Le choléra, une maladie amplifiée par le changement climatique au Ghana

Au Ghana, une épidémie de choléra frappe les quartiers défavorisés, où les conditions sanitaires sont précaires. Exacerbé par le changement climatique, ce fléau pousse le gouvernement à revoir ses stratégies de prévention.

  • 11 février 2025
  • 6 min de lecture
  • par Claudia Lacave
Le siège de la division de santé publique des Ghana Health Services, à Accra, joue un rôle clé dans la lutte contre l’épidémie de choléra qui touche le pays. Crédit : Claudia Lacave/Hans Lucas
Le siège de la division de santé publique des Ghana Health Services, à Accra, joue un rôle clé dans la lutte contre l’épidémie de choléra qui touche le pays. Crédit : Claudia Lacave/Hans Lucas
 

 

Diarrhées, vomissements et, dans certains cas, effondrement brutal de la pression artérielle menant à la mort : la vague de choléra qui s’abat sur le Ghana depuis l’année dernière a touché 4 850 personnes et fait 40 victimes, dont les trois dernières entre le 26 décembre et le 10 janvier 2025. 

Bien que le choléra se transmette principalement d’un humain à un autre, des facteurs liés au climat, tels que les événements météorologiques extrêmes et la pénurie d’eau, peuvent aggraver les conditions favorisant les épidémies. Des chercheurs de l’Université du Ghana, dont Bob Offei Manteaw, étudient ces liens potentiels. 

« Ce n’est que récemment que le lien entre le changement climatique et la santé est devenu une question politique et concrète importante, car peu de personnes comprennent l’impact, même dans le monde médical », explique-t-il.

« La plupart des plaintes pour des maladies liées à l’eau provenaient de femmes. Elles restent à la maison donc elles ont beaucoup d'interactions avec l'eau et sont plus souvent et plus intensément infectées que les hommes qui vont travailler dans d’autres quartiers »

– Bob Offei Manteaw, chercheur

L’épidémie a d’abord commencé fin août à l’est de la capitale, dans la commune d’Ada, avant de se propager à d’autres secteurs d’Accra en octobre et d’atteindre les régions du centre et de l’ouest. La bactérie a été amenée par des pêcheurs venus de plus loin sur la côte. Le Dr Franklin Asiedu-Bekoe, directeur de la santé publique aux Services nationaux (GHS), détaille : « Un des défis auquel on a fait face est la coïncidence du pic de l’épidémie avec le pic de la campagne électorale [pour le scrutin du 7 décembre]. Le message avait du mal à atteindre la population. » Depuis, la bactérie a touché cinq régions, et plus fortement celle de l’Ouest, mais les cas ralentissent, notamment après l’opération de vaccination massive. 

Entre le 30 novembre 2024 et la fin janvier 2025, 1,17 million de doses du vaccin oral contre le choléra ont été approuvées et expédiées au Ghana par le Groupe international de coordination pour l’approvisionnement en vaccins (GIC), financé par Gavi et comprenant l’OMS, l’UNICEF, Médecins Sans frontières (MSF) et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) parmi ses organisations membres. Ces vaccins étaient accompagnés de financements destinés à soutenir des campagnes préventives de masse pour toutes les personnes de plus d’un an dans les zones touchées.

Quand le changement climatique s’en mêle

Bien que l’épidémie au Ghana ait été introduite par des pêcheurs et se soit propagée par transmission interhumaine, des chercheurs alertent sur le fait que les événements météorologiques extrêmes liés au changement climatique — tels que les inondations, les vagues de chaleur et les sécheresses prolongées — pourraient aggraver les conditions favorisant la propagation du choléra dans les communautés vulnérables. 

Pour contrôler le choléra, les conditions de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH) sont primordiales. Le gouvernement ghanéen a mis sur pied plusieurs équipes de coordination et de réponse d’urgence ainsi que des campagnes d’éducation populaire axées sur les pratiques d’hygiène et des évaluations de l’accès à l’eau et de l’état d’assainissement des zones touchées. 

L’administration de la région de l’Ouest a été jusqu’à interdire, le 10 décembre, la vente de légumes dans les stands de rue après avoir découvert qu’ils étaient liés à 96 % des infections du secteur et que la majorité des cas se concentraient dans les villes de Sekondi-Takoradi et Effia Kwesimintsim. 

