Médicaments pour l’Afrique : avec sa recherche de pointe, le Ghana montre la voie

Au Ghana, un laboratoire universitaire de pointe forme une nouvelle génération de scientifiques africains pour développer des traitements contre le paludisme, la tuberculose ou le cancer. Avec le soutien d’acteurs internationaux, le pays s’impose comme l’un des fers de lance de la recherche pharmaceutique sur le continent.

  • 11 juin 2025
  • 10 min de lecture
  • par Claudia Lacave
L'étudiante Hagar Afriyie réalise des réactions de chimie organique de synthèse. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
L'étudiante Hagar Afriyie réalise des réactions de chimie organique de synthèse. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
 

 

Les tests commencent d’abord sur de petites quantités. Hagar Afriyie, une étudiante en Master de 29 ans, choisit les agents dans le frigo, elle les mélange dans une fiole et, après 30 à 120 minutes de mélange, le résultat se forme. Réaction de Friedel-Crafts ou de Suzuki, synthèse de Williamson ou d’amide, la jeune femme en réalise plusieurs dizaines par semaine. Dans le laboratoire pimpant du Groupe d'innovation pharmaceutique (DIG) de l’université du Ghana, elle cherche des composés prometteurs pour combattre le paludisme. Depuis 2016, le pays du golfe de Guinée mène la formation d’un réseau de recherche en chimie et est devenu le deuxième pays du continent, après l’Afrique du Sud, capable d’accomplir les premières étapes de conception des médicaments.

Le nouveau laboratoire a ouvert ses portes en mai 2024 et se concentre sur le paludisme, la tuberculose et les cancers. C’est grâce au soutien de la fondation Bill et Melinda Gates que le lieu, doté de machines d’une valeur supérieure à 100 000 dollars américains comme des extracteurs, des évaporateurs rotatifs et un spectromètre de masse, a vu le jour. Face au manque de financement public dans la recherche, le DIG s’est tourné vers des agences de développement ou des organisations à but non lucratif pour prendre de l’ampleur. Entre autres projets, l’équipe de 16 chercheurs, à moitié des étudiants, participe au Grand Challenges - Accélérateur africain de découverte de médicaments (GC ADDA), de la fondation Gates et de l’organisation à but non lucratif LifeArc. Le programme, doté d’une enveloppe de 4,7 millions de dollars, encadre la création d’un réseau continental de scientifiques répartis entre le Ghana, l’Afrique du Sud, le Mali, le Cameroun, la Zambie et le Zimbabwe, avec un but ambitieux : découvrir de nouveaux médicaments contre le paludisme et la tuberculose.

Richard Kwamla Amewu.
Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas

« Les parasites à l’origine des maladies sont très intelligents, ils trouvent toujours de nouveaux moyens de surmonter les médicaments », s’exclame le docteur Richard Kwamla Amewu, à la tête du DIG. Dans un contexte de résistance croissante des maladies aux traitements existants, le continent africain se retrouve dans l’urgence. Le Ghana est l’un des pays les plus frappés au monde par la tuberculose (TB), avec une prévalence de 290 cas pour 100 000 habitants, et il fait aussi partie des 15 pays au plus fort taux de paludisme, représentant 2% des cas et 3% des morts dans le monde.

À la rescousse des patients négligés

Ces maladies touchent majoritairement des pays en développement, au pouvoir d’achat limité, et le gain commercial des médicaments les concernant est trop faible pour les acteurs industriels pharmaceutiques. « La capacité de découverte et de développement des médicaments est là, mais elle est tout simplement utilisée pour d’autres maladies, les maladies des pays à haut revenu. C’est la cible des entreprises qui ont ces capacités, ils sont axés sur les affaires, moins sur les patients », dit le docteur Charles Mowbray, directeur de la découverte pour l’initiative Médicaments pour les maladies négligées (DNDi). L’organisation suisse à but non lucratif, est née en 2003 de la collaboration entre Médecins sans frontières (MSF) et l’OMS, ainsi que cinq centres de recherches à travers le monde. Leur constat est brutal : le modèle pharmaceutique commercial est incapable de fournir des médicaments sûrs et efficaces pour tous. Grâce au soutien financier d’agences gouvernementales de développement et d’organisations philanthropiques, le DNDi cherche des traitements pour les populations les plus vulnérables, aux spécificités particulières comme l’âge ou le sexe, exclus des traitements.

