la création du Centre de prévention du cancer du col de l’utérus et de formation, les capacités du Ghana en matière de dépistage du VPH étaient faibles, notamment parce qu’il n’existait pas de politique claire autorisant le personnel infirmier à administrer des tests ou des traitements avancés. Le docteur Effah et son équipe ont dû contourner ce problème avec une combinaison de science, de plaidoyer et de ce qu’il appelle la « désobéissance constructive ».

« À nos débuts, seuls les médecins étaient autorisés à pratiquer des colposcopies », explique-t-il, faisant référence à l’examen du vagin et du col de l’utérus à l’aide d’un instrument grossissant. « Mais cela n’avait aucun sens dans le contexte du personnel infirmier travaillant dans les communautés. »

Afin de contourner les obstacles réglementaires, on a renommé la technique « inspection visuelle avancée avec l’acide acétique ». Aujourd’hui, des infirmières spécialement formées effectuent régulièrement des dépistages à l’aide de colposcopes mobiles, une innovation clé qui permet l’imagerie en temps réel et les consultations à distance.

En 2021, le Centre a participé au développement de la première version mobile du colposcope numérique de Lutech Industries Inc., de New York, l’un des appareils d’examen du col de l’utérus les plus avancés du monde. Le colposcope original de Lutech était un appareil fixe utilisable en clinique seulement. Avec les conseils techniques du Centre, il a été transformé en un appareil pouvant être emporté pour les activités d’approche dans les communautés. Ce nouvel outil, léger et équipé d’une caméra, est l’un des colposcopes mobiles utilisés aujourd’hui pour de nombreux dépistages effectués autant au Centre que dans les visites de proximité.

« Nous avons inversé le modèle, affirme Annita Edinam Dugbazah, l’une des infirmières en chef du Centre. Au lieu de demander aux médecins de tout faire, nous avons demandé aux infirmières de prendre l’initiative. »

Problèmes locaux, solutions locales

La fabrication locale est un élément clé de l’approche du docteur Effah. Lorsque le vinaigre importé (utilisé pour l’inspection visuelle à l’acide acétique) est devenu trop coûteux, l’équipe s’est associée à Ghana Atomic Energy pour qu’il soit fabriqué localement. On produit aussi sur les lieux des cotons-tiges et des aides au dépistage afin de réduire les coûts médicaux.

Même les algorithmes de dépistage du Centre, qui décrivent la procédure étape par étape de prise de décisions cliniques, ont été élaborés à l’interne trois ans avant que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne publie ses propres lignes directrices pour le dépistage du cancer du col de l’utérus en 2019.

« Nous ne voulions pas que chaque infirmière improvise avec les patients, explique le docteur Effah. Nous avons donc créé un arbre de décision, et plus tard nous en avons fait une application qui guide le dépistage et le traitement. »

L’algorithme et l’application mis au point par le Centre ont depuis été utilisés pour former des dizaines de cohortes et servent désormais d’outils de diagnostic sur le terrain dans de nombreux établissements à travers le pays.

Chaque stagiaire examine au moins 15 femmes au cours de sa formation. Les coûts de dépistage sont inclus dans le prix du programme. Certains participants paient de leur poche, tandis que d’autres sont parrainés par leur centre de santé. Un grand nombre de membres du personnel de santé qui ont suivi la formation mettent en place des unités ou animent des séances de sensibilisation, une fois de retour dans leur région. Le Centre leur offre un tutorat à distance. Le Centre reste en contact avec ses anciens élèves au moyen de groupes WhatsApp, où l’on partage des mises à jour, des images, des discussions de cas et les nouveaux protocoles.

« Nous ne nous contentons pas de leur remettre un certificat, souligne le docteur Effah. Nous leur offrons un réseau. »

Le Centre doit une part de son succès à son excellent matériel de formation, qu’il a intégralement produit. Se distinguant des ateliers courts de trois jours qui sont généralement offerts en formation sur l’inspection visuelle à l’acide acétique, le Centre a conçu un programme rigoureux en deux modules. Dans le premier module, on initie les membres du personnel de santé aux techniques de dépistage, à la terminologie de la pathologie cervicale et à la mise en place d’unités de dépistage fonctionnelles. Dans le second, on ajoute à cette base des compétences en traitement, notamment la cryothérapie et l’ablation thermique.

« Notre souhait était que les infirmières soient capables d’en faire plus que la simple exécution d’une procédure. Nous voulions qu’elles apprennent le langage de la prise en charge globale du cancer du col de l’utérus », explique le docteur Effah.

Atteindre les populations mal desservies

Le Centre a organisé des séances de dépistage dans 51 communautés, dont cinq ont fait l’objet de plusieurs visites. Ces séances sont l’occasion d’offrir des services aux populations éloignées et mal desservies.

« La plupart des femmes ne savent pas à quoi ressemble un col de l’utérus, alors nous leur en montrons, explique Annita. Lorsqu’elles voient les images et découvrent en quoi consiste réellement le cancer, elles n’ont plus peur. »

Annita Edinam Dugbazah. Credit: Edinam Awo Amewode
Annita Edinam Dugbazah. Mention de source : Edinam Awo Amewode

L’équipe utilise les tableaux de l’Atlas de dépistage du VPH : des supports visuels montrant des images de cols de l’utérus infectés, de condylomes et d’anatomie reproductive normale. Plus de 250 000 femmes ont bénéficié de séances d’éducation communautaire.

