À Katsina, au Nigéria, une application mobile locale aide à vacciner les enfants vulnérables
Conçue localement, cette solution de santé numérique met en lien les enfants non vaccinés des communautés mal desservies de l’État de Katsina avec les structures de santé.
- 23 septembre 2025
- 8 min de lecture
- par Afeez Bolaji

Un vendredi de la fin du mois de juin, Maryam Shehu et Aisha Tukur Gambo entrent dans une maison des abords de Katsina, une ville située dans le nord-ouest de l’État du même nom. Elles viennent s’enquérir du fils d’Amina Adamu. Le petit s’est vu administrer les vaccins contre la rougeole, la fièvre jaune et la méningite quelques jours plus tôt, et les deux agentes du programme Community Health Influencers, Promoters and Services (CHIPS) souhaitent rappeler à sa mère la date des prochaines injections.
Il n’est que midi, mais Shehu et Gambo en sont déjà à leur cinquième visite à domicile. Pour ces deux femmes, une semaine de travail représente des dizaines et des dizaines de ces consultations. Il n’y a pas si longtemps, chaque rencontre devait être consignée manuellement dans un registre, lui-même devant être rapporté ensuite au centre de santé. Parfois, des données se perdaient dans le transport. Mais en 2023, Dartharm, une organisation locale de technologie sociale, est venu changer la donne en concevant une nouvelle application de santé numérique, MCHTrack.
Gambo saisit des données dans sa tablette tout en prodiguant des conseils de santé à Adamu, ponctués çà et là d’une touche d’humour. « Il y a tout ce dont nous avons besoin dans cette tablette. On l’utilise pour enregistrer de nouveaux ménages, orienter vers certains services, vérifier que les personnes enregistrées se rendent bien au centre de santé, envoyer des rappels, et plein d’autres choses. En général, la vaccination systématique est programmée tous les mercredis au centre de santé. Un ou deux jours avant, nous rendons visite aux familles dont les enfants doivent se faire vacciner pour leur rappeler le rendez-vous. Nous rappelons aussi aux femmes enceintes leur prochaine consultation de soins prénatals », explique Gambo à VaccinesWork.

Garder les enfants sur la bonne voie
En partenariat avec l’Agence de soins de santé primaires de l’État de Katsina et l’UNICEF, et avec le financement du programme pour le renforcement des systèmes de santé de Gavi, MCHTrack a depuis été déployée à travers sept zones de gouvernement local de l’État de Katsina, sélectionnées en raison du nombre disproportionné d’enfants non vaccinés qui y vivent.
Installée sur des tablettes fournies par l’Agence de soins de santé primaires de l’État de Katsina, l’application se décline en trois niveaux d’utilisation interconnectés. Sur le terrain, les agentes et agents communautaires l’utilisent pour enregistrer les zones d’habitation, les ménages, les femmes en âge de procréer et les enfants, mais aussi pour orienter la population vers des centres de santé. Dans les hôpitaux, les membres du personnel de santé indiquent si les personnes redirigées vers eux se sont bien présentées et précisent les services dont elles ont bénéficié. Enfin, l’application est aussi liée à un tableau de bord qui compile l’ensemble des données.
L’introduction de MCHTrack a entraîné une importante augmentation du nombre de consultations de femmes dans les hôpitaux et un renforcement de la vaccination. D’après Gambo, qui cite plusieurs cas qu’elle a elle-même orientés vers le centre de santé, l’application a notamment permis d’aider à atteindre les enfants zéro dose (n’ayant reçu aucune dose de vaccination) dans les communautés mal desservies des zones difficiles d’accès.
« J’ai rencontré un petit garçon de plus d’un an qui n’avait jamais été vacciné et je l’ai orienté vers le centre de santé. Sa mère m’a dit qu’il avait dépassé l’âge limite pour la vaccination. Je lui ai expliqué que ce n’était pas le cas, je lui ai offert des conseils en insistant pour qu’elle l’amène au centre. Le petit a été vacciné en ma présence. J’ai rappelé systématiquement [à sa mère] les rendez-vous suivants, et grâce à MCHTrack, j’ai pu suivre toutes les étapes jusqu’à ce que l’enfant soit complètement vacciné », confie Gambo.

Sur la voie du changement
Malgré d’importantes améliorations ces 30 dernières années, le taux de mortalité maternelle du Nigéria stagne à 993 décès pour 100 000 naissances vivantes, le deuxième taux le plus élevé au monde. Les régions nord-ouest et nord-est du pays enregistrent les taux les plus élevés de mortalité lors de l’accouchement et de la grossesse.