Le Dr Mowbray travaillait initialement pour une grande entreprise pharmaceutique. Mais la frustration a grandi au fil des années : « Je travaille sur le stade précoce d'un processus qui prend beaucoup de temps. Si je découvre une molécule prometteuse, je veux que les collègues le développent en médicament pour les patients. Mais les entreprises pharmaceutiques changent souvent de priorités. Le travail que j'ai effectué sur le VIH, par exemple, a été mis en attente parce qu'il n'était plus intéressant d'un point de vue commercial. » Il décide il y a 14 ans de quitter son poste. D’une organisation de centaines de milliers d’employés, le chercheur est passé à une structure de quelques dizaines de personnes travaillant en réseau avec des scientifiques du monde entier, axée sur les besoins des patients et engagée à aboutir à des traitements efficaces et accessibles.

Découverte de molécules, développement des médicaments, essais cliniques en zone difficile d’accès puis enfin, démarchage des entreprises pharmaceutiques pour produire les traitements gracieusement, le processus est long. En 20 ans, l’organisation a réalisé 13 traitements contre des maladies comme le VIH chez l’enfant ou l’hépatite C. De préférence, ils reprennent le développement de certaines molécules, stoppé en cours de route par de grands laboratoires. C'est le cas du fexinidazole, pour traiter la maladie du sommeil (trypanosomiase) transmise par la mouche tsé-tsé, initialement développé par le labo pharmaceutique Hoechst dans les années 80. Le médicament est venu remplacer le Melarsoprol, en vigueur à l'époque, explique le Dr Mowbray : « Il s'agit d'un médicament horrible car il nécessite des injections douloureuses pendant plus de 10 jours. Il était très toxique, 10% des patients qui recevaient le médicament en mourraient et ils rapportaient une sensation de feu dans les veines à la perfusion. »

Le DNDi a pu identifier un composé prometteur à partir d’une publication scientifique et après des années de développement et d’essais sur des animaux puis des humains, le fexinidazole, un comprimé à prendre quotidiennement pendant 10 jours, a commencé à soigner des malades en 2019 en RDC. Et les progrès sont impressionnants. Grâce à un panel d’interventions publiques en Afrique subsaharienne où elle est majoritairement présente, l’incidence de la maladie a diminué ; de 40 000 infections en 1998, elle touche maintenant moins de 1000 personnes par an. En janvier 2025, l’OMS a déclaré que la Guinée avait éliminé la trypanosomiase humaine.

Expertise locale

Sanofi, l’entreprise qui concevait initialement le Melarsoprol, a accepté de produire et donner le médicament aux pays touchés après que le DNDi l’ait dérisqué, en fournissant l’investissement important des premières étapes et en réalisant le processus bureaucratique d’approbation auprès des autorités sanitaires. Le Dr Mowbray applaudit l’effort du géant pharmaceutique et reconnaît l’engagement d’autres à contribuer à la santé mondiale. Les entreprises Novartis (Suisse), Eisai (Japonaise) et GSK (Britannique), étaient toutes trois présentes à la conférence sur la découverte de médicaments en Afrique, organisée par l’Université de Dundee (Ecosse), à Accra en mars dernier à laquelle le chercheur a également assisté. L’évènement a rassemblé des professionnels de tout le continent afin d’explorer les dernières découvertes scientifiques et renforcer le réseau panafricain.

Dr Charles Mowbray.
Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas

Le besoin de mettre au point des traitements adaptés à l’Afrique est réel car, au-delà de la résistance des maladies et parasites, les effets des médicaments varient selon les peuples. « L'une des sessions les plus marquantes de ce matin concerne le mélange génétique des personnes vivant en Afrique, il est plus diversifié que partout ailleurs dans le monde ! Cela signifie que la susceptibilité des personnes à la maladie est différente, la façon dont elles réagissent au traitement, les effets secondaires, la dose dont elles ont besoin ou même, le traitement en lui-même, peut être différent. Cela peut être aussi fondamental », appuie le Dr Mowbray. À cela s’ajoutent les conditions socio-économiques des patients, leur accès aux infrastructures et à la chaîne du froid, qui nécessitent des remèdes oraux et faciles à préserver dans un environnement chaud et humide.

