Trois innovations Made In Sénégal pour améliorer l'accès à la santé

Soucieux d’améliorer la prise en charge et le suivi médical des patients, des entrepreneurs sénégalais se sont emparés des nouvelles technologies pour les mettre au service de la santé. Exemple de trois initiatives connectées, lancées récemment au Sénégal.

  • 26 octobre 2023
  • 9 min de lecture
  • par Clémence Cluzel
L'application Wergu permet de faciliter l’accès aux médicaments en remédiant au manque d'informations sur les pharmacies.
L'application Wergu permet de faciliter l’accès aux médicaments en remédiant au manque d'informations sur les pharmacies.
 

 

Au Sénégal, les structures de santé font encore défaut en zone rurale mais également en zone péri-urbaine. Manque de médecins, de place dans les hôpitaux, informations parcellaires, plateau technique défaillant… les défis sont nombreux et s’observent même dans la capitale, rendant ainsi difficile la prise en charge des patients. L’utilisation des nouvelles technologies dans le domaine de la santé constitue un apport conséquent pour l’amélioration des systèmes de santé dans le monde, plus particulièrement dans les pays en développement. Focus trois solutions d’E-santé développées par de jeunes sénégalais pour améliorer la prise en charge et le suivi des patients.

Njureel, une plateforme dédiée aux femmes enceintes et aux jeunes filles

C’est suite au décès en couche d’une cousine dont elle était très proche et qui l’a particulièrement marquée, qu’Awa Badara Ndiaye crée la start-up de technologies médicales Njureel (« donner naissance » en wolof). « J’ai fait des recherches et j’ai pris conscience de l’immense problème de prise en charge de la grossesse au Sénégal. J’ai constaté qu’aucune initiative citoyenne n’existait sur la question, je voulais trouver un moyen d’aider les femmes », rapporte la jeune femme diplômée en informatique.

Au Sénégal, de nombreux obstacles persistent dans l’accès aux soins. Le manque de place dans les structures pour accoucher est courant, la faute au déficit de professionnels, à un souci organisationnel mais aussi par défaut de structures sanitaires suffisantes. Nombre de femmes enceintes décédées le sont pour défaut de prise en charge médicale rapide.

Ainsi à l’image de Me Ndiaye qui a dû récemment se rendre dans trois hôpitaux différents avant d’être acceptée pour accoucher, de nombreuses femmes vivent cette même expérience, plus fréquemment encore en zone rurale et péri-urbaine. « Les femmes ne savent pas quand elles doivent se rendre à l’hôpital par manque d’informations, elles n’ont personne à qui se référer. De plus, 53% des femmes enceintes ne font pas de suivi péri-natal. Et même quand elles sont suivies, cela ne leur assure pas une place réservée pour l’accouchement » déplore-t-elle.

Âgée de 25 ans, elle fonde fin 2019 la plateforme Njureel qui s’adresse aux femmes enceintes mais aussi aux jeunes filles à travers des conseils sur la santé reproductive et sexuelle (planification familiale, menstruations, etc.), des thématiques encore taboues. C’est d’abord un service de télécommunication en ligne (nécessitant internet) qui permet de bénéficier d’une consultation virtuelle depuis son domicile. Sur la plateforme, le patient peut choisir le médecin avec qui il souhaite prendre RDV et un espace dossier patient renferme toute ses données médicales. « L’idée est de répondre au manque de personnel et de disponibilité, ce qui améliore la prise en charge et l’assistance », détaille la fondatrice.

Puis pour toucher également les femmes sans accès à internet (70% des femmes en milieu rural), elle lance fin 2020, un service de téléassistance médicale. Ce serveur vocal permet d’échanger avec des professionnels de santé qui peuvent ainsi fournir une première orientation mais également apporter des conseils, le tout de façon confidentielle et sans jugement. La plateforme offre un avis médical mais aussi une assistance psychologique si urgence ou violence.

