Ils travaillent en binôme et se déplacent prestement le long du train qui se remplit à mesure qu’il traverse les banlieues très animées de New Delhi. Partant chacun d’une extrémité, ces hommes montent à bord de chaque wagon lestement et contrôlent les passagers au fur et à mesure, jusqu’au moment où ils se rejoignent au milieu du train.
Ils parcourent ainsi tout le train, le temps de quelques arrêts. Ils sont parfois aidés d’un troisième collègue, qui peut se concentrer uniquement sur les Wagons pour femmes où semblent-il, se trouve autant d’hommes que de femmes, contrairement à ce son nom indique.
Bien que portant l’uniforme du personnel de sécurité ferroviaire, ces équipes uniquement composées d’inspecteurs masculins, ne viennent pas contrôler les billets ou trouver les fraudeurs. En fait, ils montent à bord de chaque wagon pour chercher les nouveau-nés et les enfants puis regarder l’ongle de leur main gauche. Lorsqu’ils n’y voient pas de marque indélébile à l’encre violette, ils administrent une dose de vaccin antipoliomyélitique oral – deux gouttes dans la bouche de l’enfant.
Cela peut paraître un peu excessif de vacciner des enfants dans des trains en marche, pourtant c’est grâce à ce mode de pensée novateur que l’Inde a pu modifier son destin. Aucun cas de poliovirus sauvage n’a été recensé depuis presque trois ans. Aujourd’hui l’État du Bihar, autrefois considéré comme un État en situation d’échec, applique ces mêmes principes à d’autres vaccins et obtient des résultats remarquables.
En moins d’une décennie, le Bihar est ainsi passé d’un stade où 18 % de ses enfants seulement recevaient les trois injections du DTC (diphthérie-tétanos-coqueluche) – un taux bien trop faible pour avoir une répercussion significative sur la mortalité – à une couverture vaccinale systématique de plus de 85 % aujourd’hui. Cela se traduit par une synergie étonnante qui permet parallèlement d’améliorer encore la couverture de la polio.
La plus importante des transformations ne vient cependant pas des trains puisqu’il s’agit d’une méthode dangereuse pour la vaccination systématique comme la plupart des vaccins sont injectables. Ici il s’agit d’autres démarches novatrices et plus ciblées.
En s’appuyant sur la méthode du programme national de lutte contre la polio, qui allie microplanification, suivi, mobilisation et analyse des données, des responsables de la santé, de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l’UNICEF, sont parvenus à créer un vaste réseau très efficace. Celui-ci permet de cerner des domaines problématiques ou de nouvelles tendances relatives aux maladies quasiment en temps réel.
La microplanification permet à un réseau de « volontaires » communautaires financés par l’UNICEF, appelés «Associated Social Health Activists », de suivre les habitants de leur communauté et les vaccins qui leur ont été administrés. Parallèlement, ils mettent en œuvre un programme de vaccination adapté aux besoins de chaque zone, que ce soit dans un village sur les plaines inondables du Gange ou dans un dispensaire mobile dans les briqueteries.
Dans le même temps, une autre équipe chargée du suivi procède au contrôle qualité et veille au stock des vaccins, suit les pratiques d’injection sans risque et les enfants qui n’ont pas reçu toutes les doses.
Toutes ces informations sont actualisées de manière scrupuleuse puis envoyées en amont au gouvernement et au personnel de l’OMS, lesquels disposent des ressources nécessaires pour l’analyse de cette vaste quantité de données. Cela contribue à de meilleures pratiques managériales en aval en améliorant la qualité de la microplanification.
C’est un cercle de vaccination vertueux. Il est rendu plus efficace encore par la responsabilisation de chacun des niveaux du système qui ne recule par ailleurs pas face à l’autocritique.
En 2009, après avoir comparé les microprogrammes contre la polio dans l’État du Bihar avec ceux déjà mis en place pour la vaccination systématique, le personnel s’est rendu compte qu’il manquait un quart de la population. En 2012, après une comparaison méticuleuse ligne par ligne, le personnel a ainsi ajouté dans ses listes plus de 50 000 personnes à haut risque dans les microprogrammes de vaccination systématique.
Le résultat a été remarquable ; du fait que le Bihar accueille un nombre élevé de travailleurs migrants difficiles à atteindre, comme nombre d’États indiens mais également du fait d’une vaste population de 103 millions d’habitants et des 2,8 millions de nouveau-nés chaque année, de l’environnement hostile, avec des régions montagneuses inaccessibles au nord et des plaines inondables au sud.
Certains, à l’instar de Budhani Kumari, se déplacent d’un autre État jusqu’au Bihar. Avec ses deux enfants, elle travaille sept mois par an dans l’une des 93 briqueteries « Hunk » du district de Maner, situé à Patna, la capitale de l’État. Chacune loge temporairement près de 200 personnes, dont presque la moitié sont des enfants.
Un travail éreintant, chaque employé fabriquant 500 briques par jour. Sans les dispensaires hebdomadaires de vaccination sur place, Budhani doute de pouvoir trouver du temps pour que ses trois enfants reçoivent toutes leurs doses de vaccins.