Cette nécessité d’une recherche adaptée a provoqué des vocations : « Quand j’étais jeune, j’étais très intéressée par tout ce qui touche aux hôpitaux, à la médecine. Je ne savais pas qu’il existait un cursus en chimie médicinale. J’ai été très contente d’en entendre parler car je voulais aider les autres ! » raconte Hagar Afriyie d’une voix basse, depuis le labo du DIG, une blouse de scientifique sur les épaules. La pièce blanche et lumineuse est dotée de machines haute technologie capables de réaliser des réactions chimiques entre précurseurs (substances chimiques), le cœur de la chimie organique de synthèse. À la différence de la chimie des produits naturels, qui identifie les composés de plantes et de traitements traditionnels pour évaluer leur efficacité et qui est globalement répandue sur le continent, la synthèse organique n’en est qu’à ses débuts en Afrique.

Grâce à la création du hub continental, Hagar a eu l’opportunité d’effectuer un stage de six semaines auprès de l’entreprise sud-africaine H3D, de l’université de Cape Town (UTC), l’institution la plus avancée de la région en découverte de médicaments. Elle a pu également participer au programme Open Synthesis Network du DNDi, dont le but est d’entraîner des étudiants à travers le monde sur des maladies négligées. À partir de composés existants, Hagar a travaillé avec l’équipe du DIG à réaliser les variations pour la maladie de Chagas et le mycétome, et à synthétiser les réactions chimiques avant d’envoyer une nouvelle molécule prometteuse au laboratoire suisse. L’étudiante est actuellement en dernière phase d’écriture de son mémoire sur les pistes pour un traitement du paludisme.

Encore loin du premier médicament

Cette formation des scientifiques, c’est tout l’intérêt du DIG et des projets auxquels il participe. « Quand je suis revenu au Ghana après avoir travaillé en Angleterre, il n’y avait personne avec les connaissances en synthèse organique pour collaborer, explique le docteur Richard Kwamla Amewu, depuis son bureau de directeur du département de chimie. L’équipe qu’on a aujourd’hui, ce sont des gens que j’ai formés localement depuis le premier cycle universitaire. » En 2016 il lançait le groupe académique, formalisé en 2020 avec la création du DIG. Grâce au soutien de la fondation Gates, de l’université de Dundee, de H3D, de Medicines for Malaria Venture (MMV) et de LGenia, le réseau de découverte de médicaments ghanéen a vu le jour en 2022. Il inclut plusieurs institutions : le DIG, qui réalise les synthèses chimiques, l’institut Noguchi, qui fait les tests biologiques des nouveaux composés, et l’université technique de Kumasi, où un chercheur a été formé pour étudier le comportement des médicaments dans le corps du patient (DMPK).

En octobre 2023, l’addition du Ghana au programme GC ADDA de la fondation Gates a permis d’enrichir le travail en réseau et des composés sont maintenant envoyés au Mali, au Cameroun et en Afrique du Sud pour certains tests. Cette phase exploratoire du procédé de création des médicaments mobilise de nombreuses compétences scientifiques extrêmement différentes, habituellement toutes regroupées au sein d’une entreprise. Mais dans la sphère publique et les maladies négligées, la collaboration en réseau est inévitable pour aller plus vite et augmenter les chances de succès, dans un domaine où il n’y a que 3% de chances de réussite d’après le Dr Amewu. Alors que le rêve de tout chercheur est de voir sa découverte transformée en médicament disponible sur les rayons d’une pharmacie, le chemin reste encore long pour le DIG dont aucune molécule n’a encore été transformée en traitement réel. Mais pour le Dr Amewu, le chemin parcouru en matière de formation et d’équipements du laboratoire est déjà un succès et il est optimiste pour le futur : « Il se peut qu'à un moment donné, même nos propres étudiants partis à l'étranger pour poursuivre leurs études, soient prêts à revenir grâce aux infrastructures que nous avons mises en place ici. »