Lutte contre l’hépatite B : le Cameroun choisit d’intervenir dès la naissance
Jusqu’à présent, la première dose du vaccin contre l’hépatite B n’était administrée qu’à six semaines de vie, car elle était combinée à d’autres vaccins qui ne pouvaient pas être donnés à la naissance. Ce calendrier retardait l’accès à la protection, exposant ainsi les nouveau-nés à un risque élevé d’infection péri- ou postnatale.
- 1 avril 2025
- 8 min de lecture
- par Nalova Akua

Bernice Tekop, femme au foyer à Yaoundé, la capitale politique du Cameroun, formule toujours la même prière avant d’accoucher : ne pas transmettre à son bébé l’hépatite virale B. Le 28 mars 2024, à la naissance de son deuxième fils, Raphaël Wancha, ses craintes ont toutefois laissé place à un profond soulagement. Raphaël a reçu le vaccin contre l’hépatite B peu après sa naissance.
« J’étais très heureuse », se souvient Tekop, 24 ans. « Heureuse, car je savais que mon enfant était désormais protégé contre la maladie dont je souffre », a-t-elle confié à VaccinesWork lors d’un entretien téléphonique.
Comme Tekop, Juliette Wenji, 22 ans, a ressenti une immense joie en voyant les médecins administrer le vaccin contre l’hépatite B à son fils, né le 27 septembre 2024. Diagnostiquée elle aussi porteuse de l’hépatite virale B, elle s’est engagée à faire vacciner tous ses futurs enfants.
« Je suis heureuse que mon premier enfant soit désormais protégé contre l’hépatite B », déclare cette coiffeuse de Yaoundé. « Je sais que l’hépatite B est incurable. Moi-même, je ressens souvent de vives douleurs au ventre. Parfois, mon corps est très affaibli », témoigne-t-elle.
Mais Wenji et Tekop ont eu de la chance. Dans un pays où un tiers des accouchements ont lieu à domicile, toutes les mères diagnostiquées ne peuvent pas faire vacciner leur nouveau-né à temps.
Le Cameroun, pays de 27 millions d’habitants, fait partie des pays à forte endémicité de l’hépatite virale. Environ 11,2 % de la population générale est atteinte par l’hépatite B[...]. L’hépatite C touche 1,3 % de la population, tandis que 10,5 % des personnes infectées par l’hépatite B sont également porteuses du virus de l’hépatite D.
Cette réalité pourrait néanmoins évoluer. Le ministre camerounais de la Santé publique a annoncé que le vaccin contre l’hépatite B est désormais disponible à la naissance pour les enfants nés de mères infectées.
Dans un communiqué publié le 20 février, le Dr Malachie Manaouda a déclaré que cette dose de naissance serait administrée gratuitement dans les 24 heures suivant l’accouchement, dans les établissements de santé offrant des services de vaccination et d’accouchement. Cette initiative s’inscrit dans la stratégie intégrée du gouvernement visant à éliminer la transmission mère-enfant du VIH, de la syphilis et de l’hépatite virale.
Le vaccin contre l’hépatite B n’est cependant pas nouveau au Cameroun. Introduit en 2005 dans le programme élargi de vaccination via le vaccin pentavalent — administré à partir de six semaines et soutenu par Gavi — le vaccin contre l’hépatite B n’était jusqu’ici pas donné à la naissance, en raison de sa combinaison avec d’autres antigènes.
La nouvelle dose néonatale, elle, est entièrement financée par le gouvernement camerounais. Destinée aux nouveau-nés de mères infectées, son introduction marque un engagement national fort dans la prévention de la transmission périnatale.
Ce décalage dans l’accès à la protection exposait les nourrissons à une infection précoce.
« L’initiative du gouvernement d’administrer une dose à la naissance répond à une préoccupation majeure : réduire de manière significative la prévalence de l’infection chez les femmes enceintes — estimée à 28 % — et le risque élevé de transmission mère-enfant », a déclaré le Dr Manaouda.
« Cette intervention prépare le terrain à une vaccination systématique à la naissance pour tous les enfants nés au Cameroun, qu’ils soient exposés ou non. Une avancée significative vers l’élimination de la maladie à l’échelle nationale. »
Forte endémicité de l’hépatite B
Le Cameroun, pays de 27 millions d’habitants, fait partie des pays à forte endémicité de l’hépatite virale. Environ 11,2 % de la population générale est atteinte par l’hépatite B, avec de fortes disparités régionales — la prévalence atteint 17,7 % dans l’Extrême-Nord. L’hépatite C touche 1,3 % de la population, tandis que 10,5 % des personnes infectées par l’hépatite B sont également porteuses du virus de l’hépatite D.
En 2023, plus de 12 000 nouveaux cas d’hépatite B et près de 3 800 cas d’hépatite C ont été recensés, soulignant l’impact majeur de ces maladies sur la santé publique. Le ministre de la Santé attribue ce taux élevé de prévalence à l’ignorance et aux comportements à risque. Les groupes les plus vulnérables comprennent notamment les professionnels de santé (près de 13 %), les personnes non vaccinées, les usagers de drogues injectables et celles ayant reçu des produits sanguins avant 1990.
