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L'ère des vaccins modernes : Une histoire abrégée de la vaccination, 2e partie

Au moment où le XIXe siècle entame dans son dernier quart, le terme "vaccination" n’a qu’une seule signification : l'immunisation par la variole bovine (cowpox) contre la variole mortelle. Un siècle plus tard, on dispose de vaccins sûrs et efficaces contre 26 maladies mortelles. Dans la deuxième partie de cette série en deux volets, nous racontons l'histoire des vaccins conçus en laboratoire.

  • 9 mai 2022
  • 9 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Portrait de Louis Pasteur – Billet de banque de 5 Francs français, 1966
Portrait de Louis Pasteur – Billet de banque de 5 Francs français, 1966
 

 

“Un éclatant succès” : Pasteur et les premiers vaccins de laboratoire

En 1879, Louis Pasteur – alors âgé de 57 ans, déjà célèbre, déjà barbu et portant déjà des lunettes – revient dans son laboratoire à Paris après des vacances. Il va reprendre ses recherches sur Pasteurella moltocida, la bactérie responsable du choléra des poules, qu'il a appris à cultiver l'année précédente. Mais pendant son absence, son assistant qui avait été chargé de continuer à inoculer régulièrement Pasteurella aux poules avait oublié les cultures. Pendant un mois entier, le bouillon pathogène avait traîné dans le laboratoire, sans être revivifié1, avec pour seule protection contre l’extérieur un bouchon de ouate.

Pasteur tente néanmoins d’injecter le bouillon aux poules du laboratoire. Contrairement à ce que l’on pouvait attendre, elles ne meurent pas. Elles présentent des symptômes légers, puis se rétablissent. À la fois curieux et économe, Pasteur inocule aux mêmes oiseaux un lot frais de Pasteurella. À la surprise générale, les poules résistent parfaitement à cette seconde inoculation et restent incontestablement en bonne santé.

L'exposition à l'oxygène avait-elle atténué la virulence des bactéries cultivées ? Pasteur pense que c’est le cas, que les "germes" affaiblis ont amorcé les défenses des poules contre une nouvelle infection, de la même manière que l'inoculation de pus provenant de lésions de variole avait permis chez les humains de résister à l’injection mortelle de variole.

Plus de 80 ans s’étaient écoulés depuis qu'Edward Jenner avait établi le pouvoir protecteur de la "vaccination". Bien qu’il s’agisse dans ce cas de poulets et non de vaches, Pasteur donne au germe affaibli le nom de vaccin, car il a immédiatement établi l’analogie avec la vaccination. Mais si la vaccine se trouvait dans la nature – cousin médicalement pratique, prêt à l'emploi et non mortel du virus de la variole, Pasteur venait de montrer qu'il était possible de créer un "vaccin2" en laboratoire, en atténuant l’agent pathogène au point de le rendre inoffensif, mais sans altérer son immunogénicité.

L'"atténuation" apparaît alors comme une approche prometteuse pour la vaccination contre d'autres maladies. C’est même la principale préoccupation de Pasteur dès 1880. En mars 1881, il réclame avec insistance une expérience publique de vaccination à grande échelle contre le charbon3 effectuée chez des animaux. En mai, devant un parterre de journalistes, il inocule à une trentaine d'animaux de ferme une culture atténuée de la maladie du charbon. Début juin, ces animaux et un groupe témoin non vacciné sont exposés à l'agent pathogène. Les vaches non vaccinées tombent malades ; les moutons et les chèvres non vaccinés meurent en une journée. Tous les animaux vaccinés, à l'exception d'un seul – une chèvre dont on a découvert à l'autopsie qu'elle souffrait d'une anomalie congénitale fatale – sont indemnes. C'est, proclame Pasteur, l''éclatant succès' dont il avait besoin pour justifier ses audacieuses déclarations publiques.

S'appuyant sur les observations publiées par Victor Galtier, Pasteur et ses partenaires commencent à travailler sur un vaccin vivant atténué contre la rage. En 1884, ils découvrent que l'atténuation de l'agent pathogène de la rage – non pas une bactérie, mais un virus que Pasteur ne peut pas cultiver ou examiner sur une lame de microscope – nécessite une technique différente. Ils découvrent finalement que le passage répété du matériel infecté à travers des animaux d'espèces différentes affaiblit suffisamment l'agent pathogène pour permettre la mise au point d'un vaccin efficace préparé à partir de salive de chien enragé .

En juillet 1885, pour la première fois, Pasteur et son collaborateur Émile Roux ont l'occasion de tester leur vaccin sur un humain : Joseph Meister, 9 ans, a été gravement mordu par le chien enragé d'un voisin. Nous savons aujourd'hui qu’en l'absence de vaccination, la rage est toujours mortelle. Joseph est condamné à une agonie et une mort certaines. Pasteur commence à traiter le garçon avec des inoculations antirabiques de plus en plus virulentes sur une période de dix jours. Trois mois et trois jours plus tard, le garçon est déclaré hors de danger. À la fin de l’année 1886, le vaccin de Pasteur a été utilisé pour traiter 350 patients atteints de la rage. Un seul a succombé à la maladie.

