Adieu aux seringues ? Le patch contre la rougeole et la rubéole fait ses preuves lors d'un essai vaccinal en Gambie

Indolores, plus faciles à administrer et plus thermostables que les vaccins traditionnels, les patchs à microréseaux sont présentés comme l'avenir de la vaccination dans les pays à faible revenu et en cas de pandémie.

  • 19 octobre 2023
  • 11 min de lecture
  • par Linda Geddes
Adieu aux seringues ? Le patch contre la rougeole et la rubéole fait ses preuves lors d'un essai vaccinal en Gambie
Adieu aux seringues ? Le patch contre la rougeole et la rubéole fait ses preuves lors d'un essai vaccinal en Gambie
 

 

À première vue, on dirait un petit sparadrap rond, comme ceux que l'on pose après une banale prise de sang. Appliqué sur la peau, le patch est rugueux, mais pas vraiment inconfortable. C’est comme si on vous avait appuyé un morceau de Velcro sur la peau. « Personne ne s’est plaint que c’était douloureux ; et tout le monde va préférer ça aux injections », a déclaré le professeur Mark Prausnitz, directeur du Center for Drug Design, Development and Delivery [Centre de conception, de développement et d’administration des médicaments] de l’Institut de Technologie de la Géorgie à Atlanta, aux États-Unis.

On a obtenu les mêmes réponses immunitaires, que le vaccin soit administré sous forme de patch ou par injection sous-cutanée, et plus de 90 % des parents dont les enfants ont participé à l'essai ont déclaré préférer les patchs comme mode d'administration des vaccins pour les enfants.

C’est l’avenir de la vaccination : ce nouveau mode d’administration des vaccins est indolore, ne nécessite ni seringue ni aiguille, et n’a peut-être même pas besoin de faire appel à des professionnels de santé qualifiés. Cette semaine, Micron Biomedical, dont le Prof. Prausnitz est cofondateur, a annoncé les résultats positifs de la phase 1/2 du tout premier essai clinique d'un patch vaccinal chez les enfants et les nourrissons âgés de neuf mois et plus.

A vaccine patch from Micron Biomedical. Credit: Micron Biomedical
Patch vaccinal de Micron Biomedical. Crédit : Micron Biomedical

L'étude, qui visait à évaluer l'impact de la vaccination contre la rougeole et la rubéole à l’aide de patchs, a révélé que le vaccin était sûr et bien toléré, ne causait pas de réactions allergiques ni d’effets indésirables graves. Les réponses immunitaires induites par le vaccin étaient tout à fait comparables, qu'il soit administré au moyen d'un patch ou classiquement par injection sous-cutanée. Plus de 90 % des parents dont les enfants ont participé à l'essai estiment que les patchs constituent la meilleure façon d'administrer les vaccins aux enfants.

« Ces résultats passionnants montrent pour la première fois l’intérêt des patchs à microréseaux pour vacciner les enfants de manière sûre et efficace », a déclaré le professeur Ed Clarke, chef de l'unité d’immunologie infantile au Medical Research Council (Gambie), qui a dirigé l'étude.

Les résultats ont été présentés lors de la 7e conférence internationale sur les micro-aiguilles qui s'est tenue à Seattle (États-Unis) le 17 mai 2023.

Des essais de patchs vaccinaux contre la COVID-19, la grippe saisonnière et l'hépatite B ont également lieu actuellement, tandis que des patchs contre le VPH, la typhoïde et le rotavirus sont en cours de développement préclinique.

Parsemés de pointes microscopiques qui délivrent le vaccin dans les couches supérieures de la peau, les patchs vaccinaux à microréseaux devraient permettre de surmonter de nombreux problèmes logistiques qui entravent les efforts de vaccination. Alors que les vaccins sous forme liquide doivent être conservés au réfrigérateur pour garder leur efficacité, et qu’il faut des professionnels qualifiés pour les injecter et ensuite éliminer les seringues et les aiguilles en toute sécurité, les patchs vaccinaux sont conçus pour être thermostables, plus faciles à transporter et ne demander qu’un minimum de formation pour leur administration. Certaines données suggèrent même qu'ils pourraient stimuler une réponse immunitaire plus importante que les vaccins traditionnels, à doses plus faibles, ce qui permettrait de disposer de plus de vaccins.

