Au Kenya, enregistrer les bébés pour suivre les vaccinations

Le Kenya teste, en partenariat avec plusieurs entités japonaises, un système d’enregistrement et de traçage numérique des vaccinations. Premier pas d’un projet plus global de suivi des patients, la plateforme doit surmonter des obstacles comme le scepticisme de la population et les difficultés d’alimentation en électricité.

  • 27 octobre 2023
  • 5 min de lecture
  • par Claudia Lacave
Ismail Mugandi Zani, l'officier du KEMRI, enregistre les informations civiles de la mère de Joshua. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
Ismail Mugandi Zani, l'officier du KEMRI, enregistre les informations civiles de la mère de Joshua. Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas
 

 

Joshua, petit bout d’humain vieux de quelques heures seulement, dort dans sa couverture bleue pendant qu’un homme appuie fermement ses doigts minuscules sur un capteur. Dans la salle de soins infirmiers qu’un ventilateur de plafond essaye tant bien que mal de refroidir en cette matinée brûlante, le bébé se voit prélever ses informations biométriques une dernière fois avant qu’il ne rentre chez lui. L’hôpital public de Diani, où Joshua est né dimanche 8 octobre, est le dernier établissement en liste du Kenya à tester depuis avril un nouveau système de gestion numérique des vaccinations. Le projet a commencé en 2019 dans le comté de Kwale, sur la côte de l’océan Indien, et inclut à ce jour trois centres de santé et plus de 4300 bébés enregistrés.

« Je veux que quiconque qui aille à l’hôpital avec seulement ses empreintes digitales ou son visage puisse retrouver ses antécédents cliniques. Cela implique une base de données commune entre tous les hôpitaux publics ».

Une fiche numérique est créée pour chaque enfant ; elle contient les informations civiles de la mère ou du gardien et 30 secondes d’enregistrement de sa voix, une identification faciale du parent et de la progéniture ainsi que les empreintes digitales encore en formation du nouveau-né. « Je veux que quiconque qui aille à l’hôpital avec seulement ses empreintes digitales ou son visage puisse retrouver ses antécédents cliniques. Cela implique une base de données commune entre tous les hôpitaux publics », envisage le docteur Samson Muuo Nzou, à l’origine du projet. Le but est d’augmenter le nombre d’enfants couverts par la dizaine de vaccins du Programme élargi de vaccination du Kenya (KEPI) et donc automatiquement de réduire la mortalité infantile qui touche dans le pays 41 individus de moins de cinq ans sur 1000 (2022). Au niveau mondial, plus de 5 millions d’enfants de cette tranche d’âge sont décédés en 2021, et beaucoup de ces décès sont considérés comme évitables.

Introduire une nouvelle technologie

Après la naissance, les employés de l’Institut de recherche médicale (KEMRI) qui encadre le projet, viennent l’expliquer aux mères et obtenir leur consentement éclairé. « Nous avons quelques difficultés à les persuader, elles ne sont pas convaincues par le changement. Lorsque nous prenons des photos et prélevons les empreintes digitales, elles se demandent s’il y a un lien avec le vote électoral », confie Rukia Hassan Ali, la responsable terrain de KEMRI. Dans la société patriarcale kenyane, un autre défi se dresse sur le chemin : obtenir le consentement du mari, car les femmes n’ont souvent pas voix au chapitre. Mais en discutant par téléphone avec le père, en obtenant le soutien du directeur de l’hôpital et grâce au formulaire de consentement, l’équipe parvient à déterminer les parents.

Les empreintes de doigts minuscules de Joshua sont enregistrées.
Crédit: Claudia Lacave / Hans Lucas

Seulement deux heures après l’accouchement, les mères sont enregistrées et les premières empreintes du bébé récoltées. Un défi technologique car à cet âge, la peau tendre rend l’analyse difficile. C’est l’entreprise japonaise NEC qui a développé le gadget spécifique dont le capteur a encore été mis à jour au printemps 2023. Les tests pratiques que mène actuellement le KEMRI ont été financés par le gouvernement japonais à travers une de ses universités. Le dénominateur commun ? Le docteur Muuo, et son inspiration d’une société à la santé connectée. Employé de KEMRI mais déjà auparavant professeur associé invité de l'université de Nagasaki, il a fait son doctorat au Japon et y poursuit depuis des recherches sur les maladies tropicales et infectieuses.

Pour aller plus loin

Il explique : « Nous sommes entrés en contact avec NEC parce qu’ils étaient en train de mettre en place un système au moment même où je m’intéressais à l’environnement très contrôlé de la santé maternelle. Le plus grand défi était l’absence d’un outil pour saisir les empreintes deux heures après la naissance. » Le partenariat entre institutions publique, privée et universitaire a permis au projet de voir le jour. Mais jusqu’à la mise en vente du gadget, d’ici la fin de l’année, les financements ont été limités par l’entreprise japonaise et le docteur kenyan espère bien obtenir d’autres bourses par la suite. Une étude nord-américaine a rapporté que sur 160 programmes biométriques dans le monde, l’âge le plus bas pour une reconnaissance précise n’était que de trois mois.

Loin du compte

Alors qu’une telle base de données pourrait s’avérer précieuse contre les retards de vaccination et pour mieux identifier les maladies chroniques, pour l’instant, le projet représente uniquement un niveau administratif de plus. « Nous ne pouvons pas compter sur les machines, nous avons affaire aux coupures de courant. Il n’y a pas de générateur dans cet hôpital », révèle Rukia Hassan Ali. Alors, un officier de KEMRI retranscrit toutes les informations civiles sur des feuilles de papier. C’est également lui qui, après notification du logiciel de traçage, appelle individuellement les mères pour s’assurer qu’elles vaccinent leurs enfants en temps et en heure. Elles doivent passer par la salle de soins infirmiers pour faire enregistrer l’injection et relever une nouvelle fois les empreintes de leur progéniture mais ce matin d’octobre, les deux patientes programmées ont échappé au contrôle. L’officier doit donc vérifier manuellement la nature des soins auprès de l’équipe médicale et les inscrire numériquement.

Même si le Dr. Muuo travaille sur des alertes SMS automatisées et sur une version hors-ligne du logiciel, pour les zones éloignées du réseau, cela prendra encore du temps et de nombreux essais. Le chercheur explique : « Nous devons maintenant sortir du comté et tester différents contextes. Il y a des régions qui posent de réels défis comme celles nomades, où les communautés ne restent pas au même endroit. J’aimerais régler tous ces problèmes avant d’affirmer que le système est solide et le proposer au gouvernement. » À terme, il souhaiterait mettre en place une structure de suivi de la naissance à la mort, liée aux statistiques de l'état civil et aux carnets de vaccination digitalisés, une sorte de guichet unique pour les informations cliniques de santé.


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