Goodluck et Happiness : les retombées de 25 ans d’investissement dans la vaccination en Tanzanie
Elles portent des prénoms porteurs d’espoir – Goodluck (« Bonne chance ») et Happiness (« Bonheur ») – et incarnent à merveille la promesse tenue de la vaccination. Toutes deux font partie de la première génération de bébés tanzaniens vaccinés grâce au soutien de Gavi. Aujourd’hui jeunes femmes, elles s’engagent à leur tour pour la santé de leur communauté.
- 26 juin 2025
- 6 min de lecture
- par Syriacus Buguzi

Happiness Nyemo, 25 ans, serveuse dans l’un des pubs les plus fréquentés de Dar-es-Salaam, se faufile rapidement et avec assurance entre les tables, un seau rempli de bouteilles fraîches à la main. Son sourire poli et professionnel masque une détermination sans faille : chaque bouteille servie, chaque petit pourboire glissé dans sa paume, la rapproche un peu plus de ses ambitions.
Happiness Nyemo, rêveuse et mère d’une petite fille
« Un jour, j’achèterai une machine à coudre, j’aurai mon propre atelier, et j’enverrai ma fille à l’école », confie-t-elle. Son “talent secret”, dit-elle, c’est de confectionner des vêtements pour filles. Elle rêve d’avoir sa propre boutique, et de choisir elle-même ses horaires.
Mais pour l’instant, c’est la débrouille en ville. Mère célibataire vivant dans une chambre en location, chaque shilling, chaque minute compte.
Malgré son emploi du temps chargé, Nyemo affirme qu’elle trouve toujours le temps d’emmener sa fille à la clinique pour ses rendez-vous de vaccination. La vaccination, dit-elle, est une tradition profondément ancrée dans sa famille : sa propre mère ne cesse de répéter que « les vaccins ont été essentiels à notre survie, enfants ».

Crédit : Syriacus Buguzi
Née il y a 25 ans, dans une autre Tanzanie
Aujourd’hui, la mère de Nyemo vit elle aussi en ville, et l’aide à suivre le calendrier vaccinal de sa petite-fille. Mais en 2001, lorsque Happiness est née, ses parents étaient de modestes agriculteurs dans un village isolé et tranquille de Bahi, dans la région de Dodoma.
Au début des années 2000, les vaccins devenaient plus accessibles dans sa région – elle se souvient avoir accompagné son petit frère à la clinique pour ses injections – mais elle a grandi en entendant les récits effrayants d’un passé pas si lointain, racontés par les anciens de la famille.
« On me disait qu’avant, quand les enfants n’étaient pas vaccinés, leur cou pouvait se raidir, ils pouvaient tousser longtemps, avoir des boutons partout sur le corps… ils pouvaient mourir, ou ne pas bien grandir à cause de la maladie », raconte-t-elle. « Maintenant que j’ai une enfant, ça me fait peur. »
En effet, en l’an 2000 – juste un an avant la naissance d’Happiness – le taux de mortalité des moins de cinq ans en Tanzanie était de 128 décès pour 1 000 naissances vivantes. En 2023, ce chiffre a été réduit à 39 pour 1 000 : une amélioration spectaculaire.
C’est aussi en 2000 qu’a été créée, à Genève, l’alliance Gavi pour les vaccins, avec pour mission de renforcer l’accès à la vaccination dans les régions les plus pauvres du monde. Dès 2001, la jeune organisation soutenait les campagnes de vaccination en Tanzanie, où la couverture vaccinale a rapidement progressé.
En 2001, 87 % des enfants tanzaniens avaient reçu les trois doses du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche – un indicateur classique de la couverture vaccinale globale. En 2003, ce taux atteignait 95 %. Depuis, les progrès ont été réels, mais non linéaires : après une forte baisse liée au COVID-19, la Tanzanie est remontée à 93 %, et son système de santé, très engagé, continue de lutter pour élargir encore la protection.
Nyemo en est témoin. À l’hôpital régional de référence Amana, à Dar-es-Salaam, où elle a accouché de sa petite fille – une enfant « mtundu sana », espiègle et pleine de vie – « les infirmières sont très strictes » sur l’importance de ne manquer aucune dose. Dans le cas de Nyemo, elles prêchent une convaincue : « Le sérieux de ma mère à propos des vaccins m’a donné l’habitude d’emmener ma fille régulièrement à la clinique », explique-t-elle.
Pour elle, chaque visite au centre de santé est un investissement dans l’avenir de sa fille – pour qu’elle aussi, un jour, puisse construire sa vie et réaliser ses rêves.
Faustina Goodluck, scientifique en santé environnementale et entrepreneure
Comme Happiness, Faustina Goodluck est née en 2001. Elle aussi fait partie des tout premiers nourrissons tanzaniens à avoir été vaccinés avec le soutien de l’Alliance du Vaccin.
Aujourd’hui âgée de 25 ans, Faustina incarne le retour sur investissement en matière de santé et de potentiel humain. Bébé en bonne santé et protégée, elle a grandi pour consacrer sa vie à la protection des autres, en tant que spécialiste de la santé environnementale.
Faustina est née à l’hôpital Masana, dans la région du Kilimandjaro – un signe déjà révélateur d’un certain avantage, à une époque où 65 % des femmes vivant en milieu rural accouchaient encore à domicile. « Ma famille avait un revenu moyen, et ce que j’ai entendu en grandissant, c’est qu’à ce moment-là, les établissements de santé commençaient à s’améliorer un peu. » Pourtant, précise-t-elle, la majorité des habitants des villages alentour avaient encore recours aux plantes médicinales et aux remèdes traditionnels.
Le parcours de Faustina a suivi une autre voie. Elle se souvient que ses parents lui ont parlé de la vaccination vers l’âge de six ans, et lui ont expliqué que la petite marque sur son épaule était la cicatrice d’un vaccin reçu lorsqu’elle était bébé.