Au Nigéria, les nourrissons et les enfants ne bénéficient pas non plus d’une protection suffisante. Dans le pays, au moins 64 % des enfants âgés de 12 à 23 mois n’ont pas reçu les vaccins recommandés en 2021, et seulement 62 % des enfants ont reçu la troisième dose du vaccin de base contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche en 2023. La région nord-ouest enregistre la plus faible couverture de vaccination du pays.
Avec MCHTrack, on espère améliorer ces chiffres. D’après Amina Ahmad Nagogo, fondatrice de Datharm, l’application a été mise à l’essai en 2019 dans deux centres de santé avec l’objectif précis de découvrir dans quelle mesure la technologie pouvait aider à lutter contre la mortalité maternelle.
« Nous souhaitions vérifier s’il était possible d’utiliser un outil numérique pour recenser les femmes enceintes et suivre leur grossesse, des premiers jours (à travers les services de soins prénatals) à l’accouchement au centre de santé, mais aussi déceler les grossesses à risques et s’assurer qu’elles sont prises en charge correctement », explique-t-elle, précisant que le gouvernement de l’État de Katsina a accueilli l’application à bras ouverts après la réussite de l’essai, avant que les fonctionnalités de l’outil soient élargies au suivi de la vaccination.
« Nous avons déployé MCHTrack dans 76 services de soins et enregistré plus de 450 zones d’habitation dans sept des huit zones de gouvernement local de Katsina [fortement] touchées par le phénomène zéro dose, avec l’aide de plusieurs groupes de soutien communautaire. Les mobilisateurs communautaires bénévoles engagés par l’UNICEF et les agentes et agents du programme CHIPS, recrutés par le gouvernement de l’État, ont notamment participé à l’initiative.
« Les agentes et agents communautaires résident dans ces communautés. S’ils rencontrent des personnes qui ne se sont pas rendues aux consultations recommandées, ils leur apportent des conseils. Les motifs d’absence aux consultations sont consignés, cela nous aide à mieux comprendre pourquoi certaines communautés ne font pas appel aux services de santé et à mettre en place des interventions ciblées.
« L’année dernière, nous avons découvert que certaines communautés ne se rendaient pas au centre de santé, car celui-ci se trouvait trop loin et les solutions de transport étaient insuffisantes. L’Agence de soins de santé primaires de l’État de Katsina a demandé à consulter ces données et s’en est servie pour organiser une mission de proximité auprès des enfants zéro dose de ces communautés, en lien avec le centre de santé », se remémore Nagogo.

Le progrès en marche
Katsina est l’un des huit États ayant signé un accord avec Gavi pour le renforcement des soins de santé primaires, en 2022, explique Shamsuddeen Yahaya, secrétaire exécutif de l’Agence de soins de santé primaires de l’État de Katsina. Depuis, le gouvernement a mis en place plusieurs solutions innovantes pour mettre les vaccins à la portée des enfants jusque-là non vaccinés et améliorer ses indicateurs clés liés aux soins de santé, comme la fréquentation des consultations de soins prénatals et les accouchements en centre de santé.
« La mortalité chez les femmes enceintes s’explique en partie par le fait qu’elles n’accouchent pas dans une structure de soins. C’est pourquoi le taux de mortalité maternelle est très élevé à Katsina et dans de nombreux États du nord-ouest. Mais grâce à cette technologie, beaucoup de femmes sont désormais orientées vers un centre de santé. Elles y sont enregistrées pour les consultations de soins prénatals, l’accouchement, et les rendez-vous qui viennent après la naissance.
« Dans le cadre de notre partenariat avec Datharm, le déploiement de l’application est assuré par l’organisation, et c’est nous qui fournissons les tablettes aux agentes et agents du programme CHIPS, qui s’en servent pour recenser les femmes enceintes et les enfants (censés bénéficier de la vaccination systématique) et les orienter vers un centre de santé », ajoute-t-il.
Selon Mustapha Lawal, coordinateur de projet MCHTrack à Katsina, 152 agentes et agents CHIPS, des mobilisateurs communautaires bénévoles et deux membres du personnel de santé de chaque centre de santé ont suivi une formation pour apprendre à utiliser l’application. D’après lui, cette initiative a entraîné des progrès remarquables en matière de soins de santé maternels et infantiles.
