Près de 4 millions de personnes vaccinées pour réduire le risque de fièvre jaune dans l’est de l’Ouganda

Les agents de santé à la frontière entre l’Ouganda et le Kenya affirment que des progrès sont réalisés, tandis que le ministère de la Santé indique que la campagne de vaccination de masse a permis de protéger 92 % de la population éligible.

  • 15 mai 2025
  • 7 min de lecture
  • par Joyce Chimbi
Des enfants de l’école primaire et maternelle islamique Al-Khamis font la queue pour se faire vacciner contre la fièvre jaune. Crédit : Joyce Chimbi
Des enfants de l’école primaire et maternelle islamique Al-Khamis font la queue pour se faire vacciner contre la fièvre jaune. Crédit : Joyce Chimbi
 

 

Le plus jeune enfant avait trois ans, le plus âgé, seize. Un à un, les 200 élèves de l’école primaire et maternelle islamique Al-Khamis, dans la ville frontalière de Malaba, en Ouganda, ont reçu leur injection contre la fièvre jaune dans le cadre d’une vaste campagne de vaccination lancée à la mi-avril dans l’est du pays.

Le directeur de l’école, Yusuf Matovu, a souligné un fait révélateur : bien que l’établissement ne dispose ni de portail ni de clôture adéquate, aucun élève n’a tenté de fuir par peur. « Ils ne comprennent peut-être pas tous exactement pourquoi, mais ils savent que c’est important, car ils ont reçu des informations sur la vaccination. Aucun parent ou tuteur n’a exprimé de réticence. »

Angela Betty, infirmière au centre de santé Malaba Health Centre IV, explique que la campagne de vaccination a été globalement accueillie avec curiosité et enthousiasme : « On n’avait pas vu de seringues et de vaccins circuler ainsi dans la communauté depuis la période du COVID-19. Les vaccins contre la polio sont fréquents – ils sont administrés par voie orale – mais les vaccins injectables, eux, sont généralement réservés aux structures de santé. »

La communauté savait probablement aussi que la fièvre jaune n’est pas une maladie à prendre à la légère. L’Ouganda se situe dans ce que l’on appelle la ceinture africaine de la fièvre jaune, une zone régulièrement touchée par des épidémies de cette maladie virale dangereuse. Transmise par la piqûre de moustiques Aedes infectés, la fièvre jaune provoque une forte fièvre, un jaunissement de la peau ou des yeux, des saignements, un état de choc et des défaillances d’organes. Parmi les personnes atteintes d’une forme sévère, 30 à 60 % décèdent. Et une nouvelle fois, la menace resurgissait : six cas avaient été confirmés fin mars dans la région orientale de l’Ouganda.

La fièvre jaune peut se propager rapidement : lors d’épidémies précédentes, le nombre de cas doublait tous les cinq à sept jours. Mais comme le sait Jeffrey Lubega, chauffeur routier, les flambées épidémiques ont des conséquences même pour ceux qui n’attrapent pas la maladie. Lubega transporte des marchandises entre la ville portuaire de Mombasa, au Kenya, et l’Ouganda, un pays enclavé – un trajet qui l’oblige à traverser la frontière à Malaba. Les épidémies, qui ralentissent ou paralysent le passage à la frontière, nuisent aux affaires, dit-il. En 2016, il se trouvait dans le district de Masaka, dans le centre de l’Ouganda, lors de l’épidémie de fièvre jaune qui a fait dix morts ; il était à nouveau sur place lors de l’épidémie de 2022.

« Depuis la COVID-19, c’est une épidémie après l’autre. Parfois, nous ne pouvons pas franchir la frontière tant que le dépistage n’est pas terminé, ce qui peut prendre plusieurs jours – et pendant ce temps, on perd de l’argent. J’ai été mis en quarantaine pendant le COVID-19, à mes propres frais. J’ai reçu le vaccin contre la fièvre jaune pendant que j’attendais que mon camion soit autorisé à passer. Pour moi, c’était à la fois une décision de santé et une décision économique », explique-t-il.

Les vaccins à la rescousse

Alowo Sophie, infirmière au centre de santé Malaba Health Centre IV, confirme que la campagne récente visait pas moins de 4,3 millions de personnes âgées de 9 mois à 60 ans dans 19 districts de la région orientale. Elle et ses collègues espéraient ainsi stopper l’épidémie naissante dans son élan. Mener une opération de vaccination d’une telle ampleur n’est jamais facile ; la tenir en avril relevait d’autant plus du défi qu’elle coïncidait avec le lancement du vaccin antipaludique en Ouganda, visant un nombre record de 1,1 million de bébés et de jeunes enfants à l’échelle nationale.

Mais le soutien de la communauté a été au rendez-vous – et à la mi-mai, les autorités sanitaires ougandaises annonçaient que 92 % de la population éligible avaient été vaccinés au cours de la campagne.

 

The vaccination team moved around with a data recorder (left) to ensure that every person who received the vaccine was accounted for. Credit: Joyce Chimbi
L’équipe de vaccination se déplaçait avec un enregistreur de données (à gauche) afin de s’assurer que chaque personne vaccinée soit bien comptabilisée.
Crédit : Joyce Chimbi

Betty explique que la campagne de vaccination a été soutenue par de nombreuses équipes, qui se sont déployées dans les villages et ont administré les vaccins dans les écoles, les églises, les centres de santé, ainsi que dans des lieux très fréquentés comme les centres-villes.