Elle mène des actions d’éducation sur les maladies évitables et plaide pour une meilleure nutrition au sein des communautés.
Crédit : Faustina Goodluck
Partager la santé
« Mon envie de travailler dans le domaine de la santé vient des difficultés que nous affrontons au quotidien », explique-t-elle. « Les expériences vécues dans ma communauté, dans ma propre famille, m’ont inspirée à m’engager dans la santé – en particulier dans la prévention : je crois que prévenir vaut mieux que guérir. »
C’est cette vision de l’avenir, dit-elle, qui l’a conduite à l’Université de santé et des sciences connexes de Muhimbili (MUHAS), la meilleure université médicale de Tanzanie. Elle y a obtenu en 2024 une licence en santé environnementale.
« J’ai toujours rêvé d’une société capable de prévenir les maladies », dit-elle avec un sourire déterminé. « Et je crois avoir vécu une vie en bonne santé qui m’a permis de concrétiser ce rêve. Je pense que les vaccins m’ont garanti cette santé nécessaire pour aller au bout de mes ambitions. »
« Je sais qu’autrefois, quand les vaccins n’étaient pas accessibles aux communautés, ce genre de rêve était hors de portée – et beaucoup de gens n’avaient pas la chance de réaliser leur plein potentiel. »
Pour aller plus loin
Distribuer des doses… d’information
En tant que spécialiste de la santé environnementale, Faustina Goodluck fonde son travail sur un principe simple : autonomiser les communautés par la connaissance. « Mon approche repose sur le constat que l’ignorance favorise les infections et les maladies. Mon rôle, c’est donc de faire circuler l’information », explique-t-elle. Lors de ses programmes réguliers de sensibilisation, elle défend la vaccination comme pilier essentiel de la santé préventive.
« Avant, quand les vaccins n’étaient pas accessibles, les communautés ne pouvaient pas atteindre leur plein potentiel », déplore-t-elle.
Dans sa courte vie, elle dit avoir déjà été témoin de leur pouvoir transformateur. « Les vaccins nous ont permis de rester en bonne santé et de poursuivre nos rêves – en nous protégeant du tétanos, du COVID-19 ou encore du HPV. »
Mais Faustina ne se limite pas à la science. Elle met aussi à profit ses talents d’écrivaine, d’oratrice et d’organisatrice. Animée par une forte ambition de leadership, elle a fondé Mlo Hub, une jeune entreprise spécialisée dans les services de nutrition. « Mon rêve, c’est de diriger une grande entreprise centrée sur la prévention des maladies », affirme-t-elle, ajoutant que « la nutrition est l’un des meilleurs moyens de renforcer l’immunité des populations ».
Faustina reste fidèle à sa mission : prévenir plutôt que guérir, et laisser une empreinte durable dans la santé communautaire.