Le plan stratégique national prévoit d’intégrer la lutte contre les hépatites aux autres programmes de santé publique et de renforcer l’accès universel à la prévention et aux traitements. L’objectif est que 90 % des personnes atteintes connaissent leur statut sérologique, que 90 % de celles dépistées reçoivent un traitement, et de réduire de 65 % la mortalité liée aux hépatites.

Crédit : PEV Cameroun
La priorité est de prévenir les infections chez les nouveau-nés et d’étendre l’accès aux traitements pour les patients déjà infectés. À ce jour, 19 centres de traitement agréés et deux centres de dispensation sont opérationnels dans tout le pays, renforçant la proximité et la disponibilité des soins.
Des algorithmes de prise en charge ont été élaborés, et les patients bénéficient de subventions sur les médicaments prescrits dans le cadre des protocoles nationaux. Ces subventions ont permis de réduire de 82 % le coût global des traitements contre l’hépatite C, et de 60 % pour ceux contre l’hépatite B.
Extension imminente de la vaccination à tous les nouveau-nés
Le Dr Tchokfe Shalom Ndoula, secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV), a annoncé que la vaccination contre l’hépatite B à la naissance sera prochainement étendue à tous les nouveau-nés, indépendamment du statut sérologique de leurs parents.
« Nous préparons cette introduction universelle depuis le début de l’année et espérons la finaliser d’ici la fin de l’année, pour une mise en œuvre effective en 2026 », précise le Dr Ndoula.
Depuis l’introduction du vaccin contre l’hépatite B en 2005, la prévalence de la maladie chez les enfants est tombée à moins de 1 %, contre environ 11 % dans la population générale.
Pour aller plus loin
« Mais ce 1 % résiduel, probablement lié à une transmission périnatale, a de fortes chances d’évoluer vers des complications », alerte-t-il.
« Avec la dose administrée à la naissance, nous espérons atteindre une prévalence de 0,1 % — ce qui correspondrait à l’élimination de la maladie. »
Ce changement comporte toutefois des défis opérationnels, notamment celui d’administrer la dose vaccinale dans les 24 premières heures de vie.
« Si l’accouchement a lieu à domicile — ce qui est le cas pour environ un tiers des naissances — il devient très difficile de vacciner dans les temps », souligne le Dr Ndoula.
Pour y remédier, le PEV teste actuellement un modèle de paquet de soins intégré pour les nouveau-nés, incluant non seulement le vaccin contre l’hépatite B, mais aussi le BCG, le vaccin antipoliomyélitique oral, et d'autres interventions essentielles.
« Si les grossesses sont identifiées à l’avance, il est possible d’organiser la vaccination dans les 24 heures, même en cas d’accouchement à domicile », estime le Dr Ndoula.
« Cette approche fera partie intégrante du déploiement universel de la vaccination à la naissance, quels que soient les facteurs d’exposition des enfants. »
Les experts de la santé optimistes quant à l’impact du vaccin
Malgré les défis logistiques, les experts de la santé camerounais se montrent optimistes : l’introduction du vaccin contre l’hépatite B à la naissance représente, selon eux, un pas décisif vers l’élimination de la maladie.
Le Professeur Kowo Mathurin Pierre, chef du service de gastroentérologie au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Yaoundé et coordinateur du Centre de traitement agréé des hépatites virales de cette même institution, dit avoir accueilli cette annonce avec « enthousiasme » et « espérance ».
« D’abord, de l’enthousiasme, car cette dose de naissance du vaccin antiviral B est attendue depuis de nombreuses années dans notre pays », a-t-il déclaré à VaccinesWork.
« Elle a déjà prouvé son efficacité dans la prévention de la transmission de l’hépatite B dans les pays où elle a été introduite. Son efficacité ne fait donc l’objet d’aucun doute. »
L’enthousiasme du Pr Kowo est d’autant plus grand que cette avancée s’accompagne d’une autre mesure importante : la mise à disposition gratuite du ténofovir pour les femmes enceintes testées positives à l’hépatite B. Ce traitement antiviral, dont l’efficacité contre le virus est bien documentée, permet de renforcer la prévention de la transmission mère-enfant lorsqu’il est couplé à la vaccination à la naissance.
« Les nouveau-nés infectés à la naissance ou très tôt dans la vie par leur mère ont un risque très élevé — 90 % contre 10 % à l’âge adulte — de développer une forme chronique de la maladie », rappelle le spécialiste.
« Cela favorise la dissémination du virus dans l’entourage et augmente les risques de complications graves, comme la cirrhose ou le cancer du foie. »
Face à ces risques, agir dès la naissance était devenu une nécessité.
« Il était urgent d’intervenir auprès de cette population pour réduire le risque de transmission du virus de la mère à l’enfant », insiste-t-il.
« Bien appliquées, ces politiques permettront d’atteindre une génération sans hépatite B. L’un des prérequis essentiels sera de généraliser le dépistage systématique de l’hépatite B chez toutes les femmes enceintes », conclut le professeur Kowo.