Melissa Nafuna, enseignante en maternelle dans la ville de Tororo, dans l’est de l’Ouganda, déclare : « Les vaccinations organisées par l’intermédiaire de l’église rencontrent rarement de résistance. Mais surtout, beaucoup d’entre nous connaissent quelqu’un qui est mort du COVID-19, donc les gens accueillent favorablement la vaccination dans la communauté pour se protéger. Il y a une crainte face à ces épidémies et une meilleure compréhension des vaccins depuis la pandémie. »

Alowo précise que seules les femmes enceintes et allaitantes, les personnes atteintes de drépanocytose et celles allergiques aux œufs ont été exclues de la vaccination. Les personnes drépanocytaires sont parfois écartées en raison du manque de données définitives sur l’innocuité et l’efficacité du vaccin dans cette population.

De même, elle explique que des préoccupations médicales existent pour les personnes allergiques aux œufs, car le vaccin contre la fièvre jaune est fabriqué à partir d’embryons de poulet. Il peut donc contenir des traces de protéines d’œuf, susceptibles de provoquer des réactions allergiques chez les personnes concernées. Cela dit, la recherche montre que le vaccin peut être administré en toute sécurité, en une seule dose, chez les enfants ayant une allergie avérée ou suspectée aux œufs.

Renforcer l’immunité collective

Bien que la fièvre jaune soit évitable par la vaccination, les professionnels de santé de la région insistent sur l’impact réel de cette maladie dans leur travail et dans la vie des communautés. Entre janvier 2012 et juillet 2022, l’Ouganda a enregistré 5 437 cas suspects de fièvre jaune, dont 24 cas confirmés. Le pays connaît au moins une flambée épidémique chaque année depuis lors.

Alowo ajoute : « Ce qui nous inquiète particulièrement, c’est que les symptômes de la fièvre jaune peuvent être confondus avec ceux du paludisme, ce qui pourrait entraîner des décès avant qu’un diagnostic correct ne soit posé. »

L’Ouganda est un pays endémique à la fois pour le paludisme et pour la fièvre jaune, deux maladies transmises par les moustiques. Toutes deux provoquent de la fièvre et des symptômes grippaux, ce qui pousse les gens à « se précipiter à l’hôpital au moindre signe de fièvre ou de grippe », explique Alowo – au risque de surcharger le système de santé. Elle recommande une autre approche : « Allons tous nous faire vacciner tant que le vaccin est encore disponible gratuitement dans les centres de santé. Il s’agit de votre santé. C’est une question de vie ou de mort. »

Le vaccin contre la fièvre jaune a été intégré au calendrier de vaccination de routine de l’Ouganda en octobre 2022. En théorie, tous les nourrissons devraient donc le recevoir systématiquement. Dans la majorité des cas, une seule dose confère une protection à vie. Mais la couverture vaccinale nationale reste faible, à seulement 39 %. Des campagnes de vaccination préventives comme celle d’avril ont donc été organisées pour renforcer cette couverture et réduire le risque d’épidémie – des opérations similaires, toutes soutenues par Gavi, ont eu lieu en 2023 et 2024.

This is Al-Khamis Islamic Day primary and nursery school in Uganda’s Malaba border town. Credit: Joyce Chimbi
Voici l’école primaire et maternelle islamique Al-Khamis, située dans la ville frontalière de Malaba, en Ouganda.
Crédit : Joyce Chimbi

Surveillance frontalière

L’Ouganda n’est pas une île, ce qui signifie que le risque d’exposition peut franchir ses frontières – rendant l’immunité individuelle encore plus cruciale. En mars 2022, le Kenya, pays voisin à l’est, où la couverture vaccinale contre la fièvre jaune ne dépasse pas 6 %, a déclaré une épidémie. Le pays a recensé 53 cas et six décès dans le comté touché.

La ville frontalière de Malaba, située entre Tororo (à l’est de l’Ouganda) et Busia (au sud du Kenya), constitue une porte d’entrée stratégique vers l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale.

La frontière est longue et poreuse – un véritable défi pour le système de santé publique. Les autorités du conseil municipal de Malaba, en Ouganda, estiment qu’il existe environ 63 points de passage entre le Kenya et l’Ouganda dans le comté kényan de Busia, dont seulement trois sont officiellement reconnus. Dans le comté voisin de Bungoma, un seul point de passage est officiel, contre au moins 20 traversées non balisées.

Selon les estimations, 22 970 personnes franchissent quotidiennement la frontière entre l’Ouganda et le Kenya. Près de 76 % d’entre elles empruntent des points d’entrée non officiels, circulant sans être repérées. Environ 750 à 1 000 camions traversent également la frontière chaque jour. Pour Asenath Nasiche, infirmière dans le district de Pallisa, dans l’est de l’Ouganda, ce niveau de mobilité exige une surveillance, une prévention et une réponse sanitaires particulièrement rigoureuses.

Progresser malgré les obstacles

Nasiche affirme que, malgré les défis, le système de santé publique progresse dans la lutte contre la fièvre jaune. « La campagne nous a permis de tirer de nouveaux enseignements. Nous surmontons désormais les réticences à la vaccination, ainsi que les mythes et la désinformation, notamment l’idée que la fièvre jaune serait causée par la sorcellerie – en raison du jaunissement de la peau et des yeux », explique-t-elle. « Nos équipes de santé communautaires (Village Health Teams) ont mené un travail d’information constant, et la population est de plus en plus réceptive aux vaccins. Avec le changement climatique qui favorise les épidémies et les déplacements de population qui facilitent la circulation des maladies entre villages et au-delà des frontières, nous devrons renforcer encore davantage notre couverture vaccinale – et c’est ce que nous faisons. »

Depuis le début de l’année 2023 et jusqu’au 25 février 2024, un total de 13 pays de la région africaine de l’OMS ont signalé des cas probables et confirmés de fièvre jaune : le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, la République du Congo, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, la Guinée, le Niger, le Nigéria, le Soudan du Sud, le Togo et l’Ouganda.