Un nouveau siècle, de nouveaux vaccins

À l’aube du XXe siècle, une abondante production de vaccins ‘‘artificiels’’ fait son apparition dans le paysage médical. Un vaccin vivant atténué contre le choléra humain est créé par le médecin espagnol Jaime Ferrán en 1885. En 1896, en Allemagne, Richard Pfeiffer et Wilhelm Kolle montrent que les bactéries responsables de la fièvre typhoïdes tuées peuvent encore produire une immunité contre cette maladie chez les humains ; un vaccin oral contre la fièvre typhoïde est proposé en 1904 par James Carroll, un médecin de l'armée américaine. En France, cette année-là, le médecin et bactériologiste Albert Calmette et le vétérinaire Jean-Marie Camille Guérin entament des recherches qui allaient, après une quinzaine d’années de travail, aboutir au vaccin vivant atténué contre la tuberculose que nous connaissons encore sous le nom de BCG (Bacillus Calmette-Guérin) – et que nous continuons à utiliser, bien qu'il soit largement considéré comme insuffisamment protecteur. De nouvelles approches voient le jour : dans les années 1920, des toxines inactivées par le formaldéhyde se sont avérées protectrices contre le tétanos, puis la diphtérie 4.

Pour les pionniers de la vaccinologie, les maladies virales se sont souvent avérées particulièrement élusives. Au début du siècle, les chercheurs ne pouvaient toujours pas appréhender les virus - difficiles à cultiver en laboratoire et, avant l'avènement de la microscopie électronique, impossibles à visualiser.

Mais les progrès technologiques permettront bientôt aux virologistes d’accéder de plus près à leurs sujets de recherche. En 1937, le médecin d’origine sud-africaine Max Theiler et ses collaborateurs annoncent qu'ils ont mis au point un vaccin vivant atténué contre la fièvre jaune à partir d’une souche cultivée sur œufs de poule embryonnés. Cette découverte valut à Max Theiler le prix Nobel de médecine 1951 - le premier, et jusqu'à présent le seul prix Nobel décerné pour le développement d'un vaccin.

"Le vaccin marche. Il est sûr, efficace et puissant 5" : Le vent tourne pour la poliomyélite

La mise au point d’un vaccin contre la poliomyélite s’annonce difficile. Dans les années 1930 et 1940, les chercheurs qui essaient de cultiver des stocks de poliovirus en dehors du corps d'animaux vivants, dans des conditions de sécurité, échouent à plusieurs reprises. Pendant ce temps, la poliomyélite - hautement infectieuse, parfois mortelle et souvent invalidante - continue à menacer gravement des générations d'enfants.

En 1949, des chercheurs de Boston qui travaillent sur le virus de la varicelle découvrent par hasard une technique permettant au poliovirus de se développer sur des cultures de peau et de tissu musculaire embryonnaires, ce qui ouvre la voie aux essais de vaccin contre la poliomyélite. En mars 1953, un chercheur new-yorkais, le Dr Jonas Salk, annonce à la radio, d’une voix légèrement nasillarde, qu'il a testé avec succès un candidat vaccin inactivé - c'est-à-dire tué par le formaldéhyde. En 1955, son vaccin est déclaré efficace à 90 % - "une victoire historique sur une maladie redoutable", selon les termes d'un journaliste de l'époque6.

Faire parvenir les vaccins aux populations : les premières campagnes mondiales de vaccination

Au milieu du XXe siècle, il est bien établi que les vaccins font appel à une technologie polyvalente qui permet de sauver des vies. Mais il est également clair qu'il existe un fossé entre le fait de disposer d’un vaccin efficace et celui d’en faire bénéficier les populations qui en ont besoin. Pour combler ce fossé, il faut innover davantage, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des laboratoires.

Il s’est écoulé 150 ans depuis que Jenner a déclaré que « l’anéantissement de la variole, fléau le plus effroyable du genre humain, doit être l’aboutissement de cette pratique. » D'innombrables vies ont été épargnées, mais cet objectif ultime n’a toujours pas été atteint. La vaccination est moins au point que les vaccins. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la vaccination contre la variole reposait sur la transmission du virus de bras à bras et s’interrompait si l'infection ne prenait pas. Elle comportait en outre le risque de transmettre, par le sang, d'autres maladies comme l'hépatite ou la syphilis. La découverte de la possibilité de cultiver le vaccin sur la peau des veaux, de le conditionner, le purifier et le conserver va changer la donne. Mais même ainsi, le vaccin crain la chaleur, ce qui pose un problème dans les pays chauds.