« Cette technologie pourrait révolutionner l'accès aux vaccins dans les régions disposant de peu de ressources et lors de pandémies », a déclaré David Hoey, président-directeur général de Vaxxas, société de biotechnologie basée à Brisbane, en Australie, dont les patchs contre la rougeole et la rubéole, la COVID-19 et la grippe saisonnière font l’objet d’essais cliniques chez les humains.

Avec un poids de 3,5 à 10 kilogrammes et une surface de 1,5 à 2 mètres carrés, notre peau est le plus lourd et le plus étendu de nos organes. Comme c’est aussi notre principale interface avec le monde extérieur, de nombreuses cellules immunitaires sont présentes dans ses différentes couches pour assurer notre protection.

Parmi elles, les cellules dendritiques - cellules présentatrices d’antigène, qui activent les cellules T dans les ganglions lymphatiques. Les cellules T sont très importantes pour la réponse immunitaire et la vaccination, car elles se souviennent des antigènes qu'elles ont déjà rencontrés. Depuis des millénaires, les humains utilisent des pommades et des potions qu’ils appliquent sur la peau, mais ce n'est qu'au XXe siècle que les scientifiques ont commencé à administrer des médicaments à travers la peau.

La première commercialisation d’un patch transdermique a eu lieu en 1979, pour le traitement du mal des transports. Il permettait de délivrer en continu une dose de scopolamine à travers la peau. D'autres patchs ont suivi, mais la peau étant une barrière très efficace, seuls certains types de molécules peuvent être administrés de cette manière. C'est pourquoi les scientifiques ont commencé à chercher d'autres techniques.

Personne n’aime se faire piquer avec une aiguille ou avoir à consoler un bébé qui hurle après avoir été vacciné - même si la plupart sont conscients des bénéfices de cette intervention pour leur santé. Alors, si les patchs vaccinaux s'avèrent vraiment aussi sûrs et efficaces que les vaccins injectables, qui pourrait vraiment regretter la disparition des seringues ?

Mark Prausnitz a commencé sa carrière en étudiant l’effet des courants électriques sur la peau et la possibilité de les utiliser pour faciliter l'administration de médicaments. Mais cette méthode s'accompagnait d'effets secondaires (douleur et contractions), car elle stimulait également les nerfs sous-jacents.

C'est alors qu'il a pensé aux micro-aiguilles : « Les aiguilles marchent très bien ; elles peuvent pénétrer à travers la peau pour introduire des médicaments ou des vaccins dans l’organisme. Mais elles ont aussi des inconvénients : il faut des personnes bien formées pour les utiliser, et aussi pour s’en débarrasser en toute sécurité après usage, etc. », explique-t-il. « Or la barrière cutanée est plus fine qu’un cheveu, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une grande aiguille. Une toute petite aiguille devrait en principe faire l'affaire ».

Pourtant, la fabrication de micro-aiguilles n’est pas aussi simple. « Le vrai problème, c’est que ceux qui travaillaient dans le domaine de la microfabrication ne s’intéressaient pas vraiment à l'administration des médicaments ou aux applications médicales, tandis que ceux qui s’y connaissaient en produits pharmaceutiques et en administration de médicaments ne savaient pas comment fabriquer des micro-aiguilles », souligne le Prof. Prausnitz.

En 1995, il est parti à Atlanta (USA), au Georgia Institute of Technology, et a commencé à travailler avec des spécialistes de la microfabrication ; ils se sont inspirés des techniques mises au point dans l'industrie des puces informatiques pour produire des pointes minuscules permettant d’injecter les vaccins dans la peau.

Ensuite, il a fallu trouver les moyens d’incorporer les ingrédients actifs dans ces patchs à micro-aiguilles. Les vaccins traditionnels sont généralement sous forme liquide et conditionnés dans des flacons en verre, mais les patchs vaccinaux, quant à eux, doivent être enduits de vaccin sec, ou alors il faut intégrer ce dernier dans des pointes qui se dissolvent au contact de la peau.

« La formulation doit être compatible non seulement avec le vaccin, mais aussi avec la micro-aiguille. Il faut quelque chose de résistant sur le plan mécanique, ce qui est une nouvelle contrainte pour nous », précise le Prof. Prausnitz. « Il a fallu beaucoup de travail pour y parvenir, et chaque vaccin est différent. Il faut adapter la formulation à chacun, pour pouvoir les incorporer au patch, pour qu’ils libèrent la dose voulue, et qu’on puisse les conserver à la température du réfrigérateur et, si possible, à température ambiante ».