« Toutes les clés et armes sont devant nous pour permettre de régler nos problèmes et répondre à nos besoins. Nous sommes capables de mettre en place des solutions qui permettent plus d’efficience, notamment dans les zones éloignées. » 

Utilisée par 5 000 utilisateurs, ces outils technologiques s’appuient sur un réseau d’une trentaine de professionnels de la santé et emploient 10 personnes. L’initiative a reçu en 2020 le Grand Prix digital pour l’innovation numérique du Président de la République mais aussi le prix Innovating for mothers at risk in Senegal 2020 notamment, récompenses pour cet engagement à améliorer les services sanitaires, et offre des prises en charge régulières, adaptées et personnalisées aux besoins des femmes.

Wergu, un outil technologique pour faciliter l’accès aux médicaments

Wergu, issu de wergu yarama (la santé en wolof) est une application mobile ainsi qu’un site qui permet de faciliter l’accès aux médicaments. Créé en 2019 par quatre étudiants de l’école polytechnique de Dakar, âgés entre 24 et 27 ans, Wergu a pour objectif de résoudre un problème récurrent : le manque d’informations concernant les pharmacies au Sénégal. 

« Souvent la pharmacie est fermée car on ne connait par les horaires, les médicaments que l’on désire ne sont pas disponibles et enfin il est difficile de trouver une pharmacie de garde un dimanche ou bien en soirée » énumère Cheikh Seck, co-fondateur et architecte cloud de Wergu.

Désireux d’améliorer le partage d’informations et la mobilité des clients, ils travaillent pendant quatre ans sur l’innovation : l’application propose trois pharmacies les plus proches grâce à la géolocalisation mais aussi assure à l’utilisateur de pouvoir y trouver le médicament voulu, son prix (il existe des variation de 25 à 250 Fcfa suivant les pharmacies) ainsi que les horaires d’ouvertures. 

Et dans le cas où les pharmacie proches ne proposent pas le médicament recherché, Wergu soumet un médicament équivalent. « Le but n’est pas de se substituer aux pharmaciens car ce sont eux qui déterminent la posologie des médicaments, bien sûr » insiste Aïta Ndir Dia, manager, qui souligne aussi que l’équipe travaille avec le Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal pour centraliser toutes les informations.

La plateforme est disponible dans tout le pays et couvre environ 80% des pharmacies. « Nous réfléchissons à mettre en place une ordonnance électronique, ce qui permettrait de faire un lien médecin-pharmacien et digitaliserait le processus, donc faciliterait les échanges » avance-t-elle. Actuellement, 1365 utilisateurs font appel au service de Wergu.

Telewer, la télémédecine pour éviter les déserts médicaux

C’est avec l’idée de lutter contre les déserts médicaux que Ben Diop a fondé la start-up Senvitale S&H, une entreprise qui officie dans le domaine de la santé numérique.

« Le premier projet était de créer un passeport santé digital qui regroupe toutes les informations vitales médicales d’une personnes afin de permettre une prise en charge rapide en cas de souci de santé. Groupe sanguin, traitement, allergies etc… accessibles facilement par QR code. Puis pendant le COVID, on a ensuite créé une plateforme qui avec une série de questions permettait de déterminer si la personne avait le virus ou non » restitue Mr Diop.

Suite à ces premières phases test, la plateforme de télémédecine Telewer ("Tele" signifie télé-médecine et "Wer" signifie en bonne santé en wolof) est ensuite lancée en juin 2022 pour « combler le gap de professionnels de la santé dans le pays » précise-t-il. Telewer permet ainsi aux patients de prendre des rdv auprès d’une vingtaine de professionnels (médecins généralistes, cardiologue, cardiologue) afin de consulter à distance et d’avoir une téléexpertise.

