Comment le vaccin contre le paludisme a été déployé dans le district le plus exposé aux piqûres de moustiques au monde
Après avoir enregistré le taux de piqûres de moustiques infectieuses le plus élevé au monde — estimé à 1 500 par personne et par an — le district d’Apac, en Ouganda, commence à administrer le vaccin contre le paludisme aux nourrissons et aux tout-petits.
- 19 juin 2025
- 7 min de lecture
- par John Agaba

Le Dr James Odongo était en train de manger des légumes dans un petit restaurant du district d’Apac, dans le nord de l’Ouganda, lorsque son téléphone a sonné. Le ministère de la Santé venait d’annoncer qu’Apac figurait parmi les 105 districts les plus touchés qui bénéficieraient en priorité du déploiement du nouveau vaccin contre le paludisme.
Odongo – responsable de la santé pour le district – a ressenti une immense joie. Le paludisme, l’une des principales causes de mortalité en Ouganda et dans la majeure partie de l’Afrique, avait emporté 41 enfants de moins de cinq ans dans le district en 2024. Ce vaccin avait prouvé son efficacité pour prévenir les formes graves de la maladie, celles-là mêmes qui sont à l’origine de la majorité des décès infantiles liés au paludisme.
Il posa sa cuillère, ouvrit l’application de notes sur son téléphone et tapa quelques lignes. Il convoquerait une réunion avec les agents de santé du district, les équipes de santé communautaire (VHTs) et les responsables locaux dès le lundi suivant, pour élaborer un plan de déploiement du vaccin.
« Le ministère et l’OMS avaient déjà défini la plupart des lignes directrices pour la campagne, notamment l’instruction d’intégrer le vaccin dans le calendrier vaccinal de routine », explique Odongo dans un entretien accordé à VaccinesWork. « Mais nous voulions que nos infirmières et les autres agents de sensibilisation soient bien au fait des spécificités du vaccin — et qu’ils comprennent pourquoi il est administré en quatre doses (à 6, 7, 8 et 18 mois) afin d’offrir aux enfants une protection optimale. »
« Nous voulions que nos infirmières et les autres agents de santé de première ligne comprennent comment fonctionne le vaccin, afin qu’ils puissent l’expliquer aux mères et aux responsables communautaires, » poursuit-il. « Nous voulions aussi anticiper toute désinformation qui pourrait provoquer de l’hésitation, et encourager les mères à faire vacciner leurs enfants éligibles. »
L’enthousiasme d’Apac
Odongo et son équipe ont mené une campagne de sensibilisation intensive et rigoureuse pour informer la population de l’arrivée imminente du vaccin, et expliquer comment cet antigène novateur allait contribuer à réduire les formes graves de paludisme chez les enfants de moins de cinq ans.
Mais ce qu’Odongo et ses collègues ne savaient pas encore, c’est que la majorité des mères et des leaders communautaires du district étaient tout aussi enthousiastes que les professionnels de santé, et attendaient avec impatience le lancement de la vaccination.

Crédit : Jjumba Martin
L’enthousiasme de la communauté était palpable lorsque le ministère de la Santé, en partenariat avec Gavi et l’Organisation mondiale de la santé, a lancé le vaccin dans le district le 2 avril. Des centaines de mères et de responsables communautaires, venus de tout le district et même d'autres régions du pays, ont afflué vers la cérémonie, présidée par la ministre de la Santé, le Dr Jane Ruth Aceng, dans l’espoir de faire vacciner leurs enfants. Mais la journée n’a pas suffi : les agents de santé n’ont pu administrer le vaccin qu’à 245 enfants avant la tombée de la nuit.
Holiver Atim, dont le bébé a été vacciné ce jour-là, raconte qu’elle n’aurait manqué cette occasion pour rien au monde – pas après avoir perdu son premier enfant à cause du paludisme. « J’ai été l’une des premières à arriver sur place ce jour-là », dit-elle. « Le paludisme nous a déjà tant pris. Alors, si ce vaccin pouvait protéger mon autre enfant, je voulais qu’il en bénéficie. »
Un district durement touché
Une étude publiée dans Open Journal of Statistics révèle qu’Apac détient le triste record mondial du nombre de piqûres de moustiques infectieuses, estimé à 1 500 par personne et par an. C’est ce qui explique que le district affiche également l’un des taux d’incidence et de mortalité liés au paludisme les plus élevés du pays.
Pour aller plus loin
Les chiffres du ministère de la Santé indiquent qu’Apac présente un taux de prévalence du paludisme de 66,4 %. Environ sept personnes sur dix qui s’y présentent avec des symptômes courants — comme de la fièvre ou des maux de tête — sont effectivement testées positives.
Cette situation s’explique en grande partie par la présence de marécages et d’étendues d’eau, qui couvrent près de 50 % du territoire du district. Ces zones humides constituent un environnement idéal pour la prolifération des moustiques Anopheles femelles, vecteurs du parasite responsable du paludisme.