Pour Maya Devi et son fils Luvkush, âgé de deux ans et demi, il s’agit plutôt d’un problème d’accès. Celle-ci vit dans le village de Purani Panapur situé sur les îles gorgées d’eau au bord du Gange, où les vieux pontons rouillés et déformés par le poids des véhicules représentent le seul moyen d’accès. Toutefois, au moment de la saison des pluies, même ces pontons flottants ne sont pas suffisamment longs pour rejoindre la terre ferme et le bateau devient alors le seul moyen d’accès, explique-t-elle.
Pour ce qui est de la vaccination, il est difficile d’empêcher des enfants de passer entre les mailles du filet du fait à la fois des migrations humaines et de la difficulté à les atteindre. La vaccination des enfants dans des trains en marche ou l’installation de dispensaires de vaccination sans rendez-vous, ouverts 24 heures sur 24 dans des stations constituent deux exemples de la façon dont on peut atteindre ces cibles en mouvement.
Citons Ishtiaq Ahmed, qui tire un pousse-pousse à Ghaziabad dans la banlieue de Delhi. Sa fille de quatre ans, Alka, a reçu ses vaccins contre la polio dans un train alors qu’elle venait lui rendre visite avec sa mère et son frère.
C’est la vaccination par l’innovation. Si d’autres États suivent l’exemple du Bihar, on peut espérer que les taux de vaccination augmenteront aussi partout en Inde. En plus de permettre au sous-continent de ne plus compter le plus grand nombre d’enfants non vaccinés dans le monde, si l’Inde parvient aussi à élargir la couverture de vaccination contre la polio, elle pourrait bien achever sa mission et éradiquer la polio.
Une bonne nouvelle et le signe que l’Inde a franchi un cap au moment où, avec le soutien de GAVI, le gouvernement s’apprête à lancer le vaccin pentavalent 5-en-1 au niveau national.
Dr Pavana Murthy
NOM : | Dr Pavana Murthy |
PROFESSION : | Responsable de l’équipe régionale – Sud, Projet national de surveillance de la polio, Organisation mondiale de la Santé |
EXPÉRIENCE : | Docteur en médecine, médecin du Conseil d’administration national de la médecine préventive et sociale, il a fait partie du corps enseignant au St Johns Medical College de Bangalore de 1991 à 1997, et a rejoint le Bureau régional de l’OMS (projet national de surveillance de la polio) en 1997. Parmi ses principaux domaines de compétences techniques figurent : paralysie flasque aiguë/surveillance de la rougeole, effets indésirables après vaccination, vaccination systématique et surveillance des maladies à prévention vaccinale. Il possède une vaste expérience dans la gestion de programmes liés à la santé et dans la représentation auprès des gouvernements |
PRINICIPAL DÉFI : | Les plus grands obstacles à la vaccination se situent dans le secteur privé (qualité de la chaîne du froid, de la documentation et des rapports) et dans les zones urbaines, en particulier les bidonvilles et autres zones périphériques, où les services de santé laissent à désirer. Selon lui, les populations migrantes sont insuffisamment vaccinées. Il faut les suivre par un mécanisme de suivi bien planifié |
LIEU : | Tamil Nadu |
POPULATION: | 252,6 millions d’habitants, dont 25,8 millions d’enfants de 0 à 6 ans |
L’engagement ferme du gouvernement, bonne innovation et premier fournisseur de vaccins pour les pays en développement.
Avec une cohorte de naissance de 25 millions, l’Inde enregistre le plus grand nombre d’enfants non vaccinés dans le monde.
En dépit de sa richesse relative, l’Inde reste confrontée à de nombreux obstacles en matière de vaccination. Cependant, ce pays a déjà accompli d’immenses progrès vers l’éradication de la polio par la mise en place de méthodes innovantes comme la vaccination des enfants dans des trains en marche de manière à cibler les familles migrantes. Aucun cas de poliovirus sauvage n’a été recensé dans ce pays depuis janvier 2011. Aujoud’hui l’État de Bihar, où l’on trouve un nombre élevé de migrants ou de populations marginalisées, a étendu cette innovation à la vaccination systématique et trouve des solutions adaptées à chaque situation présentant un risque élevé. L’État de Bihar a ainsi été en mesure d’accroître sa couverture de vaccination systématique : alors que celle-ci atteignait 18 % il y a moins de dix ans, 85 % des enfants y sont vaccinés aujourd’hui.
L’engagement ferme du gouvernement, bonne innovation et premier fournisseur de vaccins pour les pays en développement.
Avec une cohorte de naissance de 25 millions, l’Inde enregistre le plus grand nombre d’enfants non vaccinés dans le monde.