Une expérience a marqué Annita : « Une femme dégageant une odeur épouvantable s’est présentée à moi. Elle se sentait tellement honteuse qu’elle n’arrivait même pas à parler. Après le dépistage, elle a amené ses sœurs de Koforidua pour qu’elles se fassent tester elles aussi. Ce genre de confiance, ça ne s’achète pas. »

Des données, des diagnostics et un laboratoire avec une mission

Le laboratoire du Centre traite chaque année des milliers d’échantillons pour le dépistage du VPH provenant non seulement de Battor, mais aussi de structures de santé de tout le pays dont les capacités de test sont insuffisantes. Son équipe a comparé plusieurs plateformes de dépistage et publié plus d’une douzaine d’articles révisés par des pairs. Le laboratoire est aujourd’hui une référence en matière de diagnostic du VPH au Ghana.

Au fil des ans, l’équipe a utilisé plusieurs plateformes de diagnostic, en commençant par careHPV (un système portable préqualifié par l’OMS conçu pour les contextes faibles en ressources), suivi de GeneXpert (un système rapide à cartouches) et AmpFire (un test PCR rapide et à haut débit). Plus récemment, le laboratoire a adopté l’appareil MA-6000, une plateforme basée sur PCR procurant un génotypage complet du VPH. L’équipe du Centre a choisi le MA-6000 pour l’assistance technique locale qui l’accompagne, son prix plus abordable et son fonctionnement fiable dans son contexte d’utilisation.

« Nous ne voulions pas seulement un appareil précis, nous voulions un appareil que nous pourrions garder ici, et pour longtemps », précise le docteur Effah.

Cela dit, le dépistage ne suffit pas ; les patientes doivent revenir pour recevoir les résultats ou les soins de suivi.

Pour remédier à ce problème, le Centre a intégré le test VPH ADN et l’inspection visuelle (inspection visuelle à l’acide acétique ou colposcopie mobile), en particulier dans les contextes faibles en ressources. Cette approche intégrée réduit considérablement le risque que des femmes soient perdues de vue, un problème courant dans les programmes de prévention du cancer du col de l’utérus partout dans le monde, et surtout là où les ressources sont plus rares.

« Nous avons constaté que bien des femmes n’avaient pas les moyens de revenir nous voir plusieurs fois, explique le docteur Effah. Alors nous avons rassemblé toutes les interventions. Aujourd’hui, le dépistage, l’inspection visuelle et le diagnostic se font en un seul rendez-vous. »

Dans bien des cas, si une lésion précancéreuse est détectée, un traitement comme l’ablation thermique peut être réalisé sur-le-champ. Ce modèle de soins ambulatoires est devenu une référence en matière de prestation de soins efficaces, et un élément clé de l’action du Centre en faveur de services décentralisés et accessibles à la communauté.

Sample data tracking. Credit: Edinam Awo Amewode
Suivi des données d’échantillonnage. Mention de source : Edinam Awo Amewode

La rétention et les réalités de la mise à l’échelle

Il a été constaté que les personnes qui ont suivi la formation ne poursuivaient pas toutes leurs activités de dépistage six mois plus tard. Elles se butent à des obstacles comme le manque de soutien de la part de la direction de l’établissement, les pénuries de matériel et des changements de rôles. Les données exactes sur la rétention ne sont pas encore toutes compilées. On constate néanmoins que plusieurs des personnes formées par le Centre demeurent actives dans des réseaux informels ou des cliniques autonomes.

« Certaines d’entre elles font du dépistage le week-end. D’autres forment des partenariats avec des églises. Le système a encore un pas de retard, mais la volonté est là », explique le docteur Effah.

Cela dit, la portée géographique est un acquis : grâce à une subvention Rotary pour l’achat de 50 appareils de thermocoagulation, les 16 régions administratives du Ghana disposent désormais d’au moins un établissement équipé pour le traitement des lésions précancéreuses.

Le docteur Effah en souhaite davantage : « Le Ghana compte 261 districts. Nous en avons couvert environ 60 %. Pour couvrir les 40 % restants, nous avons besoin de financement. »

Au-delà de la clinique

Le Centre de prévention du cancer du col de l’utérus et de formation est devenu plus qu’un lieu de formation. C’est un pôle de recherche, un ancrage communautaire et un symbole de tout ce qui peut être réalisé lorsque le développement d’un système est axé sur les personnes et non la bureaucratie.

« L’intention n’était pas de fonder un centre, affirme le docteur Effah. L’intention était d’offrir une solution. »

Le véritable legs de son travail ne se mesure pas en honneurs et en récompenses, mais dans la passion et la détermination qu’il a instillées chez les autres. Partout au Ghana, des infirmières, des sages-femmes et d’autres membres du personnel de santé ont fait de sa vision la leur, et la transmettent dans les communautés. Leur formation devient ainsi un facteur de transformation. Parmi ces personnes, on compte Miriam Bonah, Meilleure infirmière nationale en 2024, qui a dépisté plus de 800 femmes dans la région du Nord en 2023-2024.

« Peu à peu, j’ai constaté que ce phénomène se propageait, dit-elle. Si nous ne faisons rien, nous perdons des femmes. Nous perdons des femmes qui sont productives. »

Le témoignage de Myriam Bonah, comme celui de tant de personnes qui sont passées par le Centre, incarne parfaitement les valeurs qui sous-tendent l’œuvre du docteur Effah : un mouvement qui repose sur un leadership déterminé, des compétences pratiques et un sens du devoir profond et communicatif.