En 1953, un scientifique britannique du nom de Leslie Collier trouve le moyen de stabiliser le vaccin contre la variole, par la lyophilisation. Tout d’un coup, il devient possible de conserver cette substance fragile pendant six mois à des températures allant jusqu'à 45 degrés Celsius. Plus rien de s’oppose à ce que la prophétie de Jenner devienne réalité. La science moderne est du même avis : la variole, contrairement à la plupart des maladies, est théoriquement éradicable.

"Objectif zéro"

En 1966, l'Organisation mondiale de la santé donne le coup d'envoi de la campagne de d’éradication : elle sera économique (le vaccin proviendra de dons ou de la production locale dans les pays d’endémie) et fera appel à peu de personnel5, mais son objectif est extrêmement ambitieux et le délai pour l’atteindre est très serré : dix ans. Elle reçoit un surnom, "Objectif zéro". L'innovation sort des laboratoires : des réseaux de vaccinateurs bien formés voient le jour dans tous les pays. De nouveaux modes de distribution sont mis au point pour acheminer les vaccins dans les zones géographiques difficiles à atteindre. La campagne progresse à grands pas. Fin 1970, l'Amérique du Sud est débarrassée de la variole. En 1975, le virus est éliminé en Asie. En 1977, on diagnostique le dernier cas de variole ‘‘sauvage’’ : la victime est un jeune cuisinier somalien de 23 ans, qui travaille dans un hôpital, Ali Maow Maalin. Il survivra. La variole est vaincue.

Mais avant même de s’achever, cette campagne d’éradication constitue déjà le premier chapitre d'un projet plus vaste encore et plus durable : le Programme élargi de vaccination (PEV). La campagne a fourni la preuve qu’il est possible de vacciner à l'échelle mondiale, et de sauver des vies de façon économique ; et ceci grâce aux réseaux qui ont été établis pour lutter contre la variole. Ne pourrait-on pas les utiliser pour les autres vaccins ? Comme l'a écrit, après cette victoire sur la variole, Donald A. Henderson, qui dirigea la campagne d'éradication : « Il faut reconnaître que nous disposons maintenant d'une ressource immensément précieuse, un système mondial de distribution des vaccins. »

Dans sa première version, le PEV englobait les vaccinations contre la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, la rougeole et la poliomyélite, ainsi que le BCG. Au fil des ans, de nouveaux antigènes sont venus grossir les rangs de la vaccination systématique. Près d'un siècle et demi après l’immunisation ‘‘accidentelle’’ des poules de Pasteur - et grâce à son génie qui lui a permis d’en saisir toute la signification – quelque 80 millions de décès ont, selon les estimations, été évités par la vaccination depuis le début du siècle dans 92 pays à faible revenu bénéficiant actuellement de l’aide de Gavi. Ce nombre peut paraître énorme, mais ce n'est encore qu'un début : 200 ans après le début de l’histoire des vaccins, seulement une trentaine de maladies peuvent être considérées comme "évitables par la vaccination".

Malgré les progrès rapides réalisés l'année dernière en réponse à la COVID-19, il est plus que jamais indispensable et urgent d'investir encore davantage dans la recherche de nouveaux vaccins et de nouvelles techniques, sachant que plus de 300 maladies infectieuses émergentes ont été identifiées depuis 1940, et que de nouvelles menaces de pandémie se profilent à l'horizon.


1. En général, Pasteur et ses collaborateurs "revivifiaient" les cultures bactériennes tous les quelques jours, en réinfectant un animal hôte.

2. Pasteur insiste sur la comparaison avec la découverte de Jenner, et pas seulement dans la terminologie qu'il a choisie : "Tout n'est pas aussi nouveau qu'on pourrait le croire à première vue", observe-t-il dans une communication de mars 1880.

3. Pasteur n'était pas seul sur ce terrain. Un professeur de médecine vétérinaire du nom de Toussaint avait mené avant Pasteur des expériences réussies sur l'atténuation de l'anthrax, inspirant l'intérêt de son rival pour le bacille. Un essai rédigé par Robert Koch jette un éclairage sans concession sur les dettes scientifiques de Pasteur, apparemment trop souvent passées sous silence.

4. Le journal Nature et le site historyofvaccines.org présentent des tableaux chronologiques interactifs qui offrent un parcours complet à travers les grandes étapes de la vaccinologie.

5. https://sph.umich.edu/polio/

6. Le vaccin de Salk fut progressivement abandonné au cours de la décennie suivante au profit du vaccin oral vivant atténué mis au point par Albert Sabin, pour être à nouveau réhabilité et utilisé dans les pays ayant controlé la poliomyélite À eux deux, ces vaccins ont permis d’éliminer la poliomyélite dans la plupart des continents. Aujourd'hui, la poliomyélite ne reste endémique plus qu'au Pakistan et en Afghanistan.

7. Le personnel impliqué dans le programme mondial a toujours été inférieur à 100 personnes et l'investissement international n’a pas dépassé les 100 millions de dollars.