Au Cameroun, le Grand Rattrapage est un effort à sans cesse renouveler

Au Cameroun, des dizaines de milliers d’enfants n’ont pas reçu leurs vaccins de base depuis la pandémie de COVID-19. Pour combler les lacunes, le pays a lancé le « Grand Rattrapage », une série d’opérations successives visant à rattraper les retards aggravés par la pandémie. Après quatre phases, 120 000 enfants zéro dose ont déjà été atteints. Mais l’expérience montre qu’il faut relancer l’effort encore et encore.

  • 18 septembre 2025
  • 5 min de lecture
  • par Nalova Akua
Dans le sud-ouest du Cameroun, à Akwaya, des mères patientent avec leurs enfants pour les faire vacciner dans le cadre du Grand Rattrapage, du 31 juillet au 4 août 2025. Crédit : Pamela Oben
Dans le sud-ouest du Cameroun, à Akwaya, des mères patientent avec leurs enfants pour les faire vacciner dans le cadre du Grand Rattrapage, du 31 juillet au 4 août 2025. Crédit : Pamela Oben
 

Une visite inattendue

Assiatou Arabo, une femme au foyer de 30 ans vivant dans le district de Gazawa, dans la région de l’Extrême-Nord, était occupée à ses tâches ménagères en fin de matinée du 31 juillet lorsqu’elle a reçu une visite inattendue : des vaccinateurs mobiles. Elle avait prévu d’emmener son fils de neuf mois, Aboubakar Siddiki Abdouramane, dans un centre de santé voisin pour une vaccination de routine, mais n’avait pas encore trouvé le temps de le faire.

« Mon enfant a été vacciné contre la rougeole, la polio et le paludisme. Je suis très heureuse car je sais qu’il est désormais protégé », confie-t-elle. « Mes trois enfants sont maintenant à jour de leurs vaccins. L’an dernier, ils ont souffert de crises de paludisme. Je sais que la polio peut paralyser un enfant, c’est pourquoi j’essaie de les faire vacciner à tout prix. »

À quelques kilomètres de là, Seinatou Yaya, commerçante et mère de trois enfants, n’a pas attendu la venue des équipes. Elle s’est rendue elle-même à l’hôpital avec sa fille de 15 mois, Zouweiryatou, pour une vaccination. « La rougeole est mortelle. Mes enfants en ont souffert il y a huit ans et le traitement a coûté une fortune », explique-t-elle. « Aujourd’hui, je suis rassurée de savoir que ma fille est protégée. »

Leurs enfants font partie des centaines de milliers visés par la quatrième phase du Grand Rattrapage, organisée du 31 juillet au 4 août 2025 dans 63 districts sanitaires des dix régions du Cameroun.

Pourquoi un “Grand Rattrapage” ?

Comme de nombreux pays, le Cameroun a vu sa couverture vaccinale chuter brutalement avec la pandémie de COVID-19. Selon les dernières estimations WUENIC en 2024, le pays décompte 168 226 enfants zéro dose. Pour atteindre ces enfants manqués, le pays a lancé en 2023 le Grand Rattrapage, une initiative mondiale soutenue par Gavi et ses partenaires.

« Il ne s’agit pas d’une campagne ponctuelle, mais d’une stratégie », insiste le Dr Tchokfe Shalom Ndoula, secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV). « Les enfants sont rattrapés lors de la vaccination de routine, pendant les campagnes contre la polio ou encore lors des périodes d’intensification de la vaccination systématique. L’idée est de trouver et vacciner chaque enfant, quel que soit le contexte. »

Les défis de l’insécurité et de la logistique

Dans les villages reculés, les équipes de vaccination parcourent de longues distances, parfois en pirogue, pour atteindre les communautés. Dans les villes, elles collaborent avec des cliniques privées afin de réduire le nombre d’enfants laissés de côté. Pour les populations nomades, la vaccination est proposée en parallèle de celle des animaux.

À Akwaya, dans le Sud-Ouest du Cameroun, une équipe de vaccination parcourt les voies fluviales en pirogue afin de vacciner les enfants lors de la campagne de rattrapage du 31 juillet au 4 août 2025.
Crédit : Pamela Oben

Dans le Sud-Ouest, région en proie à l’insécurité, la coordinatrice du PEV, la Dre Oben Pamela epse Besong, souligne l’importance de ces approches différenciées. « Quatre campagnes de rattrapage ont été organisées dans quinze districts depuis septembre 2024, avec plus de 21 000 enfants zéro dose et 13 000 sous-vaccinés vaccinés », détaille-t-elle. Les campagnes ont aussi permis d’administrer le vaccin contre le VPH et d’améliorer la couverture contre le paludisme dans les districts concernés.

Les méthodes varient mais l’esprit reste le même : aller vers les familles. « Chaque fois que nous rencontrons un enfant zéro dose, nous le vaccinons immédiatement », explique le Dr Shalom.

Mais la tâche reste ardue. Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, marquées par un conflit depuis 2016, vacciner reste périlleux. Des équipes ont été menacées, kidnappées, parfois même tuées. « L’insécurité demeure un défi majeur », reconnaît la Dre Oben. « Nous analysons la situation avant et pendant chaque intervention, en lien avec les autorités locales, pour accéder aux communautés. »

À ces risques s’ajoutent les difficultés logistiques : routes impraticables, coût élevé du transport, mauvaise connectivité Internet, manque d’électricité et de personnel. Dans certains districts, les agents de santé avancent encore à vélo ou dépendent de barques motorisées pour rejoindre les villages.

Des progrès, mais fragiles

Depuis le lancement en 2023, près de 120 000 enfants zéro dose ont déjà reçu leurs vaccins, soit presque la moitié de l’objectif fixé pour 2025. La quatrième phase, organisée du 31 juillet au 4 août 2025 dans 63 districts sanitaires, a contribué à renforcer cette dynamique.

Mais les autorités le reconnaissent : rattraper un enfant zéro dose est « dix fois plus compliqué » que vacciner un nouveau-né. Les mêmes obstacles reviennent sans cesse : méfiance de certains parents, rumeurs persistantes, coût, insécurité et contraintes logistiques. « Les épidémies vont continuer tant que nous n’aurons pas atteint la couverture nécessaire pour les stopper », explique le Dr Shalom. Rien qu’en 2025, 48 districts ont déjà signalé des flambées de rougeole, ainsi que des cas de polio et de fièvre jaune. Chaque intervention devient alors une double opportunité : répondre à l’épidémie et vacciner les enfants laissés de côté.

Le Grand Rattrapage n’est pas une opération isolée : c’est une course de fond. Depuis le lancement en 2023, le Cameroun a déjà organisé quatre campagnes successives. Chacune permet de réduire l’écart, mais aucune ne suffit à combler à elle seule le retard accumulé.

C’est pourquoi les autorités insistent sur la nécessité de répéter l’effort, de l’adapter sans cesse et de garantir un financement durable. Comme le résume le Dr Michel Oni Djagnikpo, ancien secrétaire général de l’Ordre national des médecins : « Nous devons tout faire pour que chaque enfant, dans sa localité, puisse être atteint par la vaccination. »