En dépit de sa richesse relative, l’Inde reste confrontée à de nombreux obstacles en matière de vaccination. Cependant, ce pays a déjà accompli d’immenses progrès vers l’éradication de la polio par la mise en place de méthodes innovantes comme la vaccination des enfants dans des trains en marche de manière à cibler les familles migrantes. Aucun cas de poliovirus sauvage n’a été recensé dans ce pays depuis janvier 2011. Aujoud’hui l’État de Bihar, où l’on trouve un nombre élevé de migrants ou de populations marginalisées, a étendu cette innovation à la vaccination systématique et trouve des solutions adaptées à chaque situation présentant un risque élevé. L’État de Bihar a ainsi été en mesure d’accroître sa couverture de vaccination systématique : alors que celle-ci atteignait 18 % il y a moins de dix ans, 85 % des enfants y sont vaccinés aujourd’hui.
Dr Pavana Murthy, Responsable de l’équipe régionale – Sud, Projet national de surveillance de la polio, Organisation mondiale de la Santé Inde
Au Tamil Nadu, la couverture de la vaccination systématique a récemment augmenté pour atteindre 92 %, et le gaspillage de vaccins est passé de 23 % à 8 % dans le même temps. Le Dr Pavana Murthy parle de deux projets régionaux qui ont rendu possibles ces améliorations.
Dr Pavana Murthy: Ces améliorations résultent d’une gestion efficace au niveau de l’État et d’un système de soins de santé public robuste et fonctionnel à l’intérieur de l’État. Deux programmes financés par l’État, notamment le programme informatisé « Évaluation du suivi de la cohorte de naissance et des grossesses » (ESNG) et le programme « Allocations maternité Muthulaksmi Reddy » (AMMR), aident financièrement les mères. Ces programmes favorisent un meilleur enregistrement prénatal, des accouchements sans risques en plus de contribuer à améliorer la couverture vaccinale
Dr Pavana Murthy: Le programme informatisé « Évaluation du suivi de la cohorte de naissance et des grossesses » (ESNG) a été lancé dans l’État de Tamil Nadu en avril 2008. En vertu de ce programme, toutes les femmes enceintes sont enregistrées, puis suivies tout au long de la grossesse et au-delà.
Les cohortes de naissance sont suivies jusqu’à l’âge de 1 an, sur le plan de la vaccination notamment. Toutes les femmes enceintes en dessous du seuil de pauvreté peuvent bénéficier d’une aide financière dans le cadre du programme « Allocations maternité Muthulaksmi Reddy ». Ces programmes d’aide du gouvernement ciblent les plus vulnérables qui sont susceptibles de passer à côté des vaccinations. La couverture des groupes à haut risque est ainsi garantie à l’intérieur de l’État.
Dr Pavana Murthy: À l’heure actuelle, les mères bénéficiaires de ce programme reçoivent trois versements d’un montant égal de 4 000 INR (64 US$ environ). Le premier est versé au cours de la déclaration de la grossesse et des examens prénataux. Le deuxième après la naissance du nouveau-né, à condition que l’accouchement ait eu lieu dans un établissement de soins primaires, secondaires ou public. Le troisième et dernier après l’administration de la troisième dose de vaccin pentavalent au nouveau-né.
Dr Pavana Murthy: Ces deux programmes, l’ESNG et l’AMMR, autonomisent les femmes et apportent une aide financière, en particulier aux familles vulnérables en bas de l’échelle socio-économique, aussi bien pendant la grossesse qu’après la naissance de l’enfant.
De plus, les femmes en dessous du seuil de pauvreté sont ainsi encouragées à accoucher dans des établissements de santé publics, ce qui est plus sûr pour elles mais garantit aussi que le nouveau-né recevra tous les vaccins. Étant donné que ce programme s’applique aux deux premiers enfants, il favorise une famille peu nombreuse comme norme au sein de l’État.
Dr Pavana Murthy: Oui, toutes les aides financières sont attribuées par un système électronique et versées directement sur les comptes en banque de chacun. L’ESNG permet également de garantir le suivi objectif de la couverture vaccinale au niveau de l’État, du district et du sous-district et de ne pas se fier uniquement aux rapports des agents de santé. D’où une amélioration du suivi.
Dr Pavana Murthy: L’État de Tamil Nadu met en œuvre une politique relative aux flacons ouverts depuis 2011. Celle-ci concernait d’abord les vaccins pentavalents, mais d’autres sont venus s’y ajouter depuis mai 2012 conformément aux instructions du Gouvernement indien. L’ESNG établit des listes d’enfants à vacciner afin que les agents de santé puissent planifier les séances de vaccination de manière efficace.
Il existe un système efficace de gestion de la chaîne du froid au niveau de l’État, du district et des centres de soins de santé primaires. Il existe également un système efficace de double contrôle pour tous les vaccins, notamment ceux rapportés après les séances de vaccination. Les flacons utilisés en partie sont stockés séparément avec une étiquette mentionnant le nom de l’agent chargé de la vaccination.
Ce même agent réutilisera ensuite ces vaccins et veillera à planifier ses visites en prenant le nombre de doses nécessaires en fonction du nombre d’enfants inscrits sur la liste. Ainsi les flacons utilisés en partie sont réutilisés avant leur date de péremption, d’où la diminution du risque de gaspillage de vaccins dans tout l’État.