Modélisation de la rage : comment des chaînes d’approvisionnement plus intelligentes pourraient sauver des vies
L’investissement récent de Gavi et la modélisation concrète pourraient contribuer à redéfinir la façon dont les systèmes de santé protègent les populations contre la rage.
- 20 juin 2025
- 5 min de lecture
- par Linda Geddes

Chaque année, des dizaines de milliers de personnes meurent de la rage – une maladie évitable – parce qu’elles n’ont pas pu se faire vacciner à temps.
Souvent, la cause principale est une morsure de chien et un système de santé qui n’est pas préparé à faire face à l’imprévisible. Des chercheurs s’appuient aujourd’hui sur des données concrètes et des simulations pour imaginer un avenir plus résilient.
La rage est causée par un virus qui attaque le cerveau et est presque systématiquement mortelle dès lors que les symptômes apparaissent. Toutefois, si elle est prise à temps, la maladie peut être évitée grâce à la prophylaxie post-exposition (PPE), qui comprend le nettoyage des plaies, un cycle de vaccination contre la rage et, dans certains cas, des injections d’immunoglobulines (anticorps).
Pourtant, dans plus de 150 pays – principalement en Afrique et en Asie – où la rage reste une menace pour la santé publique, l’accès à ces vaccins est au mieux disparate, en particulier pour les communautés rurales et marginalisées. Et dans les cas où le vaccin contre la rage humaine est disponible dans le secteur privé, le coût peut être exorbitant.
« Les vaccins contre la rage sont considérés comme des vaccins ad hoc par la plupart des pays où la maladie est endémique, et ne font par conséquent pas partie des systèmes de vaccination systématique, qui sont très bien gérés en termes de logistique, de réassort et d’approvisionnement », a déclaré Martha Muthina Luka étudiante en doctorat à l’université de Glasgow, au Royaume-Uni, qui élabore un cadre permettant de prévoir les impacts des stratégies de prévention de la rage en Afrique de l’Est.
« Au moins au Kenya et en Tanzanie, ils sont achetés au cas par cas lorsqu’ils sont épuisés, et cela se fait généralement sur la base de l’historique de consommation, plutôt que sur des prévisions. Pour ajouter à la complexité de la situation, il peut y avoir des hausses de la demande en fonction de la dynamique des maladies, ce qui entraîne des ruptures de stock de vaccins qui peuvent durer jusqu’à un an. »
Approche équitable
En juillet 2024, Gavi, l’Alliance du Vaccin, a annoncé un financement pour que les pays incluent des vaccins contre la rage dans le cadre de la prophylaxie post-exposition dans leurs programmes de vaccination systématique – y compris un soutien financier pour l’achat des vaccins et des fournitures associées.
« L’objectif consiste à accroître l’accès aux vaccins et l’un des moyens d’y parvenir est de fournir les vaccins gratuitement aux utilisateurs finaux », a déclaré le Dr Simbarashe Mabaya, conseiller technique senior en soins de santé primaires à Gavi. « Nous proposons également un soutien financier aux pays pour faciliter l’extension des vaccins par le biais d’activités telles que la formation du personnel de santé. »
Gavi préconise également l’administration intradermique des vaccins contre la rage, c’est-à-dire leur injection sous la première couche de la peau plutôt que dans le muscle, une stratégie qui permet d’économiser les doses et de vacciner plusieurs patients avec un seul et même flacon. Cela pourrait être utile en cas d’épidémies localisées, car cela permettrait de traiter un plus grand nombre de personnes à partir du même stock de vaccins, réduisant ainsi le risque de ruptures de stocks. Cela nécessite également moins de visites pour recevoir les injections, ce qui allège la charge pour les patients et les systèmes de santé.
Toutefois, cette méthode n’est pas sans poser problème. Les flacons ouverts ne peuvent pas être conservés d’un jour à l’autre, ce qui signifie que dans les cliniques recevant peu de patients mordus, des doses précieuses sont susceptibles d’être jetées à la fin de la journée.
Par ailleurs, même si l’investissement de Gavi vise à améliorer l’accès aux vaccins contre la rage, la maladie ne suit pas une trajectoire prévisible : les épidémies peuvent se déclarer soudainement et brutalement, et la demande de prophylaxie post-exposition suivre le mouvement. Il est essentiel de veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement soient suffisamment robustes pour faire face à de telles hausses.
Modélisation de la rage
Pour mieux comprendre comment faire parvenir les vaccins contre la rage là où ils sont nécessaires, et au moment où ils le sont, Martha Muthina Luka et ses collègues se sont tournés vers les données réelles provenant de victimes de morsures au Kenya et en Tanzanie, créant des simulations pour démontrer comment diverses stratégies d’approvisionnement pourraient fonctionner dans différents scénarios – et modélisant celles qui étaient les plus efficaces pour maximiser la disponibilité des vaccins post-exposition.
L’étude, publiée dans la revue Vaccine a révélé que le nombre de personnes à la recherche d’un traitement variait considérablement d’un mois à l’autre, les fluctuations les plus extrêmes étant observées dans les régions où les cas sont généralement moins nombreux. « L’une des principales observations est qu’une clinique peut connaître une augmentation jusqu’à dix fois supérieure à la moyenne », a déclaré Martha Muthina Luka.
Les chercheurs ont également examiné la résilience des chaînes d’approvisionnement en vaccins aux ruptures de stock, selon que la vaccination est intramusculaire ou intradermique. Ils ont constaté que la vaccination intradermique présentait un avantage significatif, en réduisant l’utilisation des flacons de plus de 55 % et en diminuant le risque de rupture de stock.
Les avantages varient en fonction du nombre de patients : les économies de doses sont plus importantes dans les cliniques qui accueillent le plus grand nombre de patients, mais même dans les établissements où le nombre de patients est plus faible, la vaccination intradermique permet d’amortir les pics de demande inattendus.
« Quel que soit le contexte, la vaccination intradermique nécessite moins de doses et est plus résiliente aux ruptures de stock », a indiqué la Professeure Katie Hampson de l’université de Glasgow, qui a supervisé l’étude.
Sur la base des simulations de Martha Muthina Luka, les chercheurs ont également suggéré quelques lignes directrices pour savoir quand et comment les cliniques doivent se réapprovisionner en vaccins contre la rage, en fonction du nombre de patients qu’elles accueillent.
« L’algorithme fonctionne pour le calendrier trimestriel utilisé par la Tanzanie et s’appliquerait également à d’autres pays qui procèdent à un réapprovisionnement trimestriel des vaccins de routine, y compris de nombreux pays éligibles aux programmes de Gavi. Mais les pays peuvent avoir d’autres calendriers, tels que le réapprovisionnement mensuel, pour lesquels l’algorithme devra être adapté », a déclaré Katie Hampson. « Avec la connaissance des calendriers couramment utilisés, l’approche pourrait facilement être utilisée pour élaborer recommandations adaptées à chaque scénario. »
Pour aller plus loin
Stratégies de lutte globales
S’il est essentiel de garantir l’accès à la prophylaxie post-exposition, il ne s’agit que d’une partie de la solution.
« Il est également nécessaire d’intensifier d’autres interventions de lutte contre la rage, en particulier la vaccination massive des chiens, qui est l’une des principales stratégies de lutte durable contre la rage », a déclaré le Dr Simbarashe Mabaya.
L’amélioration de la surveillance et de la collecte de données pourrait également être utile, tout comme l’éducation : aider les populations à comprendre comment éviter les morsures de chien et ce qu’il faut faire en cas de morsure pourrait sauver d’innombrables vies.