Les succès obtenus récemment montrent néanmoins que ces problèmes ne sont pas insurmontables. Micron Biomedical est né de la technologie développée par le Prof. Prausnitz et ses collègues de l’Institut de Technologie. Basé à Atlanta, aux États-Unis, Micron Biomedical est, avec Vaxxas, l'une des deux entreprises qui mènent actuellement des essais cliniques sur des patchs vaccinaux.

En 2017, Micron a publié dans The Lancet une étude visant à évaluer la sécurité, l'immunogénicité et l'acceptabilité de l'administration d'un vaccin contre la grippe saisonnière constitué d'un patch à micro-aiguilles solubles, en comparaison avec la vaccination par injection intramusculaire. L'étude a montré que la réponse immunitaire était sensiblement la même. Les effets secondaires les plus fréquemment signalés comprennent une irritation, une rougeur ou des démangeaisons légères autour du site d’application du patch. « Je crois que ces résultats sont la preuve qu’il est possible de fabriquer un patch vaccinal à micro-aiguilles et que ça peut marcher », a confié le Prof. Prausnitz. « J'espère que l'essai du patch vaccinal contre la rougeole et la rubéole aura pour effet de faire progresser encore ce domaine ».

Démarré en 2021, cet essai de vaccination contre la rougeole porte sur 45 adultes, 120 enfants en bas âge et 120 nourrissons. Il vise à évaluer la sécurité, la tolérance et l’immunogénicité du patch vaccinal produit selon la technique mise au point par Micron, et à comparer les résultats à ceux obtenus avec le vaccin standard administré par voie sous-cutanée. « D'une manière générale, les parents ont accueilli très favorablement la possibilité de vacciner leurs jeunes enfants sans avoir recours à des aiguilles », reconnaît Steven Damon, directeur général de Micron.

La vaccination contre la rougeole et la rubéole est un excellent exemple de l’intérêt des patchs vaccinaux. Alors qu'il existe un vaccin sûr, abordable et très efficace, plus de 140 000 décès dus à la rougeole ont été recensés dans le monde en 2018. « La plupart du temps, il s'agissait d’enfants vivant dans des zones reculées sans accès aux soins de santé et qui, de ce fait, échappaient à la vaccination », précise le Prof. Prausnitz. « Avec un vaccin qui s’administre sans formation médicale, [et] se conserve à température ambiante, on devrait pouvoir atteindre les populations éloignées des centres de soins, vivant dans des régions ne disposant pas d’alimentation électrique ni de systèmes de réfrigération fiables, et réussir à vacciner un plus grand nombre d'enfants ».

« Avec un vaccin qui s’administre sans formation médicale, [et] se conserve à température ambiante, on devrait pouvoir atteindre les populations éloignées des centres de soins, vivant dans des régions ne disposant pas d’alimentation électrique ni de systèmes de réfrigération fiables, et réussir à vacciner un plus grand nombre d'enfants ».

– Professeur Mark Prausnitz, directeur du Centre pour la conception, le développement et l'administration des médicaments à l'Institut de technologie de Géorgie (USA).

Les patchs vaccinaux pourraient également être utiles en cas de nouvelle pandémie. Alors que le manque de doses a ralenti et limité la distribution des vaccins contre la COVID-19, plusieurs études suggèrent maintenant que les patchs vaccinaux peuvent induire des réponses immunitaires comparables à celles des vaccins injectables, et ce avec moins d'antigène. Par exemple, selon une étude publiée en 2020 dans PLoS Medicine, l’administration du vaccin contre la grippe avec le patch de Vaxxas donne les mêmes résultats qu’avec le vaccin injectable, avec seulement un sixième de la dose.

Quand la production d’antigène est limitée, on devrait pouvoir disposer de plus de vaccin grâce à l’utilisation de doses plus faibles. Autre avantage : avec les patchs vaccinaux, on n’a pas besoin de flacons et de seringues - qui ont également connu des ruptures de stock lors de la pandémie de COVID-19.

A vaccine patch from being applied. Credit: Vaxxas
Application d’un patch vaccinal. Crédit : Vaxxas

En février 2023, Vaxxas a lancé une étude de phase 1 d’un vaccin contre la grippe du même type, faisant appel à la même technologie, chez 150 adultes. Par ailleurs, l'entreprise a récemment publié des données montrant que les résultats étaient les mêmes, que les patchs vaccinaux soient auto-administrés ou administrés par des professionnels.