En cas de nécessité, une personne intermédiaire, un.e infirmier.e peut également faire le lien médecin-patient en se déplaçant sur place afin de prélever les données médicales à communiquer au médecin. Grâce à la mallette de télémédecine qui fonctionne à l’énergie solaire et a été conçue par la start-up, l’infirmier.e peut ainsi réaliser des électrocardiogrammes, prendre la tension etc. 

« Les patients consultent à distance, reçoivent leur diagnostics et leur ordonnance. Ils ont accès à des soins de santé de qualité et sont pris en charge rapidement. Nous souhaitons apporter des soins de santé accessibles à tous, où qu'ils se trouvent, en connectant les patients à des professionnels de la santé via notre plateforme de télémédecine » appuie Ben Diop.

La télémédecine apparait ainsi comme une réponse. « A Tambacounda, il n’y a pas de cardiologue, il faut faire 200km pour en trouver un. L’infirmière peut servir de relai pour permettre un suivi grâce à la téléconsultation et si besoin le patient se déplacera ensuite. Même à Dakar, cela permet d’éviter des déplacements inutiles et désengorger les structures sanitaires » rapporte le Sénégalais. 

Economie de temps, d’argent et suivi personnalisé. Les patients règlent les consultations via le mobile money et la plateforme a spécialement été pensée pour les personnes analphabètes ou les personnes âgées avec des vidéos explicatives en langues locales pour faciliter la prise en main.

Le CHU de Fan à Dakar travaille déjà avec la start-up qui comptabilise 120 000 utilisateurs présents à Dakar et Saly. Ben Diop compte étendre le maillage sur tout le territoire en créant des antennes locales dans les régions, grâce à une collaboration avec l’entreprise Orange qui doit mettre en place la 5G dans le pays. 

« Les médecins de l’ancienne école étaient assez réfractaires mais la pandémie a joué un rôle et a entrainé une évolution des perceptions. A vrai dire, cela existait déjà dans les zones reculées, mais c’était de manière artisanale. Nous avons la volonté de rendre cela formel et d’améliorer le système » conclut le fondateur.

Telewer a reçu de nombreux prix dont celui du Grand prix du chef de l’état pour l’innovation numérique, a été parmi les trois champions du Sahel organisé par la Banque africaine de développement notamment et est accompagné par des accélérateurs dont Orange.

Les avis des trois start-uppeurs sur le développement des solutions technologiques dans la santé

Awa Badara Ndiaye (Njureel): « Les nouvelles technologies peuvent énormément aider pour renforcer les systèmes existant et résorber le gap notamment en milieu rural. Mais cela génère aussi beaucoup de défis car il est très difficile au Sénégal de développer ces approches notamment à cause de la culture puisqu’il n’y a pas encore acceptation de ces technologies. Il faudra beaucoup de temps pour dissiper cette appréhension, y compris dans le secteur médical. L’Etat doit participer au changement des idées reçues. Reste les barrières liées à l’accès à internet et l’usage des smartphones. Il y a également un manque d’alliance entre l’Etat et les start-up : il n’y a pas assez de partenariats alors que cela est bénéfique sur le terrain ».

Cheikh Seck (Wergu) : « L’intervention de l’intelligence artificielle dans la santé est positive : elle permet de faire de prévoir des pandémies, elle aide aux diagnostics, elle accélère les découvertes sur les médicaments…. Les atouts sont nombreux pour faire avancer la médecine. L’E-santé vient en aide et assiste les praticiens mais pour autant, il faut un contrôle de ces outils car la moindre petite erreur peut aussi faire des ravages ».

Ben Diop : « Toutes les clés et armes sont devant nous pour permettre de régler nos problèmes et répondre à nos besoins. Nous sommes capables de mettre en place des solutions qui permettent plus d’efficience, notamment dans les zones éloignées. Mais il nous faut un encadrement et un soutien de l’Etat pour cette mise à l’échelle. C’est crucial d’avoir un cadre légal et juridique. La question de l’éthique se pose, notamment avec la conservation des données personnelles. » 


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