« À ce jour, 9 379 femmes et 17 250 enfants ont été enregistrés dans MCHTrack. L’application a permis d’orienter 16 070 personnes vers des structures de santé, dont 12 724 enfants et 3 346 femmes. Parmi les enfants, 78 % (soit 9 913 enfants) ont été orientés vers la vaccination systématique. Nous avons également enregistré 26 109 consultations à l’hôpital, dont 20 657 pour des enfants, parmi lesquels 14 027 ont bénéficié de la vaccination systématique et 4 856 d’autres services. 5 452 femmes ont bénéficié de soins prénatals et d’autres services. Nous avons aussi recensé 2 460 enfants zéro dose et régularisé la situation vaccinale de 1 806 d’entre eux, soit un taux de réussite de 71 %. Nous avons retrouvé la trace de 362 personnes qui ne s’étaient pas rendues à leur rendez-vous et régularisé 70,79 % de ces cas », précise Lawal.
Les innovations comme MCHTrack ont permis d’améliorer fortement la couverture vaccinale à Katsina ces cinq dernières années, explique Yahaya à VaccinesWork, reprenant des données issues de l’outil de suivi de l’enquête démographique de santé.
« D’après l’enquête, le pourcentage d’enfants entièrement vaccinés à Katsina est passé de 21 % en 2018 à 45 % en 2023-2024. Le pourcentage d’enfants ayant reçu leur première dose de vaccin contre la rougeole (MCV1) est passé de 35 % à 54 %, et de 43 % à 60 % pour ceux ayant reçu leur première dose de vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DPT1). Durant la même période, le pourcentage d’enfants ayant reçu leurs trois doses de vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTP3) est passé de 34 % à 53 %. Nous ciblons actuellement huit des 34 zones de gouvernement local de l’État et nous prévoyons de déployer le programme à d’autres zones dès que nous aurons obtenu plus de fonds », affirme Yahaya.
Des ajustements en cours de route
Malgré ces résultats impressionnants, l’innovante solution numérique s’est heurtée à quelques difficultés, notamment des soucis d’insécurité dans certaines zones, mais aussi des problèmes d’ordre technique. Mais Datharm et le gouvernement d’État ont trouvé des moyens de contourner ces obstacles, par exemple à travers des mises à jour correctives et parfois de simples bons réflexes.
« Pour les zones où leur sécurité n’est pas assurée, les agentes et agents CHIPS et les mobilisateurs communautaires bénévoles ne se déplacent que certains jours, souvent les jours de marché, car il y a beaucoup d’animation et le personnel de sécurité est plus présent. Sinon, certains agents, surtout ceux du programme CHIPS, ont eu quelques difficultés au départ pour prendre en main l’application, mais après plusieurs séances de formation et de remise à niveau, ils sont repartis du bon pied et tout est rentré dans l’ordre.
« Il y a parfois des problèmes de connexion à internet, mais l’application est conçue pour fonctionner même lorsque le réseau n’est pas suffisant. On peut l’utiliser hors ligne, et dès que la connexion revient, l’application synchronise automatiquement [les données]. De cette manière, l’absence de réseau ne les empêche pas de travailler », confie Lawal.
Pour aller plus loin
Des femmes témoignent
Plusieurs des femmes avec lesquelles VaccinesWork a échangé ont fait valoir que MCHTrack les a encouragées à se rapprocher des services de santé. Durant la visite des agentes CHIPS Shehu et Gambo, Adamu a confié qu’à l’aide de l’application, elle et ses enfants n’ont pas dérogé aux soins médicaux.
« Je me suis inscrite aux consultations de soins prénatals et rendue régulièrement à l’hôpital grâce aux rappels systématiques des agentes communautaires de santé. J’ai donné naissance à mes deux enfants dans le centre de santé.
« Grâce à l’application, je prends désormais très sérieusement les soins prénatals et je n’ai jamais raté un seul des rendez-vous de vaccination de mes enfants. Ma petite dernière a reçu trois vaccins il y a quelques semaines. J’attends son prochain rendez-vous », ajoute-t-elle.
Maryam Sulaiman, mère de quatre enfants dans la communauté de Saronkuka, se félicite elle aussi d’être enregistrée dans l’application mobile.
« Cela nous aide, moi et mes enfants, à rester en bonne santé. Quand ma fille a attrapé la rougeole, on m’a appris que c’était parce qu’elle n’avait pas été au bout de son parcours de vaccination. Une agente CHIPS a assuré son suivi sur l’application jusqu’à sa vaccination complète. J’ai remarqué qu’elle ne tombe presque jamais malade et je réalise désormais que les vaccins peuvent prévenir beaucoup de maladies infantiles ou en réduire la gravité », explique-t-elle.