Crédit : Jjumba Martin
« Le paludisme représente un fardeau immense ici, » déclare Odongo. « C’est la principale cause de maladies graves et de décès chez les enfants de moins de cinq ans. On observe une légère baisse des cas pendant la saison sèche, mais dès que les pluies reviennent et que les marécages sont saturés, les infections repartent à la hausse. »
« Une bénédiction »
« Ce vaccin est une véritable bénédiction, » confie Odongo. Le ministère a alloué une première tranche de 7 700 doses du vaccin R21/Matrix-M au district, bien que l’objectif soit de vacciner au moins 9 225 enfants. Dès réception des doses, Odongo et son équipe ont intégré le vaccin dans le programme de vaccination de routine du district, permettant ainsi aux infirmières des 19 centres de vaccination de l’administrer en même temps que les autres antigènes.
Mais c’est surtout la réaction des mères du district qui a été bouleversante. « Beaucoup de mères, venues de tout le district, ont accueilli le lancement du vaccin comme si leur vie en dépendait », témoigne Mary Erong, aide-soignante à la clinique de santé maternelle et infantile de la municipalité d’Apac. « Nous avons commencé à administrer le vaccin après le 2 avril. Mais chaque jour, du lundi au vendredi, nous enregistrons plus de 20 mères qui se présentent au centre de santé pour le demander. »

Crédit : Jjumba Martin
« Certaines viennent même avec des enfants plus âgés — au-delà de 18 mois — et nous devons les renvoyer, » raconte Erong, tout en préparant une dose du vaccin contre le paludisme qu’elle injecte avec assurance dans l’épaule droite d’un nourrisson. La même scène se répète dans plusieurs centres de santé du district.
« De plus en plus de mères réclament le vaccin, car elles le perçoivent comme une solution miracle qui renforcerait l’immunité de leur bébé et empêcherait les formes graves de paludisme, » explique Doreen Akuno, responsable de la vaccination pour la sous-région de Lango, qui comprend neuf districts du nord de l’Ouganda.
Qualifier le vaccin de « solution miracle » est sans doute exagéré — les autorités sanitaires insistent sur l’importance de le combiner aux méthodes préventives classiques, comme les moustiquaires imprégnées et la chimio-prévention saisonnière. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de la première arme nouvelle contre ce fléau ancestral.

Crédit : Jjumba Martin
« La demande pour le vaccin est énorme, non seulement à Apac, mais aussi dans la majorité des 105 districts à transmission élevée ou modérée où il a été déployé, » explique Doreen Akuno. « Dans beaucoup de ces zones, la crainte est de voir les doses épuisées avant que tous les enfants éligibles aient pu être vaccinés. » Elle cite en exemple trois paroisses du district de Kole, également situé dans le nord de l’Ouganda, qui ont déjà utilisé l’ensemble de leurs vaccins alloués.
Le ministère de la Santé a distribué un peu moins de 2,3 millions de doses en début d’année, avec l’objectif initial de vacciner 1,1 million d’enfants de moins de deux ans dans les 105 districts ciblés. Mais un élargissement du programme à l’ensemble du pays est d’ores et déjà envisagé.
Optimisme sur la ligne de front
Et ce ne sont pas seulement les mères qui se réjouissent de l’arrivée du vaccin. Moris Ogwang, infirmier diplômé et adjoint au responsable du service pédiatrique de l’hôpital général d’Apac, espère enfin voir une évolution dans les statistiques alarmantes qu’il enregistre chaque jour.
« Nous hospitalisons environ 20 enfants par jour. Mais sur ce total, 18 sont généralement atteints de paludisme, » confie-t-il dans un entretien avec VaccinesWork. « Parfois, nous recevons des bébés âgés de quelques semaines à peine, qui souffrent de paludisme sévère et de pneumonie, et doivent être transfusés. »
« Ce vaccin va permettre d’éviter ces cas compliqués, » poursuit-il. « Il ne va peut-être pas empêcher les enfants d’attraper le paludisme, mais il renforcera leur immunité et limitera les formes graves de la maladie — ce qui, pour nous, est le véritable enjeu. »

Crédit : Jjumba Martin
Aceng a défendu le même argument lors du lancement du vaccin le 2 avril. Elle a affirmé que le vaccin permettrait de prévenir au moins 800 cas de paludisme grave chez les enfants chaque jour. Il devrait également alléger la charge financière que représente la maladie pour les familles, en leur évitant des dépenses d’au moins 15 000 shillings ougandais (soit environ 4,18 dollars US) par cas.
« Nous ne verrons peut-être pas ses effets immédiatement, mais d’ici un an ou deux, tout le monde en percevra les bénéfices, » a-t-elle déclaré.
Odongo partage cet optimisme. « Je suis convaincu qu’avec l’introduction du vaccin contre le paludisme, en complément d’autres mesures préventives comme les moustiquaires imprégnées, la prise en charge communautaire intégrée des cas de paludisme et le traitement des gîtes larvaires, nous réduirons le nombre d’enfants qui meurent du paludisme, » affirme-t-il.