On a parlé vaccins avec… Dr Samiratou Ouédraogo, enseignante-chercheuse à l’Université Joseph Ki-Zerbo

Dr Samiratou Ouédraogo est enseignante-chercheuse à l’Université Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso, coordinatrice adjointe de la Chaire ReAAC (Research and Action Against Cancer), et également co-fondatrice de Women in Global Health en Afrique de l’Ouest francophone. Elle explique pourquoi encourager les filles et les femmes à se faire vacciner contre le papillomavirus est d'une importance vitale.

  • 9 février 2023
  • 5 min de lecture
  • par Personnel de Gavi
Dr Samiratou Ouédraogo
Dr Samiratou Ouédraogo
 

 

VaccinesWork : Quel est l’impact du cancer du col de l’utérus dans votre pays ?

Dr Samiratou Ouédraogo : Il y a plus d’un millier de cas par an et malheureusement plus de 75% des cas décèdent parce que cela arrive à un stade tardif et les chances de guérison sont moindres. Mais je parlerais de l’impact du cancer du col de l’utérus en termes d’impact sur la communauté, sur les familles touchées. Malheureusement les patientes arrivent à un stade tardif, ce qui nécessite beaucoup de ressources, aussi bien pour la famille que pour la communauté. Le fardeau économique que les familles et les proches sont obligés de supporter pour soutenir une personne atteinte de ce cancer en termes de prise en charge et d’accompagnement pour la fin de vie. C’est un impact psychologique énorme aussi sur la communauté.

Pourquoi pensez-vous que le vaccin contre le papillomavirus est important ?

C’est une chance d’avoir un vaccin qui permet de protéger une génération contre la survenue d’une pathologie. On a la chance d’avoir en Afrique une population très jeune. Il est donc important de pouvoir protéger nos futurs leaders, moteurs de la société contre une maladie qu’elles pourraient développer plus tard. Donc pouvoir avoir un vaccin disponible et l’administrer à temps pour que les jeunes puissent grandir en bonne santé et contribuer au développement de la société est une aubaine pour le Burkina Faso et tous les pays qui ont accès à ce vaccin.

« Il faut s’assurer d’atteindre le dernier kilomètre pour que toutes les filles éligibles au vaccin aient accès au vaccin, parce qu’elles ont le droit et font partie de la société comme les jeunes filles qui vivent en ville. »

Quels sont les enjeux et les défis pour le déploiement de ce vaccin dans la communauté ?

Les enjeux sont à plusieurs niveaux. Il faut susciter la demande et avoir une disponibilité pour qu’on puisse satisfaire la demande. Il y a aussi des enjeux d’accessibilité : il faut que le vaccin soit accessible à qui le veut, et quand elle le voudra.

Le Burkina vit malheureusement une situation difficile avec des personnes dans des zones difficiles d’accès, reculées, où la sécurité n’est pas garantie. Il faut s’assurer d’atteindre le dernier kilomètre pour que toutes les filles éligibles au vaccin aient accès au vaccin, parce qu’elles ont le droit et font partie de la société comme les jeunes filles qui vivent en ville.

Il y a aussi l’acceptabilité : bien malheureusement aujourd’hui il y a des besoins urgents comme manger, dormir et être en sécurité. Or pour certaines personnes, avoir un vaccin qui va les protéger dans 10 ou 15 ans n’est pas nécessaire si elles n’arrivent pas à satisfaire leurs besoins de base. Il faut s’assurer qu’il y ait un minimum fait pour que les gens soient dans des conditions qui leur permettent de se projeter dans l’avenir pour pouvoir voir la nécessité d’être protégé aujourd’hui, pour vivre pleinement sa vie demain.


Quelles sont les causes du manque de demande ? Quel est le rôle du plaidoyer autour de ce vaccin ?

Le manque de demande est lié au manque d’information, à l’ignorance et à la désinformation qu’il y a autour des vaccins en ce moment, malheureusement liée aux séquelles laissées par la pandémie. Les anti-vaccins sont devenus virulents et ont des arguments qui font que la population est méfiante à aller vers ce vaccin. C’est aussi un vaccin qui touche à la santé sexuelle et reproductive, qui est un sujet assez tabou et délicat dans certaines de nos communautés. Il faudrait que les personnes qui influencent la prise de décision au sein d’une famille, au sein d’une communauté, puissent déjà accepter et s’approprier la nécessité du déploiement de ce vaccin de sorte à convaincre leur entourage d’aller se faire vacciner.

Une femme qui a conscience qu’elle peut développer un cancer du col de l’utérus à tout moment et qui a la possibilité d’offrir à sa fille de 9 ans un vaccin pour que plus tard elle ne développe pas sa maladie, c’est un gain énorme. Cela veut dire qu’on va pouvoir mobiliser cette femme pour qu’elle se fasse dépister pour qu’on trouve son cancer à temps, mais pour qu’elle puisse aussi permettre à sa fille de se protéger dès maintenant pour éviter plus tard un cancer.

Il faudrait qu’on travaille à plusieurs niveaux pour développer l’acceptabilité de ce vaccin, pour développer aussi la possibilité de se projeter dans le futur.

Le vaccin est disponible pour les enfants de 9 ans qui ont déjà fini leur calendrier vaccinal. Ce seront des enfants plus difficiles à atteindre car ils ne gardent de contact avec le système de santé qu’en cas de maladie ou de problème particulier. Il faut essayer de convaincre toutes les personnes qui travaillent avec ces enfants de 9 ans : les enseignants par exemple. Il faut susciter la demande du vaccin à travers des canaux comme l’éducation, les parents, pour atteindre la cible qu’on veut atteindre.

Quel est le rôle des organisations de société civile ?

La société civile a un grand rôle à jouer, déjà pour sensibiliser, mobiliser et pour la prise de conscience de l’existence du cancer et de la nécessité d’avoir recours au vaccin. La société civile peut aussi jouer le rôle de navigateur pour guider les personnes qui veulent avoir accès au vaccin en leur disant où et dans quelles conditions ils le peuvent.

La société civile va aussi jouer le rôle de veille sanitaire pour la redevabilité de ce qui s’est fait pour lutter contre le cancer du col de l’utérus.