Selon Bob Offei Manteaw, les quartiers informels des villes sont particulièrement fragiles en matière de santé : « Nous nous sommes concentrés sur les zones urbaines car elles accueillent beaucoup de population et, dans certains cas, celle-ci y est mal logée et a une mauvaise qualité de vie. »

La School of Public Health de l’Université du Ghana, à Accra, où des chercheurs analysent l’impact du changement climatique sur la santé publique, notamment l’amplification des épidémies comme le choléra.
Crédit : Claudia Lacave/Hans Lucas

L’étude, publiée dans The Lancet Regional Health – Africa, qu’il a menée avec deux autres chercheurs de l’Université du Ghana entre février et mars 2020, analyse la fréquence et l’impact sanitaire des périodes de températures élevées, de pluies torrentielles et de sécheresses dans les quartiers d’Agbogbloshie, d’Old Fadama et de Madina Redco.

Environ 19 % des habitants ont indiqué vivre des épisodes d’inondations fréquentes, la congestion des bidonvilles les rendant désastreuses, et ils font aussi face aux sécheresses, au piégeage de la chaleur, aux pénuries d’eau et à la détérioration de la qualité de l’air. L’augmentation de l'humidité ou de la température influence l’incidence du paludisme, des diarrhées et du choléra, entre autres, car les variations extrêmes de température agissent sur la reproduction et le temps d’incubation des pathogènes. 

Au cours des deux années précédant l’étude, 70 % des interrogés ont été diagnostiqués avec une de ces maladies infectieuses, mais elles ne touchent pas les deux genres de manière égale. « La plupart des plaintes pour des maladies liées à l’eau provenaient de femmes. Elles restent à la maison donc elles ont beaucoup d'interactions avec l'eau et sont plus souvent et plus intensément infectées que les hommes qui vont travailler dans d’autres quartiers », retrace le chercheur. 

« En raison du rôle des femmes dans l’approvisionnement en eau du foyer ainsi que de leurs responsabilités domestiques et de soins », souligne l’étude, « elles peuvent être particulièrement exposées aux maladies liées à l’eau, notamment les diarrhées et le choléra, dans les quartiers précaires urbains, les femmes enceintes et les enfants étant les plus vulnérables. » 

L’étude met en évidence le lien étroit entre le changement climatique, la santé et l’urbanisation, démontrant que les communautés vulnérables sont touchées de manière disproportionnée lorsque les aléas environnementaux liés au climat se conjuguent à des infrastructures inadéquates.

Lente évolution des conditions sanitaires

Il n’a pas nécessité d’inondations cette fois-ci pour que le choléra se déclenche à Accra. Le Dr Franklin Asiedu-Bekoe indique : « Une fois que la bactérie est introduite dans un environnement, la population est susceptible d’être infectée. Dans l’est d’Ada, il y a des défis avec l’eau et les conditions sanitaires, de la défécation à ciel ouvert, pas tout le monde n’a accès à des toilettes. » 

En réponse à l’épidémie, le gouvernement a approvisionné les citernes d’eau du quartier, mais le chemin reste encore long pour le pays du golfe de Guinée. Ce sont 88 % de la population qui avaient accès à des sources d’eau basiques en 2022, supérieur à la moyenne de 65 % de l’Afrique sub-saharienne, mais seulement 29 % avaient accès à des toilettes sûres basiques, une faible amélioration par rapport aux 20 % atteints en 2015.

Le taux de défécation à ciel ouvert s’est très peu amélioré ces dernières années, passant de 18 % à 17 % entre 2015 et 2022 d’après les données du Programme commun OMS/UNICEF (JMP), et ce n’est pas une surprise puisque les dépenses WASH de l’État entre 2013 et 2019 se sont concentrées à 69 % sur l’approvisionnement en eau, à 29 % sur l’assainissement et à 1 % à l’hygiène, d’après la coalition d’ONG CONIWAS. 

Le gouvernement a été critiqué pour laisser l’amélioration du secteur à la charge des organisations de donateurs internationaux et du secteur privé. Mais une réforme du système au niveau des campagnes et des petites villes est en cours, avec comme objectif l’accès à des services d'eau et d'assainissement de base pour tous d’ici 2023, et pour Bob Offei Manteaw, le gouvernement prend en compte les enjeux du changement climatique. « Ils deviennent conscients du besoin de renforcer la résilience. C’est pourquoi, dans le plan national d’adaptation, il y a un volet sur le changement climatique et la santé. » 

Plusieurs études ont été faites, notamment une évaluation des points de vulnérabilité entre l’environnement et la santé, et le pays en est maintenant à l’application, grâce à un document de programmation qui sera publié d’ici la mi-2025.


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