Des injections à la place des comprimés : le nouveau traitement du VIH à l’essai en Afrique

La qualité de vie des malades du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est sur le point de s’améliorer sur le continent africain, où plusieurs pays testent un nouveau traitement. Les facteurs d’adhérence aux médicaments sont nombreux, et notamment la peur d’être stigmatisé reste un frein important au Kenya où l’injection représente une solution pour protéger le statut médical des patients.

  • 14 mars 2023
  • 5 min de lecture
  • par Claudia Lacave
Ruth, l'une des 512 volontaires de l’essai clinique qui vise du premier traitement injectable à libération prolongée contre le VIH. Crédit : Claudia Lacave
Ruth, l'une des 512 volontaires de l’essai clinique qui vise du premier traitement injectable à libération prolongée contre le VIH. Crédit : Claudia Lacave
 

 

Longtemps synonyme de rapide dégradation de l’état de santé suivie de mort, le VIH est aujourd’hui une maladie avec laquelle on peut vivre normalement, ou presque. De neuf pilules par jour dans les années 1990, le traitement est passé aux alentours de 2010 à un comprimé quotidien (pour la majorité des patients) et les prouesses pharmaceutiques ont aujourd’hui abouti à deux injections bimensuelles, actuellement en phase d’essai clinique en Afrique. « C’est plus discret et simple à planifier. Les pilules sont faciles à oublier et contraignantes à transporter », reconnaît Ruth, une infirmière de 30 ans qui participe à l’étude au Kenya.

À l’intérieur de la petite salle de consultation aux murs jaunes de l’hôpital Aga Khan, dans la capitale de Nairobi, la jeune femme aux dreadlocks marron et à l’expression assurée raconte le déroulement d’une séance. Contrôle des signes vitaux puis injections, une dans chaque fesse, et la visite dure « maximum une heure». Une gêne apparaît le second jour à l’endroit de la piqure mais ne reste pas plus de 48 heures. Ruth fait partie des 512 volontaires de l’essai clinique qui vise à tester la sécurité et l’efficacité du premier traitement injectable à libération prolongée contre le VIH. L’étude de deux ans a débuté en septembre 2021 en Ouganda, puis en Afrique du Sud et au Kenya, et porte sur une combinaison d’antirétroviraux (ARV) – des médicaments qui limitent la multiplication du virus dans le corps –, le cabotégravir du laboratoire ViiV Healthcare et la rilpivirine du laboratoire Johnson & Johnson.

Dans le pays d’Afrique de l’Est, l’injection est une avancée remarquable pour les 1,4 million de personnes (2021) atteintes de la maladie, 4% des 15-49 ans.

Hôpital Aga Khan
L’hôpital d’Aga Khan
Crédit : Claudia Lacave

Alors que deux projets similaires ont commencé aux Etats-Unis, en Europe et en Asie depuis 2016 et 2017 et que les autorités des médicaments européenne et américaine l’ont approuvé respectivement en octobre 2020 et janvier 2021, le traitement arrive bien après en Afrique sub-saharienne. La région est la plus touchée par l’épidémie et abritait 67% des 37,7 millions de personnes contaminées dans le monde en 2020 d’après l’ONU, mais l’essai clinique était nécessaire. « Le but est de tester le médicament dans des pays à ressources limitées où les défis du système de santé et les moteurs de l’épidémie sont différents de ceux des pays à hauts revenus. Aussi le traitement est généralement individualisé en Occident alors qu'ici, c'est une approche de santé publique », détaille le docteur Ivan Mambule, responsable du déroulement de l’essai clinique au sein du Centre commun de recherche clinique (JRCR) d’Ouganda.

Moins d’exposition donc moins de discrimination

L’hôpital d’Aga Khan, avec ses briquettes rouges et ses cours de palmiers, est le premier site kenyan à avoir amorcé l’étude le 31 mars 2022 et a enrôlé en tout 40 volontaires répartis en deux groupes, l’un test et l’autre témoin. « C’est arrivé au Kenya plus tôt que je ne l’avais prévu », remarque Ruth qui suivait attentivement les autres essais cliniques sur les réseaux sociaux. Dans le pays d’Afrique de l’Est, l’injection est une avancée remarquable pour les 1,4 million de personnes (2021) atteintes de la maladie, 4% des 15-49 ans. Le gouvernement a lancé en 2013 une stratégie politique pour mettre fin à l'épidémie en tant que menace sur la santé publique d’ici 2030, à base de sensibilisation, de campagnes massives de tests et de distribution de préservatifs. Les résultats, bien qu’en deçà des objectifs de progression, restent remarquables : le nombre de nouvelles infections a diminué de 68% entre 2013 et 2021 et la population de patients sous antirétroviraux a augmenté de 83% sur la même période d’après le Conseil national de lutte contre le sida (NACC).

Traitement VIH
Les prouesses pharmaceutiques ont aujourd’hui abouti à deux injections bimensuelles, actuellement en phase d’essai clinique en Afrique.
Crédit : Claudia Lacave

Le traitement, en plus de soulager des symptômes, permet de réduire la charge virale dans le sang des patients et donc, de réduire les risques de propagation de la maladie. Mais son suivi reste un défi : « la façon dont une personne prend régulièrement ses médicaments dépend de plusieurs facteurs comme leur nombre, la faciliter à les avaler, leur fréquence et leur goût notamment », détaille Jack Ndegwa, chef des politiques de santé chez KANCO, le consortium des ONG concernées par le sida au Kenya. L’injection vient réduire le fardeau de voyager avec des boîtes de médicament, d’oublier leur prise quotidienne mais aussi, d’exposer sa maladie à sa famille ou à son entourage.

« Si je voyage avec des amis, même proches, je fais en sorte de leur cacher mes comprimés », raconte Isabella*, une volontaire de l’essai clinique à l’hôpital d’Aga Khan qui n’a révélé être atteinte du VIH qu’à quelques personnes. Les malades subissent le jugement moral et la peur liés au virus sexuellement transmissible, encore plus dans les campagnes, par manque d’éducation sur le sujet, et le NACC estime qu’entre avril 2021 et avril 2022, environ 20% des personnes positives ont souffert des remarques ou des commérages de leur famille.

*Le prénom a été changé pour protéger le statut médical du témoin.

Suivez l'autrice sur Twitter : @C_Lacave