« Si le vaccin peut s’auto-administrer, on devrait pouvoir l’envoyer par la poste à tous ceux qui en ont besoin », a indiqué David Hoey. Cela permettrait d'accélérer leur administration et éviter d’avoir à se rendre dans des centres de vaccination bondés, où on risque de se contaminer.

Lors de la pandémie, la nécessité de stocker les vaccins dans le respect de la chaîne du froid, voire de l’ultra-froid, a constitué, dans certains pays, un obstacle important à la distribution des vaccins contre la COVID-19., Le patch vaccinal contre la grippe de Vaxxas, lui, reste stable pendant au moins 12 mois à 40 C : « On peut passer de réfrigérateur », affirme David Hoey.

C’est bien de pouvoir stabiliser les antigènes du virus de la grippe sur un patch vaccinal, mais on compte surtout sur les vaccins à ARN messager pour riposter rapidement aux futures pandémies - comme cela a été le cas avec la COVID-19. La mise au point et la production des vaccins à ARNm sont en effet beaucoup plus rapides que pour les vaccins traditionnels. L'inconvénient, c’est qu'il faut les stocker à des températures ultra-basses, ce qui limite leur utilisation.

Pour tenter de surmonter cet obstacle, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations ou CEPI) a octroyé à Vaxxas une subvention de 4,3 millions de dollars américains pour le développement de patchs à microréseaux pour les vaccins à base d'ARNm.

Selon David Hoey, les chercheurs ont déjà réussi à modifier les nanoparticules lipidiques qui encapsulent les molécules d'ARNm, de manière à les rendre « beaucoup plus thermostables ». Mais poursuit-il, « les nouvelles constructions – faisant appel à des dérivés des lipides ou à des composés tout à fait différents – semblent beaucoup plus prometteuses ».

« Cette technologie révolutionnaire pourrait permettre de déployer largement la vaccination dans les populations à faibles ressources et en cas de pandémie [...]. Si le vaccin peut s’auto-administrer, on devrait pouvoir l’envoyer par la poste à tous ceux qui en ont besoin ».

– David Hoey, PDG de Vaxxas

Même dans ce cas, il est peu probable que les patchs vaccinaux remplacent complètement les vaccins injectables en seringue, du moins à court terme. « Beaucoup d'argent a été investi dans leur conception, dans la construction de sites de production et la mise en place de chaînes de distribution ; et on maîtrise bien tout ce qui concerne leur sécurité et leur efficacité », explique le Prof. Prausnitz. « Il faut vraiment avoir une bonne raison pour prendre le risque de les modifier, ce qui nécessite par ailleurs des investissements importants ».

En ce qui concerne le vaccin contre la rougeole et la rubéole, la question ne se pose pas et il pourrait en être de même pour le vaccin contre la grippe saisonnière. Contrairement à la plupart des vaccins, le vaccin antigrippal doit être injecté chaque année ; il faut donc chaque fois faire l'effort d’aller se faire vacciner. On serait plus motivé si le vaccin était indolore et si l’on pouvait se l'administrer soi-même. Même si les injections font partie des actes médicaux les plus courants, la peur des aiguilles est très répandue. Selon une étude effectuée récemment, environ 16 % des adultes ne se font pas vacciner contre la grippe pour cette raison.

David Hoey est encore plus optimiste quant aux perspectives à long terme des vaccins sans seringue. « Dans les pays à revenu élevé, je pense que tous les vaccins seront administrés à l’aide de patchs d'ici environ 15 à 20 ans », déclare-t-il. À supposer que l’on puisse produire les patchs facilement, et qu’ils permettent de réduire la dose de vaccin, les entreprises pourraient avoir tout intérêt à mettre leur vaccin sur des patchs plutôt que dans des seringues, explique-t-il, avant de conclure : « Une fois les patchs vaccinaux sur le marché, on verra ce que préfèrent les patients. D'un point de vue scientifique, c'est plus malin, mais en fin de compte, ce sont les critères économiques qui en décideront ».

Personne n’aime se faire piquer avec une aiguille ou avoir à consoler un bébé qui hurle qui après avoir été vacciné, même si la plupart sont conscients des bénéfices de cette intervention pour leur santé. Alors, si les patchs vaccinaux s'avèrent vraiment aussi sûrs et efficaces que les vaccins injectables, qui pourrait vraiment regretter la disparition des seringues ?